La réunion

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L'audition commence à dix-sept heures trente-cinq.

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Nous avons l'honneur de clore les travaux de la commission d'enquête par l'audition du principal ministre concerné par le dossier, M. Arnaud Montebourg, ministre du redressement productif.

Monsieur le ministre, soyez le bienvenu. Nous savons que vous êtes très investi dans ce dossier. Avant même votre entrée en fonction, vous vous étiez déplacé deux fois sur le site. Depuis que vous êtes en responsabilité, vous avez eu des échanges connus de tous avec M. Maurice Taylor, P-DG de Titan. Au début de l'année, vous avez confié à l'Agence française des investissements internationaux (AFII) le soin de chercher un repreneur. Enfin, depuis quelques jours, vous êtes le dépositaire d'une nouvelle offre de reprise de Titan.

Quelles actions avez-vous menées sur ce dossier ? Comment appréciez-vous les responsabilités des uns et des autres ? Quels enseignements peut-on tirer de ce cas ? Par ailleurs, pouvez-vous préciser dernier le projet de reprise par Titan ? Saviez-vous qu'il s'entendait après la fermeture de l'entreprise ? Dans quelles conditions juridiques peut-il s'opérer ?

Conformément aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958, je vais vous demander de prêter le serment de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité.

Veuillez lever la main droite et dire : « Je le jure ».

(M. Arnaud Montebourg prête serment.)

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Le conflit est effectivement exemplaire et met aux prises des acteurs exceptionnels. Étant en négociation avec les parties, je n'ai ni à évaluer leurs responsabilités ni à juger leur action. J'ai toujours considéré que le combat des salariés qui défendent leur travail est légitime. Quant à savoir jusqu'où peut aller un syndicat, c'est une question qui relève de la conscience de chacun. J'appartiens à un Gouvernement qui cherche à faire reprendre le site et à protéger l'emploi. À ce titre, je m'abstiendrai de mettre qui que ce soit en cause. Mon travail est seulement de faire que tous les acteurs du dossier puissent se parler.

L'affaire commence en avril 2007. Pour améliorer la compétitivité d'Amiens-Nord et d'Amiens-Sud, Goodyear Dunlop Tires France envisage de produire des pneus à plus forte valeur ajoutée, ce qui suppose des investissements et le passage aux 4x8. En 2008, ce projet, qui avait fait l'objet d'un référendum favorable, est rejeté par certaines organisations syndicales, et ne voit pas le jour.

Peut-être la direction conçoit-elle le désir de punir le site qui refuse sa proposition. Toujours est-il qu'en 2008, elle prévoit le licenciement collectif de 400 salariés. L'année suivante, elle double le nombre de postes concernés par la procédure et songe à céder l'activité agricole, pourtant en croissance. La direction aurait pu cependant choisir une autre voie que le désengagement et tenter de discuter pour convaincre les syndicats.

En 2009, le conflit se porte sur le terrain judiciaire. Le plan social est suspendu pour défaut d'information. La première offre de Titan intervient en décembre 2010. Après discussion, Goodyear propose un plan de départ volontaire (PDV) aux salariés qui travaillent dans le pneu de tourisme, tandis que Titan pense reprendre 537 salariés du secteur agricole. On éviterait ainsi le plan de sauvegarde de l'emploi (PSE) et l'on dédommageait les salariés qui vont perdre leur travail. C'est dans cet état que je trouve le dossier.

La discussion associe trois parties. Les organisations syndicales butent sur le fait que Titan ne souhaite pas s'engager au-delà deux ans. Elles soupçonnent la défaisance, craignant que le groupe ne veuille acheter l'usine pour s'en débarrasser en conservant les brevets, scénario peu vraisemblable, compte tenu de la personnalité de M. Taylor. Goodyear n'a peut-être pas tout fait pour les convaincre. Quoi qu'il en soit, la CGT et Titan ne font pas affaire. Je défends en vain l'idée d'un accord, mais, après des années de conflit, les parties ne se font pas confiance. Les salariés craignent que la direction ne tienne pas ses promesses, et celle-ci qu'ils ne multiplient les difficultés. Bref, les conditions ne sont pas réunies pour dialoguer, faire des concessions et aboutir à un accord satisfaisant pour tous.

