La réunion

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COMMISSION D'ENQUÊTE SUR L'IMPACT SOCIÉTAL, SOCIAL, ÉCONOMIQUE ET FINANCIER DE LA RÉDUCTION PROGRESSIVE DU TEMPS DE TRAVAIL

La séance est ouverte à douze heures cinq.

La commission d'enquête procède à l'audition, ouverte à la presse, de M. Pierre Larrouturou, co-président du mouvement Nouvelle Donne, et de M. Adrien Tusseau, et M. Simon Denis, membres

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Nous sommes heureux d'accueillir M. Pierre Larrouturou, économiste, conseiller régional d'Île-de-France et coprésident du mouvement Nouvelle Donne, ainsi que deux membres de ce même mouvement, MM. Adrien Tusseau et Simon Denis.

Monsieur Larrouturou, vous êtes de longue date un fervent partisan de la réduction du temps de travail (RTT). Vous prônez la semaine de quatre jours dans vos nombreux ouvrages, et Nouvelle Donne propose notamment de négocier un nouveau partage du temps de travail.

Il nous a donc semblé naturel de vous auditionner, afin que vous nous exposiez vos positions, à l'heure où de nombreux économistes se prononcent plutôt en faveur d'une augmentation de la durée du travail.

Cette audition a également vocation à dresser un bilan des 35 heures, près de 15 ans après leur mise en place, pour en évaluer l'impact sur la société, l'économie, les finances publiques et le droit du travail français.

Avant de vous entendre, je dois vous informer des droits et des obligations qui vous reviennent dans le cadre formel de votre audition, tel qu'il est défini par la loi puisque nos travaux s'inscrivent dans les règles des commissions d'enquête. Aux termes de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, la commission d'enquête pourra citer dans son rapport tout ou partie du compte-rendu de votre témoignage, qui vous aura été préalablement communiqué. Les observations que vous pourriez faire seront soumises à la commission.

Par ailleurs, en vertu du même article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, les personnes auditionnées sont tenues de déposer sous serment, sans toutefois enfreindre le secret professionnel. Vous devez donc prêter serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

(MM. Pierre Larrouturou, Adrien Tusseau et Simon Denis prêtent successivement serment).

La commission va procéder maintenant à votre audition, qui fait l'objet d'un enregistrement et d'une retransmission télévisée.

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Pierre Larrouturou, coprésident du mouvement Nouvelle Donne

Je suis ému d'être reçu à l'Assemblée nationale et de jurer de dire la vérité, ce qui, en matière économique s'avère délicat. Qui peut dire qu'il détient la vérité ? En 2005, j'expliquais que nous nous dirigions vers une crise financière majeure et mon contradicteur, M. Dominique Strauss-Kahn, m'expliquait avec certitude que le risque de choc aux États-Unis était nul. On ne peut donc jamais être sûr de connaître toute la vérité.

Nous ne poursuivons pas les mêmes objectifs, mais je vous remercie de relancer le débat sur le temps de travail qui porte sur une question fondamentale pour sortir de la crise. La première fois que je suis venu à l'Assemblée nationale, il y a 25 ans, j'ai répondu à l'invitation de l'un de vos collègues de l'UDF, M. Gilles de Robien, qui auditionnait un grand patron de l'époque, M. Antoine Riboud, fondateur de Danone, qui avait affirmé qu'il convenait de passer à la semaine de quatre jours sans étape intermédiaire pour que la mesure soit efficace en termes de partage de l'emploi. M. Gilles de Robien, pourtant hostile à la RTT – il avait d'ailleurs contraint les salariés de la mairie d'Amiens, par l'emploi de la force publique, à travailler 40 heures par semaine au lieu de 35 –, avait accepté que l'on débatte de cette question pendant trois mois, entre autre parce que son fils se trouvait au chômage. M. Raymond Barre nous avait aidés à élaborer la loi de Robien qui a permis d'expérimenter la RTT.

Je vous remercie de recevoir vingt-cinq ans après le mouvement Nouvelle Donne dont le discours diverge de celui de l'UDI, de l'UMP et même du PS. Au moment du débat sur les 35 heures, j'avais écrit un livre avec M. Michel Rocard qui s'intitulait 35 heures, le double piège et dans lequel nous défendions une réduction du temps de travail adoptant une méthode et un contenu différents, mais il fut difficile de nous faire entendre au milieu de l'affrontement entre le gouvernement et le MEDEF.

En France, il y a aujourd'hui 5 millions de chômeurs et 9 millions de pauvres. Il faut simplifier la vie des chefs d'entreprise – le code du travail a doublé de volume depuis 20 ans sans que les salariés se sentent mieux protégés –, mais on ne peut pas se contenter d'appréhender la question du temps de travail à travers le prisme des entreprises.

Depuis cinq ans, le nombre de chômeurs a crû de 1,2 million. En outre, lorsque l'on annonce une hausse de 18 000 chômeurs en un mois, on ne parle que de l'effet net apparent sur le « stock » ; or plus de 500 000 personnes s'inscrivent chaque mois à Pôle emploi. Certes, 482 000 personnes quittent les fichiers de Pôle emploi, mais seuls 49 % d'entre eux ont retrouvé un travail selon le ministère du travail ; ainsi, chaque mois, près de 250 000 citoyens quittent Pôle emploi sans avoir trouvé un emploi. Certains ont trouvé un stage, d'autres rencontrent des problèmes administratifs pour se réinscrire, mais de 80 000 à 100 000 tombent un cran plus bas dans la pauvreté. Le climat social est très bon dans certaines entreprises, mais ce pays crée, quelle que soit la majorité politique, 20 000 chômeurs par mois, auxquels viennent s'ajouter de 60 000 à 80 000 qui n'entrent plus dans les statistiques du chômage et qui tombent dans la pauvreté. Il s'agit d'un drame humain qui touche 100 000 nouvelles familles chaque mois. Du point de vue économique, ces gens ne consommeront pas plus, ce qui engendre un cercle vicieux – ainsi, comment reprocher aux patrons de PME de n'embaucher que des contrats à durée déterminée (CDD) quand il s'avère impossible de prévoir le chiffre d'affaires à six mois ? Comment sortir de cette spirale ? Certainement pas en multipliant les demi-mesures déployées depuis vingt ans.

