Intervention de Christiane Taubira

Séance en hémicycle du 17 septembre 2013 à 21h30
Lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière — Article 10

Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice :

J’avais expliqué déjà en première lecture qu’une disposition de cette nature ne devait pas être inspirée par une défiance vis-à-vis de la profession. Il est exact que, du point de vue statistique, celle-ci n’effectue aucun signalement – elle est d’ailleurs visée par la quatrième directive européenne de lutte contre le blanchiment, comme elle l’était par la troisième. Mais elle proteste de sa bonne foi, à bon droit. Néanmoins, la statistique suscite des interrogations, auxquelles on a répondu, en première lecture, par cet amendement qui, sous-amendé, prévoyait le filtre du bâtonnier.

Le ministère de la justice ayant la charge des professions juridiques, au premier rang desquelles celle d’avocat – mais aussi celle de notaire –, nous avons mis en place une méthode de consultation et de concertation avec ces professions. Les conditions dans lesquelles le sujet a été abordé et traité en première lecture nous posent donc un problème. Il demeure que l’amendement a été adopté ; le sous-amendement en a atténué une partie des effets et a notamment réduit l’impression de défiance, le filtre du bâtonnier permettant de respecter la hiérarchie et l’organisation des ordres.

Le débat s’est poursuivi au Sénat, où des amendements ont également été présentés. Pour ma part, je regrette les conditions dans lesquelles ce débat a eu lieu. Certes, il était dans l’air et il n’était pas raisonnable de penser qu’il serait totalement ignoré, mais la manière dont nous avons été amenés à discuter et dont vous avez adopté un tel amendement ne correspond pas aux relations qu’entretiennent habituellement le ministère de la justice et les professions de droit, celle-ci en particulier. Ainsi, lors de la navette parlementaire, une partie du corps des avocats s’est mobilisée, des réactions se sont exprimées, des arguments pour et contre le dispositif ont été exposés. Tout cela met sous les feux de la rampe une profession qui n’a pas besoin d’y être mise dans ces conditions.

Évidemment, je suis absolument persuadée que les règles générales de prévention et de vigilance dans la lutte contre le blanchiment doivent s’appliquer à tous, et que chacun doit prendre sa part dans l’exécution de ces règles. Mais le principe demeure la concertation et je ressens un malaise face à cette mobilisation, aux interrogations et aux tentatives de faire supprimer l’article qui ont surgi à l’occasion de la navette. C’est en effet ce qui s’est passé au Sénat, et à l’Assemblée puisqu’un amendement de suppression a également été déposé. Hélas ! Cela dessert la profession, qui n’a aucune raison de s’offusquer que la représentation nationale cherche à s’assurer que, comme dans les autres professions, il est possible de signaler un soupçon de blanchiment d’argent.

L’amendement no 34 , qui tend à supprimer les obligations prévues pour les CARPA, relance le débat. J’ai eu des échanges avec le rapporteur de la commission des lois, et nous avons envisagé d’être favorables à cet amendement pour faire droit à ma préoccupation de consulter la profession, d’autant que la présidence et le bureau du conseil national des barreaux – le parlement de cette profession, qui regroupe l’Ordre des avocats de Paris ainsi que la Conférence des bâtonniers – viennent d’être mis en place, circonstance qui plaide davantage encore pour une concertation en bonne et due forme.

Cependant, en toute honnêteté, compte tenu du calendrier parlementaire, de l’état probable des véhicules législatifs à venir et du calendrier très imprécis de la quatrième directive de lutte contre le blanchiment, je n’aurais pas été capable de proposer au Parlement un rendez-vous qui aurait permis d’organiser une telle concertation avec la profession et qui nous aurait donné l’occasion de revenir plus sereinement et plus tranquillement sur différentes questions : celle des CARPA et de leur soumission éventuelle à ces dispositions, notamment aux règles qui s’imposent actuellement dans notre droit à l’avocat, celle de savoir si l’on exclut de l’obligation de signalement la part d’activité de la profession qui relève de l’aide juridictionnelle, celle qui relève du conseil juridique et celle qui relève des activités de fiducie, y compris des ventes. J’aurais vraiment préféré traiter de tous ces sujets en concertation avec les représentants de la profession d’avocat.

D’une certaine façon, nous sommes presque au milieu du gué ; nous ressentons une gêne, un malaise. Aussi, pour clore ce débat presque sans fin sur la profession d’avocat, admettons le principe d’un maillage conforme à la règle générale de prévention et de vigilance dans les signalements contre le blanchiment, et permettez que le ministère de la justice puisse reprendre le travail et les discussions en toute sérénité avec la profession. Le rôle des avocats n’est pas le même que celui des CARPA : elles ne font pas exactement ce que peuvent faire les avocats, ce qu’elles peuvent voir n’est pas exactement ce que peuvent voir les avocats.

Il s’agit d’un vrai sujet et je pense que, grâce aux différents amendements qui seront présentés, nous arriverons à mettre en place, de la façon la moins frustrante et la moins insatisfaisante possible, un dispositif qui devrait convenir.

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