Le rôle de mon ministère est non de donner raison à tel ou tel mais de trouver des solutions industrielles. En l'espèce, les parties doivent renoncer à la position sur laquelle elles sont arc-boutées et trouver un compromis où chacun serait gagnant. Les salariés sauveraient leur emploi. Goodyear préserverait sa réputation en partant dans des conditions honorables. Titan reprendrait l'activité.

Après l'échec de septembre 2012, Goodyear choisit de fermer l'usine, c'est-à-dire de passer en force, en affrontant de multiples procédures judiciaires. Au PDV et au projet de reprise succède la décision de fermer aux termes de la convention collective. Jugeant cette issue moins avantageuse qu'une solution industrielle, j'écris à M. Taylor qu'après nous être ratés, nous pouvions peut-être nous retrouver.

Avec sa verve et son sens inné de la provocation, il m'envoie publiquement une lettre insultante, dans laquelle il reproche aux Français de ne pas travailler plus de trois heures par jour, soit le temps auquel se réduit désormais l'activité d'Amiens-Nord. Je lui rappelle notre grande admiration pour les États-Unis, le fait que nous soyons la première destination européenne des investissements américains et que ses compatriotes ne se plaignent pas des travailleurs français. Si j'entends réparer notre honneur offensé, je veux surtout maintenir le dialogue et inviter M. Taylor à venir me voir, ce qu'il fait un an plus tard, en août 2013.

Entre-temps, l'AFII cherche un repreneur, frappant, dans le monde entier, à la porte des principaux groupes industriels du pneu. En Chine, en Inde, au Canada comme en Tchéquie, elle contacte cinquante-sept entreprises. Huit se déclarent intéressées. Cinq signent un accord de confidentialité. Deux offres sont présentées.

Un groupe très sérieux se plaint, à cette occasion, de l'attitude de Goodyear, qui refuse de transmettre des informations, comme si, ayant choisi de fermer l'usine, il n'envisage pas réellement de réouverture. Souhaite-t-il toujours punir les salariés ? J'engage les dirigeants à plus de transparence, mais les offres sont retirées en raison de l'extrême conflictualité du dossier, imputable tant à la dureté, à l'intransigeance de Goodyear qu'à la CGT, qui refuse toujours de comprendre qu'on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre.

Titan, qui a repris l'ensemble des activités de Goodyear dans le monde, me demande d'organiser la paix des braves. Pour éviter toute surprise, je rends publique la position de M. Taylor. Celui-ci souhaite un accord entre Goodyear et les syndicats afin qu'il puisse reprendre l'activité agricole. Sa proposition est non plus de deux ans mais de quatre. Elle porte non plus sur 537 emplois mais sur 333. L'investissement prévu se monte à 40 millions d'euros. Je le remercie de cette offre, qui montre que la France, par son charme, a su désamorcer ses critiques. Je me réjouis qu'il souhaite embaucher des travailleurs français. Enfin, je lui souffle qu'un mot de regret serait le bienvenu. Dans un entretien avec un journaliste du Monde, il se dit désolé à l'idée qu'il aurait pu en blesser certains. Je le remercie de cette parole d'apaisement.

Pour qu'il puisse reprendre le site, un accord doit intervenir entre Goodyear et la CGT. Autrement dit, tout le monde doit mettre de l'eau dans son vin, après des années extrêmement conflictuelles. L'offre s'inscrit dans la politique générale de reprise par Titan, au plan mondial, de l'activité agricole de Goodyear. Goodyear y est favorable, comme la CGT, pourvu que Titan fasse un pas vers elle. Chaque partie peut donc s'accorder avec les deux autres avant de signer, mais toutes doivent consentir un effort.