Nous avons tendance à idéaliser les autres pays : l'Allemagne tombe actuellement en récession, alors qu'on nous la présentait comme un modèle il y a six mois et comme l'homme malade de l'Europe il y a dix ans. Il serait sans doute utile de créer une commission d'enquête sur ce qui fonctionne et ce qui échoue à l'étranger. Nous devrions nous inspirer de l'Allemagne pour la formation des salariés, le financement des PME, le développement des capacités industrielles d'exportation, mais les « petits boulots » sont tellement répandus dans ce pays que, sans compter les chômeurs, la durée réelle moyenne de travail est tombée à 30 heures hebdomadaire. On ne connaît ce chiffre que depuis peu, car le Bureau international du travail (BIT) a obligé l'Allemagne à intégrer dans ses statistiques les emplois ne dépassant pas 10 heures hebdomadaires. Or le plein-emploi allemand s'explique par la prolifération de ce type d'emplois, qui explique la faiblesse de la consommation et donc la spirale déflationniste actuelle.

Derrière ces chiffres, le chômage et la précarité abîment des vies. Je suis écoeuré de constater le nombre de gens qui doivent fouiller aujourd'hui les poubelles pour se nourrir à Paris. Le temps de travail ne constitue pas le seul levier pour combattre le chômage, mais il faut prendre la mesure de la crise sociale – et politique que celui-ci génère.

Nous refusons cette injustice et souhaitons donner une traduction au droit au bonheur, même si la Constitution ne le reconnaît pas.

La question du temps de travail est fondamentale, car nous ne croyons plus au projet reposant sur l'attente de la croissance et permettant d'inventer un nouveau modèle. Nouvelle Donne se bat pour que l'on ouvre les yeux : la croissance diminue depuis 50 ans. L'an dernier, la croissance allemande était nulle et l'on parle aujourd'hui d'un ralentissement. Nous devons faire notre deuil d'une prospérité et d'un plein-emploi tirés par la croissance, pour inventer un nouveau modèle qui permette d'atteindre ces objectifs sans croissance forte.

Il y a 25 ans, on expliquait aux étudiants à Sciences Po que le Japon allait dominer l'économie mondiale ; cette prédiction se fondait sur une bulle qui, une fois éclatée, a laissé le Japon à un taux de croissance moyen annuel de 0,7 % au cours des deux dernières décennies. Les gouvernements japonais ont pourtant tout mis en oeuvre pour retrouver une croissance robuste : plans de relance colossaux – créant un déficit de plus de 6 % du PIB en moyenne depuis 20 ans et une dette de 250 % du PIB qui a conduit le patron de la banque centrale à démissionner l'année dernière ; politique industrielle ambitieuse qui se traduit par le nombre le plus élevés de brevets déposés parmi les pays de la triade – composée de l'Amérique du Nord, de l'Europe de l'Ouest et de l'Asie-Pacifique – et par la meilleure interface entre la recherche et les PME ; politique monétaire agressive, reposant sur des taux d'intérêt nuls pour favoriser l'investissement et les exportations, qui a conduit la monnaie japonaise à une baisse de son taux de change de 31 % depuis ans. Malgré cela, la croissance ne dépasse pas 0,7 %, ce taux étant amené à diminuer encore puisque l'Europe et les États-Unis consomment moins et donc importent moins, notamment de produits japonais.

Au vu de la gravité de la situation, la droite et la gauche doivent accepter de débattre de cette situation ; le journal Les Échos nous enjoignait récemment d'ouvrir les yeux sur la croissance zéro. Le discours optimiste sur le retour de la croissance nous empêche d'affronter la crise et d'en sortir. En jouant sur le temps de travail, mais également sur les politiques du logement, des économies d'énergie, du financement des PME, de la fiscalité et de l'agriculture, Nouvelle Donne pense que l'on peut créer plus de 2 millions d'emplois même sans retour de la croissance. Il n'y a pas de baguette magique, mais il faut agir dans l'ensemble de ces domaines. Ces 2 millions d'emplois permettront de relancer l'activité.

La plupart des économistes non seulement ne croient plus à un retour de la croissance, mais redoutent l'éclatement d'une nouvelle crise financière. La dette totale – publique et privée – se trouve dans un état bien plus dégradé qu'au moment de la crise de 1929. Avant de quitter la présidence de la banque centrale américaine, M. Ben Bernanke affirmait qu'il ne savait plus quoi faire pour relancer l'économie après avoir injecté 1 000 milliards de dollars en un an pour financer les bons du Trésor américains. Il expliquait également que les chiffres du chômage et de la croissance donnaient une fausse image de la réalité, le bon indicateur étant le taux d'activité. Or 300 000 à 400 000 Américains sortent des statistiques du chômage chaque mois, parce qu'ils sont découragés. Il y a un an, le taux d'activité était tombé à 63,2 % aux États-Unis ; il est maintenant de 62,8 %.

Beaucoup d'économistes pensent que le meilleur scénario possible pour l'Europe serait de se trouver dans la même situation que le Japon, mais la perspective d'une grande crise se rapproche : la bulle immobilière chinoise atteint 23 % du PIB, alors qu'elle ne dépassait pas 14 % du PIB avant d'éclater en Espagne. Les marchés financiers nourrissent donc aujourd'hui de grandes inquiétudes et pensent que l'activité est en train de reculer en Chine.

