Intervention de Charles de Courson

Réunion du 4 novembre 2014 à 9h30
Commission élargie

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de Courson :

, rapporteur spécial, sur les politiques de l'agriculture et le compte d'affectation spéciale Développement agricole et rural. Pour la quatrième année consécutive, le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » pour 2015 connaît un mouvement de baisse de plus de 4 %. L'utilisation croissante des moyens du budget communautaire, dont l'enveloppe globale est elle-même en baisse, permet néanmoins de compenser une large partie de ces diminutions de crédits, cependant que les actions visant à l'installation des jeunes, à la modernisation des exploitations et au développement de démarches agro-écologiques sont maintenues et développées.

L'année 2015 s'inscrit dans un contexte particulier : elle sera celle de la mise en oeuvre complète de la nouvelle PAC définie en 2013 ; celle aussi de l'application de la loi d'avenir que nous avons récemment adoptée et qui a pour ambition une triple performance économique, environnementale et sociale.

Nous sommes tous ici attachés à notre agriculture, dont nous savons le poids en termes d'emploi, de présence de notre pays sur les marchés extérieurs, d'aménagement du territoire et de préservation des paysages. Aussi aimerais-je, monsieur le ministre, vous poser huit questions :

Le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » diminue, pour 2015, de 200 millions d'euros, soit une baisse de 4,1 % par rapport à 2014. Toutefois, l'évolution des crédits communautaires permet d'en compenser les deux tiers. Pourriez-vous nous repréciser les montants de ces compensations communautaires ainsi que les actions budgétaires concernées ?

On observe, par ailleurs, des évolutions positives en matière d'installation des jeunes, de modernisation des exploitations à travers le plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles, et d'orientation vers l'agro-écologie, dans la ligne de la loi d'avenir que nous avons adoptée cette année. Pourriez-vous, là aussi, nous repréciser les évolutions envisagées ?

L'article 47 du projet de loi met fin au régime d'exonération des cotisations sociales pour l'emploi de travailleurs saisonniers applicable aux entreprises de travaux agricoles, ruraux et forestiers (ETARF) ainsi qu'au contrat vendanges. Pourquoi supprimer ces exonérations ? Nous nous interrogeons également sur l'application au secteur agricole et agroalimentaire du pacte de responsabilité et du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE).

Pour l'installation des jeunes, un effort renouvelé sera accompli en 2015, principalement avec la hausse de la participation communautaire. Vous prévoyez à nouveau 6 000 installations aidées pour cette année – nous en sommes actuellement à environ 5 000. Ces évolutions vous paraissent-elles suffisantes pour encourager la relève agricole, qui se fait de plus en plus, aujourd'hui, en installation non aidée, de plus en plus hors cadre familial et alors que l'augmentation de la dotation jeunes agriculteurs (DJA) n'est sans doute plus le paramètre principal pris en compte pour les jeunes qui s'installent ?

On peut s'interroger sur les raisons de la baisse des crédits alloués par le programme 154 à FranceAgriMer, baisse compensée par un émargement de l'opérateur au programme pour les investissements d'avenir (PIA) et par un transfert en provenance du compte d'affectation spéciale pour le développement agricole et rural (CASDAR). Par ailleurs, la stagnation des moyens alloués aux agriculteurs en difficulté (Agridiff) et la diminution des dotations du fonds d'allégement des charges (FAC) se justifient-elles aujourd'hui, alors que plusieurs secteurs d'activité, notamment l'élevage et les fruits et légumes, ont besoin d'un accompagnement accru de l'État ?

Pour ce qui est du programme 149 « Forêt », des efforts financiers sont demandés à l'ONF et au CNPF. Quelles sont les perspectives touchant au renouvellement du contrat d'objectifs et de performances (COP) avec l'ONF ? L'évolution des cours du bois suffira-t-elle à maintenir les moyens de l'Office à leur niveau actuel – puisque le Gouvernement réduit la dotation en espérant la poursuite du mouvement d'augmentation des prix du bois ? Une question similaire se pose pour le fonds stratégique pour la forêt et le bois, censé renforcer la cohérence des interventions de l'État : l'évolution des compensations financières au titre du défrichement sera-t-elle suffisante pour aider au financement du fonds ? Êtes-vous, d'une façon plus générale, favorable à une fusion du CNPF et des CRPF (centres régionaux de la propriété forestière) avec l'Assemblée permanente des chambres d'agriculture (APCA) et les chambres d'agriculture ?