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La direction de Goodyear partage-t-elle l'intérêt des autres parties pour le projet de reprise ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Elle craint, si elle reprend la procédure où elle l'a abandonnée en septembre 2012, de devoir repartir à zéro, alors qu'elle a déjà gagné un grand nombre de procès. C'est ce qui explique son désir de fermer l'usine. Je pense pourtant qu'elle a envie d'en sortir, ce qui est possible si la CGT renonce à certains recours. Tout le monde doit faire un effort.

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La Picardie est une des régions les plus touchées par le chômage : elle a perdu 6 000 emplois en 2012, trois fois plus qu'en 2011. Quelles initiatives prendrez-vous pour la réindustrialiser ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

La Picardie, Nord-Pas-de-Calais, Champagne-Ardenne et la Lorraine, régions de monoculture industrielle, connaissent un taux de chômage et de désindusrialisation élevé. Même quand les difficultés touchent des petites entreprises, j'ai chargé les commissaires au redressement productif (CRP) d'aller sur le terrain chercher des solutions, car on ne peut pas abandonner des outils industriels viables.

La monoculture n'a pas favorisé la formation, mais nous sommes décidés à mener un travail de reconversion avec les régions et les collectivités locales. En outre, la Picardie est parfaitement située pour attirer les projets d'implantation. Je publierai bientôt une carte des zones en difficulté, que nous devons rendre plus attractives, car c'est en attirant de nouveaux investissements qu'on réparera les dégâts de la crise.

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Les règles fiscales, sociales et environnementales de l'Union assurent-elles les conditions d'une concurrence loyale ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Depuis cinq ans, l'Europe, qui a connu de nombreuses délocalisations, a vu son activité se ralentir. Son taux de croissance est faible, voire négatif. Même si l'on vante le modèle allemand, le vrai modèle – celui qui permet de relancer la croissance par une politique monétaire et budgétaire souple – est américain ou japonais. Comme le dit Enrico Letta, président du Conseil italien, on peut mourir d'austérité.

Les difficultés économiques prolongées, jointes à une certaine naïveté du système libéral, qui favorise la concurrence déloyale, ont intensifié la concurrence sur le sol européen. L'obsession libérale nous pousse à laisser entrer chez nous des produits exemptés des contraintes que nous infligeons à notre industrie. C'est précisément parce que celles-ci sont légitimes – il est normal de préserver les travailleurs ou la santé du consommateur – que nous devons nous protéger d'une concurrence qui les piétine.

Mme Bricq et moi-même avons demandé à la Commission européenne de prendre des mesures douanières. Aujourd'hui, 99,2 % du commerce européen sont exonérés de toute barrière douanière. En raison de la dissymétrie entre l'ouverture de nos marchés et la politique de nos partenaires mondiaux, nous sommes attaqués sur des productions que nos propres multinationales délocalisent vers d'autres continents. Même Mittal demande à la Commission d'imposer des règles de protection. Onze mesures douanières ont été prises sur les aciers spéciaux.

La Commission, qui exerce des pouvoirs propres sous le contrôle des États membres, gagnerait à mieux protéger le sol européen. Nous menons en ce sens un travail diplomatique à Bruxelles. Une enquête est en cours sur les matériels de télécommunication des fabricants chinois, qui ont, par le dumping, détruit l'industrie allemande, française, italienne et espagnole de panneaux photovoltaïques. Les groupes mondiaux préfèrent désormais produire en Chine et en Inde des pneus qu'ils exportent chez nous.

Michelin, numéro deux mondial, qui détient 15 % des parts de marché, doit se réorganiser sur notre territoire et augmenter la taille de ses usines. Il a fermé celle de Joué-lès-Tours pour doubler la taille de celle de La Roche-sur-Yon et la rendre capable d'affronter la concurrence du low cost. Ce groupe patriote, qui vient d'investir un milliard en France et d'augmenter de 200 millions ses investissements dans son centre de R&D, à Clermont-Ferrand, subit une concurrence de plus en plus dure, qui le conduit, bien qu'il fasse des bénéfices, à restructurer l'appareil industriel. On ne ferait que l'affaiblir en freinant sa politique.