Les prévisions de croissance contenues dans les programmes de MM. François Hollande, Nicolas Sarkozy et François Bayrou étaient les mêmes à 0,1 point près. Ce retour de la croissance constamment invoqué n'est pas sérieux ! Une nouvelle crise serait plus grave qu'en 2008 car les instruments utilisés alors pour la conjurer s'avéreraient moins efficaces. Il est urgent de renforcer la cohésion de notre pays et de lutter contre le chômage, afin que la prochaine crise ne disloque pas notre société.

J'avais été frappé par le fait que, lorsque, le 5 juillet 2012, j'avais rencontré M. Emmanuel Macron à l'Élysée, celui-ci souhaitait que l'on se revoie, le pouvoir n'ayant à ce moment-là pas de doctrine économique.

La courbe de la dette totale des États-Unis depuis 1950 fait apparaître une rupture et un début d'explosion à l'arrivée de M. Ronald Reagan à la Maison-Blanche ; avant 1980, il n'y avait donc pas de dette, mais de la croissance. Le New Deal mis en place par M. Franklin Roosevelt et le programme du Conseil national de la Résistance (CNR) en France – élaboré par des gens de droite et de gauche – ont réussi car leurs promoteurs savaient que l'équilibre social était indispensable ; cela a permis de bénéficier d'une période de 30 ans de croissance – même si tout n'était pas parfait et que des problèmes de gaspillage et de pollution commençaient déjà à apparaître. La crise de la dette résulte des politiques de dérégulation. M. Henry Ford, pourtant pas un homme de gauche, défendait l'établissement de règles sociales car sans elles, tous les patrons préféreraient bloquer les salaires, ce qui les priverait de clients. Or si seule une entreprise augmente les salaires, elle se condamne à disparaître. L'arrivée au pouvoir des libéraux, notamment Mme Margaret Thatcher et M. Ronald Reagan, a entraîné la dislocation des règles collectives au profit de la liberté, mais celle-ci n'existe pas quand le chômage est élevé, car le salarié ne peut pas négocier son salaire et le patron de PME ne peut pas augmenter les revenus de ses employés quand ses concurrents ne le font pas. Au total, 150 % du PIB en 30 ans sont partis vers les marchés financiers au lieu de nourrir les salaires et donc les caisses de la sécurité sociale, de la retraite et de l'État ; ce chiffre provient de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). On ne peut donc pas parler de dette publique sans évoquer celle contractée, en sens contraire en contrepartie, par les marchés financiers auprès des peuples.

Dans ce contexte, M. Patrick Artus explique que les salariés acceptent beaucoup de reculs pour eux par peur du chômage. Dans une situation de plein-emploi, la dérégulation emporte des conséquences moins graves, car la liberté du salarié s'avère bien supérieure. Mais depuis 40 ans, le chômage et la précarité augmentent dans nos pays. M. Daniel Cohen estime que les délocalisations expliquent de 10 à 15 % des pertes d'emploi, le reste résultant des gains de productivité mal gérés. M. Robert Reich, ancien secrétaire au travail de M. Bill Clinton, estime qu'il convient d'opérer un autre partage des gains de productivité grâce à la diminution du temps de travail sans baisse de salaire et complétée d'une ample réforme fiscale. Il montre que l'emploi industriel décline fortement aux États-Unis, mais que la production industrielle reste assez stable, si bien que ce sont les gains de productivité qui expliquent la chute de l'emploi. On retrouve cette situation en France : il faut reconnaître que ceux qui délocalisent sont des voyous lorsqu'ils avaient promis de conserver les emplois sur place, mais les pertes de postes n'entraînent pas forcément un recul de la production grâce aux gains de productivité colossaux. M. Paul Krugman montre que la mise en place des politiques de dérégulation a entraîné un décrochage entre l'évolution des gains de productivité et celle des salaires, ces derniers ne suivant plus les premiers, la distribution des gains allant dorénavant vers les actionnaires.

Alors que l'on parle beaucoup de compétitivité, la question de la productivité fait l'objet d'un tabou. La plupart de nos dirigeants n'ont pas conscience de la révolution que l'on vit depuis 40 ans ; ils ne connaissent que la précédente révolution de la productivité, initiée par MM. Henry Ford et Frederick Taylor, et non l'actuelle. Aujourd'hui, on peut parcourir 15 mètres autour de la chaîne de production d'une usine sans rencontrer le moindre salarié. Cette évolution se retrouve dans les autres secteurs : on a simplement besoin de deux clics sur Internet pour acheter un billet de train, le monte-charge à moteur a remplacé en partie les déménageurs et seuls deux pilotes sont nécessaires dans un avion et non plus quatre. Un journaliste de Ouest-France me disait l'autre jour qu'à ses débuts, il dictait son papier à la secrétaire, des allers-retours étaient nécessaires pour les corrections et une autre personne s'occupait de la mise en page ; il peut maintenant taper son article et l'insérer lui-même dans la maquette sur ordinateur. Des métiers ont donc disparu du fait de notre intelligence et non des délocalisations en Chine. On a remplacé tous les emplois répétitifs, dangereux ou inutiles par des machines. Est-on capable de faire évoluer le contrat social dans ce nouveau contexte ?