Le secteur de la production agricole est de plus en plus dominé par son aval, la transformation et surtout la grande distribution. Il faudrait aujourd'hui favoriser une véritable politique de la concurrence entre la grande distribution et le monde agricole et agro-industriel. Le Gouvernement envisage-t-il des initiatives en matière de droit de la concurrence ?

Ma huitième et dernière question porte sur le programme 215 relatif à la conduite et au pilotage des politiques agricoles. Quelle est la place réservée au numérique, notamment dans les relations avec les usagers du ministère, pour diminuer l'administration papier ?

M. Éric Alauzet, rapporteur spécial, sur la sécurité alimentaire. Hors fonds de concours, le total des crédits de paiement demandés pour le programme 206 atteint 501 millions d'euros pour 2015, soit une quasi-stabilisation puisqu'ils baissent de 0,38 % alors que la loi de finances pour 2014 prévoyait une diminution de 1,26 %. Le total des fonds de concours attendus de l'Union européenne diminue, lui, de 23,4 %.

Les dépenses de personnel baissent de 0,22 % et celles de fonctionnement de 14,98 %, tandis que les dépenses d'intervention augmentent de 34,65 %. La baisse des dépenses de fonctionnement, hors dépenses de personnels, de 26 %, est expliquée par la direction générale de l'alimentation (DGAL) par des économies en dépenses publiques. Les évolutions les plus notables sont liées à l'amélioration sanitaire et au renforcement de la surveillance des filières pour améliorer la prévention – visite sanitaire porcine, augmentation des contrôles de résidus des pesticides. Dans ce cas précis, 1 euro investi permet d'économiser 4 à 5 euros en curatif. L'allégement des tests de dépistage de l'encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) a également permis d'économiser près de 10 millions d'euros.

La dotation du programme 206 en crédits de fonctionnement s'établit à 67,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 67 millions d'euros en crédits de paiement, soit une baisse de 26 % par rapport à la loi de finances pour 2014. Cette baisse est pour l'essentiel optique, car résultant de mesures affectant le périmètre, les dépenses de fonctionnement ayant été réimputées en dépenses d'intervention.

Dans un récent rapport, la Cour des comptes a relevé les effets néfastes des restrictions de crédits. Vous en avez tenu compte, monsieur le ministre, notamment s'agissant des effectifs de la DGAL et du programme 206, préoccupation de longue date pour moi. Dans le contexte actuel, cet effort est d'autant plus méritoire que la loi d'orientation agricole accroît les missions de l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), et que le rapport de la Cour des comptes précité est alarmant.

Ma première question concerne le financement des contrôles par les professionnels. Comment le Gouvernement compte-t-il utiliser les leviers réglementaires utiles au financement par les professionnels des actions de contrôle et assurer que ces moyens se traduiront réellement en moyens humains opérationnels ?

Vous paraît-il utile d'évaluer les conséquences sur l'administration de l'adoption récente d'un amendement donnant aux animaux le statut d'êtres sensibles ?

En raison de l'importance croissante de l'impact sur la santé de nombreux produits phytosanitaires, quelles mesures le Gouvernement peut-il envisager afin de gérer les inévitables controverses à venir ?

Une réflexion pour terminer. Des mesures de prévention sont développées pour éviter des soins ou des mesures curatives coûteuses, notamment chez les animaux malades ou les plantes impropres à la consommation du fait de la présence de résidus de pesticides. Les économies attendues sont cinq fois supérieures aux dépenses engagées. Ces dispositifs ont été d'autant plus faciles à mettre en oeuvre que recettes et dépenses sont affectées au même programme. C'est toutefois loin d'être la règle, et il conviendrait d'examiner si des affectations comptables plus dynamiques ici ou là ne permettraient pas à l'État d'être plus économe, plus efficace et plus écologique.