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Il semble que la délocalisation de Goodyear en Pologne se justifiait par un désir d'optimisation fiscale, ce qui est une forme de concurrence intra-européenne.

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Goodyear dit avoir vu chuter sa rentabilité et se réduire sa marge opérationnelle. Je note cependant que, l'an dernier, sa cote en bourse a augmenté de 90 % et qu'il a dégagé un milliard de bénéfice. La recherche du profit maximal peut l'amener à considérer qu'une marge de 5 % ne suffit pas. D'autres s'en contenteraient, pourtant.

Il arrive que la position des États soit plus faible que celle des entreprises, qui peuvent jouer sur les modèles sociaux, fiscaux et environnementaux. Cela dit, ce n'est pas toujours le cas, et je me félicite que le Gouvernement ait pris des mesures pour lutter contre l'optimisation fiscale. Si nous exigeons des salaires minimum dans toute l'Europe, notamment en Allemagne, c'est pour décourager la lutte entre États, qui s'effectue au détriment des travailleurs. Reste que la bataille ne se gagnera pas en un jour.

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Quel message souhaitez-vous faire passer aux ouvriers d'Amiens-Nord ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Le combat paie, puisque Goodyear a reculé et que Titan a présenté plusieurs offres successives, mais vous connaissez la formule de Maurice Thorez : « Il faut savoir terminer une grève. » J'ai de l'estime pour les ouvriers, qui peuvent être touchés par le désespoir. Je connais leur combat mais j'espère trouver un accord avec toutes les parties.

La CGT m'a fait part de sa bonne volonté pour chercher un terrain d'entente, et je l'en remercie. J'ai entendu les excuses du P-DG de Titan, qui, revenant sur ses propos blessants, accepte de s'engager pour plus de quatre ans. J'attends que la direction de Goodyear mette de l'eau dans son vin, pour sortir honorablement d'un conflit où elle a sa part de responsabilité. C'est surtout à elle que j'adresse un message.

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Pourquoi parle-t-on d'optimisation fiscale à propos de Goodyear ? Est-ce parce qu'Amiens-Nord ne travaillait que pour un seul donneur d'ordre ?

Titan propose, après liquidation, de reprendre 333 salariés, non dans le cadre de l'article L.122-12 du code du travail, mais en signant de nouveaux contrats. Cela signifie-t-il dire que les salariés protégés pourraient ne pas être repris ?

Confirmez-vous, comme l'a suggéré l'avocat de Goodyear, qu'il existe, dans le cadre d'une cession partielle avant liquidation, une garantie de passif potentiel ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Amiens-Nord est une usine façonnière dont le donneur d'ordre est la société Goodyear Dunlop Tires Operations (GDTO), située au Luxembourg. Celle-ci fait exécuter le travail à un prix conçu artificiellement pour augmenter le profit dans des zones de basse pression fiscale. La loi de finances pour 2014 vise à redresser ce type d'abus. Des groupes reprochent d'ailleurs au Gouvernement son activisme sur le sujet.

L'optimisation fiscale se double parfois d'une optimisation sociale. Goodyear voulait appliquer à Amiens-Nord, en contrepartie d'un investissement, le système des 4x8. Face au refus des salariés, la société a renoncé à investir et décidé de fermer l'usine.

Titan a demandé au ministère de réussir où lui-même avait échoué en septembre 2012 : en trouvant un accord entre Goodyear et la CGT pour que la reprise s'effectue dans la continuité de l'exploitation. C'est cette solution qu'il privilégie. À défaut, les salariés se retrouveront à la rue et le groupe embauchera pour lancer une nouvelle activité. N'ayant pu conclure d'accord en 2012, Goodyear France préférerait clore ce dossier, conformément à la prescription du groupe américain. Il m'appartient de rapprocher des points de vue encore éloignés. Certes, les lettres de licenciements vont être envoyées, mais des recours sont encore possibles.