Depuis 1970, le PIB réel – donc corrigé de l'inflation – a augmenté de 150 %, mais grâce aux gains de productivité, on produit deux fois et demi plus avec 7 % de travail en moins – 43 milliards d'heures étaient travaillées en 1970 contre 40 milliards aujourd'hui –, d'après l'INSEE. En outre, l'augmentation du travail féminin et celle de la qualification constituent des atouts supplémentaires. Or travailler ne constitue pas un but en tant que tel, même si l'on souhaite bénéficier d'un emploi intéressant, et l'on a besoin de moins de travail avec une population active qui a augmenté. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, la durée légale s'établit à 35 heures, mais la durée effective dépasse 39 heures : un salarié à temps plein en France travaille 39,6 heures par semaine en moyenne. Le contrat social n'a donc pas évolué depuis 40 ans, dans un contexte d'importants gains de productivité. Ceux-ci ne profitent pas à tout le monde, mais génèrent un chômage de masse qui représente une catastrophe humaine et un suicide économique.

Nouvelle Donne n'est pas favorable au partage du travail actuel, nous contestons le partage actuel qui fait beaucoup travailler les salariés à temps plein, qui laisse des millions de personnes au chômage et nombre d'autres dans des emplois précaires et à temps partiel subi. Il y a un an, je débattais avec M. Benoît Roger-Vasselin, numéro trois du MEDEF, qui se rangeait à mes positions au bout d'une heure de discussion. Il pointait la stupidité du partage actuel du temps de travail tout au long de la vie : avant 25 ans, personne ne bénéficie d'un vrai emploi, puis on demande d'être des surhommes aux personnes âgées de30 à 50 ans, pour enfin être jetés dès 50 ans – tout en devant cotiser plus longtemps pour sa retraite. M. Roger-Vasselin avait alors accepté la nécessité d'un nouveau contrat social impliquant les chômeurs et intégrant la notion de qualité de vie, alors qu'il avait commencé notre échange en affirmant que tout devait se négocier à l'intérieur de l'entreprise. Le président de la commission du budget du parlement espagnol a proposé, pour sa part, parmi une vingtaine de suggestions, l'établissement de la semaine de 32 heures en quatre jours, seule à même de créer des emplois.

Grâce à la loi du 11 juin 1996 tendant à favoriser l'emploi par l'aménagement et la réduction conventionnels du temps de travail – dite loi de Robien –, 400 entreprises ont mis en place la semaine de quatre jours. L'entreprise Mamie Nova l'a adoptée il y a 15 ans : les employés travaillent six jours par semaine, mais tous les salariés travaillent quatre jours, comme plus de la moitié des employés de Fleury Michon. Dans l'entreprise Ducs de Gascogne, qui produit du foie gras et du confit et connaît donc un pic d'activité saisonnier avant Noël, les salariés travaillent quatre jours par semaine dix mois par an, cinq jours deux mois avant les fêtes et même six jours au cours de cette période pendant la quinzaine précédant Noël : cette organisation s'avère bien meilleure que la précédente où tout le monde travaillait cinq jours par semaine toute l'année, l'équipe étant renforcée par des intérimaires ou des CDD pour la période d'intense activité ; elle a notamment permis d'embaucher des salariés en contrat à durée indéterminée (CDI).

La réduction du temps de travail doit être forte pour créer des emplois ; une diminution de deux ou trois heures s'avère insuffisante, comme l'a montré la seconde loi Aubry du 19 janvier 2000 relative à la réduction négociée du temps de travail qui permettait de signer un accord à 35 heures tout en prévoyant une durée réelle de travail de 37 heures. Dans ce cas, le seul résultat est de tendre l'organisation du travail. Voilà pourquoi M. Antoine Riboud défendait la nécessité de choisir la semaine à quatre jours sans étape intermédiaire.

S'agissant du financement, la meilleure règle – défendue notamment par MM. Michel Rocard et Jean-Paul Fitoussi – vise à dispenser de cotisations chômage l'entreprise qui embauche 10 % de son effectif en CDI. Mamie Nova a ainsi créé 130 emplois sans baisse de salaire grâce à l'exonération des cotisations chômage prévue par la loi de Robien – 10 % la première année puis 8 % la seconde. Ces 130 personnes cotisent pour les caisses de retraite et de maladie, et le nombre de chômeurs diminue de 90. M. Patrick Artus a démontré que ce dispositif était équilibré pour les finances publiques et pour l'assurance chômage. On peut donc efficacement « activer les dépenses de chômage », pour reprendre l'expression de la CFDT.

Il est surprenant que la réduction du temps de travail soit devenue un sujet tabou. Je rappelle que c'est M. Édouard Balladur qui avait mis en place une commission sur ce sujet, présidée par M. Jean Boissonnat, en 1995 ; son rapport recommandait de diminuer le temps de travail de plus de 20 % d'ici à 2015 et de favoriser la formation durant le temps libre. Cette orientation faisait l'objet d'un consensus il y a 20 ans, et M. Michel Barnier expliquait qu'il était nécessaire d'organiser un référendum sur la semaine de quatre jours afin d'édicter une règle claire et stable à la suite d'un débat de société. Le 13 juillet 1995, le Président de la République, M. Jacques Chirac, avait visité l'entreprise des brioches Pasquier, une des quatre entreprises françaises à l'époque à travailler quatre jours par semaine – grâce à un amendement de MM. Jean-Yves Chamard et Gérard Larcher adopté en 1993 –, et avait déclaré qu'il se demandait pourquoi cette organisation n'était pas mise en place ailleurs.

La réduction du temps de travail obéit à un mouvement historique, comme le rappelait M. Chirac à cette époque : en un siècle, on est passé de sept à six jours travaillés par semaine, puis à cinq, et le Président de la République trouvait alors opportun que ce mouvement continue.