M. André Chassaigne, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, sur la forêt. Je dirai avec délicatesse que le budget du programme 149 n'est pas bon : avec 279 millions d'euros en autorisations d'engagement, contre 321 millions en 2014, il accuse une diminution considérable de 14 %. Ce budget s'inscrit, certes après une année de répit, dans la logique structurelle de baisse des autorisations d'engagement sur le budget forêt depuis dix ans. Les rares budgets en augmentation étaient essentiellement dus à la prise en compte, après 2009, des conséquences de la tempête Klaus. Les deux opérateurs concernés, l'ONF et le CNPF, subissent cette année une baisse de leurs crédits, la subvention du second étant comparable à un Laguiole sans manche et sans abeille et qui aurait perdu sa lame.

Le régime forestier est la garantie d'une gestion de la forêt publique française soucieuse de l'intérêt général et de l'égalité des territoires. Il assure une péréquation financière entre les régions où l'exploitation forestière est rentable et celles dotées de grandes forêts peu productives. Or le financement de ce régime est régulièrement remis en cause, l'État cherchant, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres, à se désengager en faisant supporter les coûts par d'autres acteurs.

La proposition, un temps envisagée par le Gouvernement, d'augmenter de manière disproportionnée – 50 millions d'euros sur trois ans – les frais de garderie des collectivités ne saurait constituer une solution satisfaisante. Cela représenterait, pour les communes dont la forêt est peu productive, un fardeau bien difficile à porter, a fortiori à l'heure de la rigueur où l'État diminue les dotations budgétaires aux collectivités. Cela aurait signifié la remise en question du régime forestier : estimant le coût d'une gestion publique trop élevé, de nombreuses communes auraient demandé à bénéficier d'un « droit d'option », c'est-à-dire à ne pas garder l'ONF comme gestionnaire de leur forêt communale. Mais ce droit d'option aurait aussi entraîné la fin de la péréquation, de la solidarité qui est le propre du régime forestier, cela au détriment même des comptes de l'État. Les premières communes à demander le droit d'option auraient, en effet, été celles qui tirent des recettes des ventes de bois, ce qui aurait déséquilibré encore plus les comptes de l'ONF.

Face à la mobilisation des communes indignées, le Gouvernement a accepté de revoir sa copie initiale, et l'ONF a dû accepter de prendre à sa charge une baisse de dotation de 20 millions d'euros. Faut-il se satisfaire de cette solution ? Certes non. En revanche, dans le même temps, la renégociation du COP de l'ONF qui lie l'Office, les communes forestières et l'État, a été avancée d'un an.

Je ne soutiens pas qu'il faille nécessairement refuser toute discussion sur les contours et l'avenir du régime forestier, mais il faut être prudent et analyser les conséquences d'un changement de paradigme. De grandes questions doivent être posées : quel doit être le niveau du service universel assuré par l'ONF à toutes les communes ? Si l'Office a vocation à effectuer des travaux forestiers, quel doit en être le périmètre et quel doit être dès lors la nature des ventes ?

Il faut rechercher de nouvelles sources de financement pérennes pour l'ONF. L'enjeu crucial est d'identifier les actions pouvant faire l'objet de missions d'intérêt général confiées à l'Office afin de permettre une plus juste rémunération des services rendus par la forêt en matière de préservation de la biodiversité, de contribution à la lutte contre le changement climatique et d'accueil du public.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteur salue la quoique tardive décision du Gouvernement de ne pas réduire le débat sur le régime forestier à une simple question financière, et de renoncer à faire du projet de loi de finances le véhicule d'une telle réforme. Il sera néanmoins vigilant dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016. L'ONF, de son propre aveu, peut absorber la baisse de dotations de 20 millions d'euros en 2015, mais il ne pourra assumer seul la baisse de l'engagement de l'État. Quelle sera la position du Gouvernement lors de la négociation du COP ? Le régime forestier a-t-il encore un avenir ?

Pour toutes ces raisons, je ne peux émettre un avis positif sur les crédits du programme 149 qui témoignent du manque de vision du Gouvernement pour cette filière d'avenir qu'est la filière forestière.

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