Mon équipe recherche une solution qui permettrait à Titan de reprendre l'outil industriel et d'investir. Les salariés de l'activité tourisme licenciés bénéficieraient d'un PDV plus généreux qu'un plan social, ce qui leur laisserait le temps de se reconvertir. La CGT renoncerait à ses recours. Titan s'engagerait pour plus de quatre ans. Je ne suis pas sûr de réussir, mais, pour l'instant, les trois parties me font confiance. Mon rôle est de tenter le tout pour le tout, pour que le territoire d'Amiens conserve son outil industriel.

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Peut-être disposez-vous d'une information qui nous manque, mais il semble que Titan n'envisage de reprise qu'après la fermeture de Goodyear, ce qui fait réagir le syndicat majoritaire.

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

La difficulté est de retrouver des conditions qui ont déjà été réunies sans que l'accord ait été signé pour autant.

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Je suis un élu de l'Allier. En 2000, l'usine Dunlop de Montluçon, qui fabriquait des pneus agricoles, a perdu des centaines d'emplois, à l'issue du co-entreprise (joint-venture) entre Goodyear et Sumitomo. C'est pourquoi nous tenons à ce qu'Amiens-Nord ne ferme pas, même si Montluçon n'a pas reçu, il y a treize ans, beaucoup de témoignage de solidarité de la part des Amiénois.

La France, première puissance agricole d'Europe, doit utiliser des pneus produits dans un pays à haute technologie. Comment le Gouvernement défendra-t-il la stratégie du made in France ? Comment évitera-t-il la délocalisation vers la Pologne ? Est-ce uniquement une question de dialogue ?

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Dans ce dossier, considérez-vous qu'il y a eu délocalisation, comme cela s'est produit chez Continental ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Sur le segment « tourisme », qui dépend du marché de l'automobile, l'Europe connaît une surcapacité qui a fait chuter la rentabilité de tous les producteurs. En revanche, l'agricole poursuit sa croissance. Les investissements sont amortis. Le pneu radial est particulièrement apprécié, compte tenu de l'utilisation européenne des machines agricoles. Les deux activités ne sont donc pas dans la même situation, ce qui justifie que Goodyear ne les traite pas de la même manière.

Pour le made in France, il faut écouter la voix des investisseurs étrangers. Récemment, j'ai rencontré six entrepreneurs américains à Boston et j'ai parlé à Marseille avec une trentaine de patrons du Golfe et du Maghreb. Ils m'interrogent sur le coût du travail, sur la fiscalité et sur le dialogue social.

Sur le coût du travail, le Parlement a consenti un effort en votant le crédit d'impôt pour la compétitivité et pour l'emploi (CICE), dont nous ne voyons pas encore les effets car il n'entrera réellement en vigueur qu'en janvier 2014.

Il faut aussi agir sur le plan fiscal, car les investisseurs privilégieront d'autres pays si nos entreprises sont écrasées d'impôts.

En ce qui concerne le dialogue social, j'explique que la situation change et que le législateur privilégie désormais la recherche du dialogue pour concilier maintien de l'emploi et réorganisation des conditions de travail et de rémunération. Des solutions constructives et temporaires permettent d'affronter une baisse des ventes sans que la direction envisage un plan social ni que les salariés brûlent des pneus dans une cour d'usine ou intentent une action judiciaire qui dure trois ou quatre ans. Il s'agit de trouver une formule loyale fondée sur un diagnostic partagé et soutenue par un effort commun.

Notre compétitivité dépend de nos coûts de production : coût du travail, du capital et de l'énergie. Sur le coût du travail, nous avons fait beaucoup. Je vous renvoie aux déclarations de Louis Gallois. Pour diminuer le coût d'accès au capital, nous avons créé la Banque publique d'investissement (BPI), ce qui est essentiel dans certains secteurs où le coût du capital est plus élevé que celui de la main-d'oeuvre. Le prix de l'énergie dépend de l'usage que nous faisons de la rente nucléaire, à l'heure où le prix de l'énergie augmente et où l'Allemagne rouvre des centrales à charbon. J'ai monté un plan industriel sur les énergies renouvelables. Au plan géopolitique, l'explosion du gaz de schiste redessine toute la carte du coût de l'énergie en faveur des États-Unis, dont le gaz coûte trois fois moins cher que le nôtre.