Il s'avère urgent de relancer sereinement les négociations sur la réduction du temps de travail ; votre commission pourrait jouer un rôle en la matière, et il serait sans doute intéressant que vous auditionniez des responsables d'entreprises s'étant engagés dans cette voie. Que les licenciements soient évités constitue le minimum que l'on puisse attendre d'un pays qui fonctionne normalement. Au Canada, lorsqu'une entreprise perd des marchés, elle garde tous ses salariés, elle réduit le temps de travail à raison de la diminution de son activité, et l'État et l'assurance-chômage aident financièrement les employés pour qu'ils conservent 95 % de leur salaire. Le déclenchement de ce dispositif est très simple et tient dans un formulaire de deux pages. L'Allemagne a mis en place un système comparable, le Kurzarbeit ; depuis 2008, 1,5 million de salariés travaillent en moyenne 31 % de moins et n'ont pas été licenciés et gardent de 95 à 98 % de leur rémunération, grâce à l'aide de l'État, si une formation est suivie pendant le temps libre. Si la France adoptait une telle mesure, le chômage diminuerait de 1,5 million de personnes, selon la radio France Info. L'Assemblée nationale devrait donc suivre cette méthode et activer l'argent de l'assurance-chômage, au moins pour éviter les licenciements.

La réduction du temps de travail permet de lutter contre le chômage et de vivre, car on ne veut pas attendre l'âge de 65 ans pour profiter de son conjoint, de ses enfants et de ses amis. Afin de réduire le chômage, il convient également de mener une autre politique du logement : le fonds de réserve des retraites (FRR) dispose de 37 milliards d'euros, et certains pays utilisent ce type de fonds disponibles pour construire des logements plutôt que les placer sur les marchés financiers ; les Pays-Bas, où la population ne dépasse pas 17 millions d'habitants, ont ainsi produit 1 million de logements avec de telles ressources. Il y a lieu de conduire une nouvelle politique d'énergie ; M. Mario Draghi a déclaré que la banque centrale européenne (BCE) allait aider les banques à hauteur de 1 000 milliards d'euros : ne pourrait-on pas allouer cette somme au sauvetage de la planète et à la lutte contre le réchauffement climatique ? On devrait également accorder une véritable priorité aux PME et séparer réellement les banques de dépôt et d'affaires. Au total, on peut créer 2 millions d'emplois, ce qui changerait totalement l'atmosphère dans notre pays.

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Je connais vos théories, monsieur Larrouturou, car vous les développez depuis 20 ans, mais je me demande pourquoi elles ne rencontrent pas plus d'écho dans l'opinion publique. Nouvelle Donne a réalisé une petite percée aux dernières élections européennes, mais les économistes ne relaient pas votre discours. Il serait en effet intéressant de recevoir les directeurs des ressources humaines (DRH) des entreprises qui ont mis en place la semaine de quatre jours, mais ce mouvement s'est tari après la loi de Robien.

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Pierre Larrouturou, coprésident du mouvement Nouvelle Donne

La première loi Aubry, datant du 13 juin 1998, a permis la signature de beaucoup d'accords intéressants, mais la seconde a tué le processus.

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J'ai voulu poser cette question à M. Lionel Jospin.

La semaine des quatre jours est-elle applicable dans tous les secteurs, y compris ceux ouverts à la concurrence internationale ?

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Pourquoi vos idées, qui semblent composer un tableau idyllique, restent si minoritaires ? À mon avis, la raison principale tient dans le fait que vous simplifiez trop la réalité. Néanmoins, je suis d'accord avec vous pour affirmer que nous ne retrouverons pas des taux de croissance élevés ; je demande d'ailleurs – en vain jusqu'à présent – que l'on élabore le budget en ne tenant pas compte de la croissance du PIB, afin que celle-ci ne constitue pas la variable d'ajustement du solde des finances publiques en retenant la prévision de croissance qui permet de fixer le déficit au niveau souhaité.

Monsieur Larrouturou, vous raisonnez dans un monde sans frontières. Jusqu'aux années 1980, nous nous trouvions dans une économie de production dans laquelle il suffisait de produire ce que les gens consommaient, les avancées de la technologie permettant de réduire le temps de travail. Au bout d'un moment, la croissance du progrès technique stagne et les citoyens consomment moins car ils n'ont pas besoin de trois réfrigérateurs et de quinze télévisions. C'est ainsi que nous avons créé l'obsolescence programmée de tous les produits – même des maisons – afin de nourrir artificiellement l'activité. Aujourd'hui, les progrès de la technologie croissent à nouveau fortement – les smart phones contiennent plus d'intelligence que celle déployée par la NASA pour envoyer un homme sur la lune –, et il convient d'en tenir compte. Votre modèle fait abstraction du temps, des frontières et des monnaies.

Si l'on avait partagé les revenus du travail en même temps que le temps de travail lors de l'élaboration des lois sur les 35 heures, on n'aurait pas ébranlé notre compétitivité. Le solde des balances extérieures décroche entre la France et de l'Allemagne en 2002 – l'Allemagne dégageant maintenant un excédent de 170 milliards d'euros et la France un déficit de 60 milliards d'euros –, car la mise en place de l'euro nous interdisait de dévaluer ; or la France dévaluait souvent pour maintenir sa compétitivité relative par rapport à l'Allemagne, cette dernière ayant toujours fabriqué des produits de meilleure qualité que les nôtres. Cela montre bien l'importance de la monnaie. Pour les chefs d'entreprise, le temps de travail constitue un handicap bien moins important que les contraintes, l'organisation et le mode de vie français – par exemple, on nous a cité des cas où les inspecteurs du travail empêchent d'embaucher des personnes de moins de 18 ans ou imposent à de petites entreprises des travaux pour 800 000 d'euros en raison d'un risque de présence d'amiante. C'est cela qui pèse au quotidien. On s'attarde trop sur le temps de travail, alors que c'est notre système global qui présente des vices de construction. Or nous sommes en compétition avec le monde entier, les Chinois aujourd'hui et les Indiens demain : il faut intégrer cette question des frontières.

Votre modèle idyllique s'avère simplificateur, car on a l'impression que travailler quatre jours résoudra nos problèmes. Nous devons faire face à une forte contrainte de temps : depuis 30 ans, les budgets sont en déficit, et nous devons trouver 200 milliards d'euros sur les marchés financiers, cette année, pour rembourser nos levées d'emprunts et continuer de fonctionner. Nous avons besoin de mesures aux résultats immédiats.

Vous avez oscillé entre le Parti socialiste et les Verts au cours de votre parcours politique : on sent un mélange de ces deux inspirations chez vous, puisque vous croyez à la croissance écologiste, qui redistribuerait les emplois, mais ce modèle n'arrive pas à montrer son efficacité. Vous avez de bonnes idées, mais elles ne peuvent pas s'intégrer à notre monde marqué par la compétition internationale.

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Jusqu'à aujourd'hui, les dispositions de réduction du temps de travail se sont accompagnées d'un allègement de cotisations sociales visant à compenser les hausses induites du SMIC horaire. Ces dispositifs ont donc un coût. Une nouvelle étape de la RTT s'accompagnerait-elle d'une compensation de charges salariales ?

L'une des conséquences des lois Aubry fut un gel des salaires pendant dix à douze ans. La mise en place des 32 heures entraînerait-elle une modération salariale ?

Je crois beaucoup aux bienfaits de la modulation du temps de travail selon l'âge. Je suis élu d'une circonscription bretonne où de nombreuses industries agroalimentaires sont implantées, et on constate qu'il s'avère difficile d'assumer certaines tâches physiques après 55 ans.

Tout le monde est utile à la bonne marche de la société. De très nombreuses personnes sont privées d'emploi dans notre pays. Pensez-vous qu'il serait opportun de confier des tâches d'intérêt général – autour des enfants et des personnes âgées ou dans le domaine environnemental par exemple – aux chômeurs bénéficiant d'allocations publiques ? Cela permettrait à ces personnes de ne pas être exclues de la vie en commun et de ne pas se trouver isolées. M. Laurent Wauquiez proposait de mettre les chômeurs au travail. Je prends la question en sens inverse et constate que ces personnes n'ont pas d'emploi, alors que le travail existe. Ne pouvons-nous pas élaborer des propositions en ce sens ?

M. Lionel Jospin nous a affirmé qu'au moment de la conception de la législation sur les 35 heures, il n'était pas question de l'appliquer à la fonction publique. Existe-t-il des gains de productivité et de compétitivité ainsi que des marges d'économies pour le budget de l'État si l'on se penche sur la question de la durée du travail dans la fonction publique ?

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Pierre Larrouturou, coprésident du mouvement Nouvelle Donne

Monsieur Noguès, beaucoup de bonnes idées ont connu un lent cheminement : le droit de vote pour les femmes, la fin de l'apartheid, la taxe Tobin – mise en place par dix pays de l'Union européenne (UE) alors que MM. Lionel Jospin et Gerhard Schröder expliquaient il y a quinze ans que cela détruirait les marchés financiers –, le salaire minimum en Allemagne – actuellement discuté au Bundestag parce que les « petits boulots » entraînent une contraction de la consommation, notamment celle des voitures qui a diminué de 7 % lors des dix-huit derniers mois.

Nos idées ne progressent pas plus vite, car nous manquons de temps, ressource fondamentale. En outre, sommes-nous capables de parler aux citoyens comme à des amis, c'est-à-dire sommes-nous capables de faire preuve de fraternité ? MM. Franklin Roosevelt et Pierre Mendès-France parlaient chaque semaine aux citoyens, ce qui créait une dynamique d'intégration des citoyens à la gestion des affaires publiques. Le cumul des mandats empêche les élus de réfléchir ; M. Olivier Schrameck, lorsqu'il était directeur du cabinet de M. Lionel Jospin à Matignon, expliquait que les ministres n'étaient présents que deux jours par semaine à Paris à cause du cumul des mandats et n'étaient donc plus que les porte-voix des hauts fonctionnaires de leur ministère.

En outre, certains politiques méprisent tellement leurs concitoyens qu'ils ne prennent plus la peine de leur donner à réfléchir. M. Brice Hortefeux, bras droit de M. Nicolas Sarkozy alors ministre du budget, m'avait invité en 1994 à Clermont-Ferrand pour rencontrer des chefs d'entreprise et débattre de la semaine de quatre jours. Le débat se déroule très bien et il me propose de rencontrer M. Sarkozy, ce que j'accepte afin d'obtenir son feu vert pour mener des expériences de réduction du temps de travail. Celui-ci me reçoit très gentiment, m'écoute pendant dix minutes puis me demande combien je gagne. Alors que j'étais bien payé chez Arthur Andersen, il me dit que je pourrais avoir un bien meilleur salaire et me donne des conseils pour y arriver plutôt que de me poser des questions sur le chômage. Après l'entretien, M. Hortefeux me demande comment celui-ci s'est déroulé ; je lui réponds qu'il ne s'est pas bien passé, car il n'y a pas eu de débat, et il m'explique que M. Sarkozy ne fera jamais cinq minutes de pédagogie car il ne dit que ce que les gens veulent entendre avec les mots qu'ils souhaitent entendre. C'est là la définition du populisme. Après trente années de crise et d'un chômage de masse qui tue – la mortalité chez les chômeurs est trois fois supérieure à celle des personnes ayant un emploi et des paysans se suicident toutes les semaines –, sommes-nous capables d'arrêter de penser à l'élection présidentielle et de réfléchir trois heures à un problème ? Les idées simples de Mme Marine Le Pen peuvent très bien se défendre en une minute – « il y a trop d'immigrés » et « il faut sortir de l'Europe » sont des phrases facilement assimilables par le cerveau reptilien. Les républicains savent, eux, qu'aucune solution ne se développe en une minute. Nous devrions tous prendre du temps pour réfléchir et pour trouver des moyens de nous adresser aux citoyens. Le niveau du débat en matière sociale est dramatique ; cela fait 20 ans que j'évoque ces sujets et l'on n'a pas réalisé le moindre progrès – alors que le progrès technologique et médical fut spectaculaire lors des deux dernières décennies, que l'on pense aux smart phones ou aux guérisons des leucémies infantiles, grâce au dévouement dans le travail des professionnels de ces secteurs. En politique, celui-ci a disparu, et il convient de reconstruire une éthique du politique pour s'adresser à l'intelligence et à la conscience des citoyens.