Un pays qui a beaucoup perdu doit porter une grande attention aux coûts de production. La droite accable le coût du travail. Le parti communiste et la CGT pointent celui du capital. Les Verts réfléchissent surtout au prix de l'énergie. Chacun a un peu raison et un peu tort. Nous devons rapprocher les points de vue. Le débat sur la transition énergétique doit être pragmatique plutôt que dogmatique.

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Existe-t-il beaucoup d'entreprises qui fonctionnent, comme Goodyear, sur des fonds de pension américains, ce qui les fragilise et les pousse à délocaliser ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Il existe plusieurs formes de capitalisme. Le modèle rhénan privilégie les territoires et l'enracinement. C'est un capitalisme familial qui a réussi à survivre. Dans le modèle anglo-saxon, où nous avons basculé depuis plusieurs dizaines d'années, ce sont les actionnaires qui dirigent l'entreprise.

Les Allemands ont riposté en donnant aux salariés une voix délibérative dans les conseils d'administration, mesure que vous venez de voter pour les groupes de plus de 5 000 salariés. Par ce biais, les décisions seront tempérées, car les dirigeants et les actionnaires s'expriment différemment quand ils sont face aux salariés. Peut-être même pensent-ils différemment. Nous devons installer dans le système de décision économique un nouvel équilibre des forces, mais, pour parvenir à un compromis social, il faut plusieurs volontés. Or nous nous sentons parfois bien seuls.

La défaillance française est d'avoir confié toute l'économie à des grands groupes. Ceux-ci exportent et figurent dans tous les classements internationaux, ce dont je les félicite, mais ils ont fait leur fortune en étrillant les sous-traitants. Il nous manque les fameux ETI du capitalisme familial et enraciné, que les grands groupes ont souvent empêché de se développer. Nous devons passer d'un modèle financier à un modèle entrepreneurial, enraciné et patriotique, que je veux construire pierre par pierre.

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Une commission d'enquête parlementaire fera bientôt la lumière sur le coût du nucléaire, ce qui nous permettra peut-être de sortir d'une vision datée, fondée sur des dogmes plutôt que sur des faits.

Quelles seraient les contraintes respectives de Titan et de Goodyear dans les deux solutions retenues : l'accord évitant la fermeture de l'usine ou la fermeture suivie d'une reprise ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Pour l'instant, Goodyear a décidé de fermer, mais je ne me place pas dans cette hypothèse. Dès lors que le groupe a une responsabilité dans le conflit, il doit renoncer à son jusqu'au-boutisme. Pour lui, le coût d'une fermeture serait considérable. Le Gouvernement lui en voudrait. C'est pourquoi nous entendons reconstituer l'accord qui aurait pu être signé en 2012, ce qui, sur le plan juridique, demande de l'audace et de l'imagination. Nous n'en manquons pas, mais il faut que les parties nous y aident.

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Depuis que vous êtes ministre, avez-vous déjà vu refuser une solution prévoyant la reprise d'une moitié du personnel et le versement, dans le cadre d'un PDV, de primes comprises entre 80 000 et 185 000 euros ?

Êtes-vous toujours favorable, comme vous l'étiez lors de votre première visite sur le site, à une loi qui interdirait les licenciements quand un groupe ou une entreprise distribue des dividendes, ce que Goodyear n'a pas fait pendant plus de dix ans ?

Lors de votre seconde visite, vous avez assuré que Goodyear avait tenté de tromper ses partenaires. Pensez-vous, comme d'autres, que Goodyear voulait fermer les usines depuis des années et que le projet de créer un site unique en 2007 était une manoeuvre ?