Nouvelle Donne ne raisonne pas dans un monde sans frontières. S'agissant des frontières, les entreprises que j'ai citées se situent toutes dans des marchés concurrentiels. Le passage à la semaine de quatre jours chez Mamie Nova n'a pas augmenté d'un centime le coût de production ; de même Fleury Michon reste une entreprise très bien cotée, rentable et qui continue d'innover en matière de marketing et de produits. Pour ces entreprises, il n'y a aucune opposition entre les innovations sociale et technologique. Dans une entreprise de logiciel informatique située à Chambéry, les salariés travaillent un quart d'heure de plus par jour, mais ne viennent que quatre journées dans la semaine, si bien que les clients bénéficient d'horaires d'ouverture allongés ; quant aux concepteurs des logiciels, ils bénéficient d'une semaine de vacances toutes les cinq semaines.

Le passage à la semaine de quatre jours améliore l'efficacité de l'entreprise : les responsables de Mamie Nova expliquent ainsi qu'ils ont rajeuni la pyramide des âges et fait entrer de nouvelles compétences à masse salariale constante. Le DRH vous dira que l'absentéisme a diminué. Si quelqu'un s'est cassé la jambe, on peut demander à l'un de ses collègues de travailler cinq jours par semaine pendant un mois. Cette souplesse se retrouve encore davantage dans les PME. Dans les Pyrénées, une station de ski, une fabrique de chocolat et une entreprise de sport d'été ont constitué un groupement d'employeurs à l'occasion d'une réflexion conduite sur le temps de travail : elles ne travaillent que pendant trois mois et n'embauchaient donc que des contrats précaires ; dorénavant, les salariés disposent d'un CDI et effectuent trois activités différentes dans l'année. Dès que le débat est serein, des solutions peuvent être trouvées.

La réduction du temps de travail doit être forte pour embaucher ; il convient de maintenir le niveau des salaires, de les bloquer et d'indemniser les entreprises en la dispensant par exemple de cotisations chômage si elle crée 10 % d'emplois. En outre, un accord d'intéressement peut être mis en place, si bien que les salaires peuvent reprendre leur progression au bout d'un an ou de 18 mois. L'ensemble d'un tel plan fait souvent l'objet d'un référendum dans l'entreprise. On ne peut accorder des compensations à l'entreprise que si elle embauche ; la seconde loi Aubry présentait ce défaut de ne pas créer d'emplois. Avec MM. Michel Rocard et Stéphane Hessel et des responsables syndicaux, nous avions alerté le gouvernement sur l'erreur consistant à prévoir 70 milliards de francs d'exonérations sociales sans aucune contrepartie et à ne pas inciter les entreprises à créer d'emplois puisque les allègements de cotisations ne dépendaient pas du nombre de salariés embauchés. La loi de Robien et la première loi Aubry ont permis la signature d'accords intéressants avec des créations d'emplois et un équilibre pour les finances publiques, mais la seconde loi Aubry n'a pas atteint cet objectif, ce qui a pesé sur le débat sur la réduction du temps de travail.

Monsieur le président, la modération salariale en France ne résulte pas principalement des 35 heures. L'ensemble des salaires ont diminué de 5 % au Japon : la contraction des salaires s'avère commune à tous les pays développés. Le chômage et la précarité pèsent partout sur les négociations salariales. Il est vrai que les salaires ont été bloqués pendant un an ou deux en France, mais le mouvement est général.

À titre personnel, je pense que l'on pourrait demander à des chômeurs de travailler, mais il faut tenir compte du fait que, par exemple, le patron qui a une entreprise de jardinage et de nettoyage des rivières a souvent du mal à faire vivre ses trois salariés, et le travail gratuit d'un chômeur pourrait avoir raison de son entreprise. Nouvelle Donne réfléchit à un service civil, qui pourrait occuper les retraités : nombre de couples rencontrent des difficultés à faire garder leurs enfants, alors que beaucoup de retraités s'ennuient et aimeraient s'occuper d'enfants. On pourrait organiser un tel service, mais que diront les assistantes maternelles qui auront l'impression qu'on leur confisque leur travail ? Ce sujet mérite donc une réflexion approfondie.

Nouvelle Donne est le seul parti qui démontre qu'il est possible de revenir à l'équilibre des finances publiques sans pratiquer d'austérité. Par exemple, le taux d'imposition des bénéfices est passé de 37 % à 25 % en vingt ans en Europe, alors qu'il se situe à 40 % aux États-Unis. L'Irlande notamment ne cesse de tirer cet impôt vers le bas, car elle souhaite attirer les entreprises étrangères. Or, l'impôt américain est fédéral, depuis M. Franklin Roosevelt qui a ainsi combattu le « tourisme fiscal » des entreprises américaines : celles-ci ne cessaient de changer d'État, ce qui poussait tous les impôts sur les bénéfices des États fédérés à la baisse. Les entreprises ont fortement combattu le projet de M. Roosevelt, mais celui-ci n'a pas cédé. Sommes-nous capables de mettre en oeuvre le même dispositif en Europe ? Probablement non, surtout quand lorsqu'on entend le Premier ministre dire aujourd'hui que la France doit baisser son imposition des bénéfices. Un impôt fédéral sur les bénéfices finançant les politiques européennes comme la politique agricole commune (PAC) permettrait à la France d'économiser 21 milliards d'euros.

M. Mario Draghi vient de débloquer 1 000 milliards d'euros pour les banques à un taux de 0,1 %. Pourquoi impose-t-on alors des taux d'intérêt plus élevés à la France, l'Espagne ou l'Italie ? Avec M. Rocard, nous avons montré que l'on pourrait financer la dette publique à 0,1 % sans changer les traités : la BCE ne peut pas prêter directement aux pays, mais elle peut financer la Banque européenne d'investissement (BEI) qui peut ensuite prêter aux pays. De même, on peut lutter contre les paradis fiscaux : M. Barack Obama a fait voter une loi, le projet Foreign Account Tax Compliance Act (FATCA), en ce sens. Je vous entends dire « bien sûr », monsieur le président, mais pourquoi ne le faisons-nous pas en France ? À la place, on préfère bloquer les pensions de la moitié des retraités et diviser par deux les recrutements au Centre national de la recherche scientifique (CNRS). Des personnes y réalisent des travaux sur la chimie du cerveau à une époque où l'on sait que le nombre des malades d'Alzheimer va augmenter inexorablement, et l'on y divise les recrutements par deux dans le même temps pour des raisons financières. Alors qu'adopter la même loi qu'aux États-Unis permettrait de récupérer 20 milliards d'euros. On peut donc tendre vers l'équilibre des finances publiques sans austérité, sans bloquer les retraites et sans diviser par deux les embauches au CNRS.

Tout n'est pas faisable tout de suite, certaines mesures mettront trois ans à être négociées en Europe ; de même l'UE, première cliente de la Chine, attendra encore avant d'appliquer des montants compensatoires aux importations chinoises si aucune norme sociale n'est respectée en Chine. De même, on ne résout pas les problèmes d'éducation et de logement en trois semaines. En revanche, appliquer le système canadien ou allemand pour éviter les licenciements ne nécessite que deux mois de négociation avec les partenaires sociaux. Mobiliser l'argent du FRR pour le logement plutôt que de confier cet argent à BNP-Paribas et à Barclays qui le perd sur des marchés en baisse n'exige qu'un décret du Premier ministre. M. Manuel Valls peut le décider demain. Tous les politiques disent « bien sûr » à nos idées dont certaines pourraient faire l'objet d'un consensus, mais rien n'est jamais fait.

Votre commission pourrait imposer le temps de travail comme une partie du contrat social global et non comme une question à traiter isolément. Les Pays-Bas accusaient un déficit commercial très important, souffraient d'un fort problème de compétitivité, et subissaient le chômage et la précarité ; les accords de Wassenaar furent le résultat d'une vaste négociation de trois mois entre le gouvernement, l'opposition, les patrons et les syndicats. Quinze propositions en sortirent : simplification des licenciements contre sécurité pour les chômeurs, allègement du code du travail contre droits pour les salariés, nouveau financement des PME et financement des retraites sur une assiette plus large. Un nouveau contrat social fut mis progressivement en place ; celui-ci a permis à la balance commerciale de retrouver son équilibre, de diviser respectivement par trois et quatre le nombre de chômeurs et celui des « petits boulots ». Or les Pays-Bas sont un pays très ouvert à la mondialisation. Au bout de trente ans de crise, on pourrait peut-être s'arrêter trois mois pour adopter une démarche similaire. C'est ce que Nouvelle Donne propose et votre commission pourrait aider à emprunter ce chemin.

PermalienPhoto issue du site de l'Assemblée nationale ou de Wikipedia

J'ai dit « bien sûr » après votre intervention sur les paradis fiscaux, car les citoyens nous interpellent régulièrement sur ce sujet. Les députés posent souvent des questions écrites et orales au Gouvernement sur cette question.

Pourriez-vous répondre à ma question sur le temps du travail dans les fonctions publiques ?

La création de cette commission d'enquête a été votée à l'unanimité. Je suis convaincu que nos concitoyens sont prêts à accepter de nombreuses évolutions sur les institutions territoriales, le code du travail ou le financement des retraites. Encore faut-il que les responsables politiques expliquent la situation et tracent un chemin.

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Pierre Larrouturou, coprésident du mouvement Nouvelle Donne

Lorsque nous sommes passés de sept à six jours travaillés, il a fallu qu'une coalition composée de l'Église et de la CGT milite pour que le dimanche soit chômé. Depuis cette époque, on a pris l'habitude de vivre autour du même contrat social, alors que les gains de productivité diffèrent fortement d'un secteur à l'autre. Les salariés du privé et du public devraient bénéficier de la même évolution du contrat social, mais il faut régler les problèmes de formation – la restriction de l'accès aux écoles d'infirmières, sous la pression du ministère du budget, a ainsi beaucoup contribué aux difficultés de mise en place des 35 heures à l'hôpital public.

L'ensemble des actifs de ce pays ont vocation à travailler quatre jours par semaine, cette évolution devant s'opérer de manière souple. En outre, cela constituerait une opportunité pour réaliser des gains de productivité dans les secteurs public comme privé, les entreprises décidant la proportion d'emplois nouveaux dont elle a besoin. Dans le service public, de forts gains de productivité peuvent être réalisés dans les administrations centrales des ministères, alors que l'emploi public a besoin de créations de postes d'infirmières. Cette souplesse exige l'organisation d'un débat serein.

L'audition s'achève à treize heures trente.

Présences en réunion

Présents. - M. Thierry Benoit, M. Jean-Pierre Gorges, M. Philippe Noguès, Mme Barbara Romagnan