En tant que président d'un conseil général, jugez-vous que les collectivités locales ont les moyens de répondre aux conflits de grande ampleur ? Lors d'un entretien avec Jean-Jacques Bourdin sur BFM, vous avez fustigé, visant le maire d'Amiens, les « inspecteurs des travaux finis ». Comment les pouvoirs des collectivités territoriales doivent-ils évoluer ?

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

Aux termes d'une loi en cours d'achèvement, une entreprise qui ferme ne pourra plus interdire à un repreneur sérieux de poursuivre son activité sur un site rentable.

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Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif

L'activité agricole est rentable. L'activité tourisme aurait pu le rester si des investissements importants avaient été consentis il y a quelques années.

Tous les mois, quand des sites ferment, la direction prend soin d'éliminer le risque de concurrence – preuve que celle-ci serait peut-être plus performante avec un effectif réduit et un outil restructuré et transformé. Nous avons rencontré le problème à Florange. Aujourd'hui où M. Mittal déclare que l'activité liée à l'acier est en train de reprendre, va-t-on importer des brames qu'on aurait pu produire en Lorraine ?

Je sais gré au législateur d'avoir pris des mesures dissuasives pour mettre à l'amende un comportement abusif : une entreprise non rentable ne doit pas empêcher les autres de tenter leur chance. Par cette décision, qui défend l'intérêt des territoires, vous reconnaissez implicitement qu'il existe des licenciements abusifs.

Toutefois, s'il est blâmable qu'une société délocalise à la seule fin d'augmenter son profit, il serait absurde d'empêcher les entreprises de modifier leur appareil productif en anticipant les évolutions du marché. Elles risqueraient de s'affaiblir, voire de disparaître. Il serait absurde d'attendre qu'une société soit en difficulté pour l'autoriser à se restructurer.

La solution est dans l'équilibre : pas d'abus dans un sens, pas d'excès dans l'autre. Il faut être pragmatique et efficace, dans l'intérêt tant des territoires que des syndicats, qui doivent remporter des victoires, et des entreprises, qui ont besoin de sécurité juridique.

Les collectivités locales gèrent sans grands moyens les problèmes attachés au sol : le foncier, l'environnement immédiat et la dépollution des sites. Elles peuvent intervenir quand on cherche une solution. Certes, elles pourraient entrer au capital des sociétés. C'est le cas dans beaucoup de pays européens. Mais elles auraient beaucoup de demandes et peu de disponibilités. De ce fait, il y a fort à parier qu'elles devraient rendre compte à leurs électeurs d'un grand nombre de sinistres. C'est donc peut-être une chance que leurs moyens soient réduits.

Tous les jours, nous voyons des entreprises faire défaut, fermer ou se désengager, comme l'a fait Goodyear en renonçant à ses activités agricoles dans le monde entier. Les salariés réagissent différemment selon les territoires, en fonction des dégâts que causent ces décisions et de la confiance qu'ils accordent à leurs interlocuteurs.

Si Goodyear voulait construire un projet, il lui incombait d'être plus transparent sur ses comptes, ses pratiques fiscales, la localisation de son activité et la rentabilité des métiers et des sites. Un diagnostic clair peut déboucher sur une solution partagée, alors qu'une stratégie dissimulée ne conduit qu'à la méfiance et à l'affrontement.

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Je vous remercie, monsieur le ministre. Nous espérons que vous ferez aboutir ce projet de reprise, qui suscite depuis deux ans de grands espoirs à Amiens.

L'audition s'achève à dix-huit heures cinquante.

Membres présents ou excusés

Commission d'enquête relative aux causes du projet de fermeture de l'usine Goodyear d'Amiens-Nord, et à ses conséquences économiques, sociales et environnementales et aux enseignements liés au caractère représentatif qu'on peut tirer de ce cas

Réunion du mardi 19 novembre 2013 à 17 h 30

Présents. – Mme Pascale Boistard, M. Jean-Claude Buisine, M. Alain Gest, Mme Arlette Grosskost, M. Christophe Léonard, M. Bernard Lesterlin, M. Philippe Noguès, Mme Barbara Pompili

Excusés. – M. Jean-Louis Bricout, Mme Véronique Louwagie