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Pouria Amirshahi
Question N° 36962 au Ministère de l'intérieur


Question soumise le 10 septembre 2013

M. Pouria Amirshahi attire l'attention de M. le ministre de l'intérieur sur une situation discriminatoire ayant pour conséquence le refus de la nationalité française aux membres de la famille de femmes françaises. L'article 87 de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 portant code de la nationalité française, désormais abrogé, disposait que « perd la nationalité française le Français majeur qui acquiert volontairement une nationalité étrangère ». Cette perte de nationalité était, seulement pour les hommes, subordonnée à une autorisation gouvernementale donnée par décret, pour des raisons de défense nationale. Cependant, ces considérations ayant largement évolué, cette différence de traitement basée sur le sexe a, dans les faits, permis aux hommes de garder leur nationalité française alors que les femmes la perdaient, dans le cas d'un mariage avec un conjoint étranger notamment. Aujourd'hui, en vertu des dispositions de l'article 21-2 du code civil, il est nécessaire de s'assurer que le conjoint français ait conservé sa nationalité française depuis le jour de la célébration du mariage et jusqu'au jour de souscription de la déclaration devant le juge d'instance. L'article 87, malgré son abrogation en 1993, continue aujourd'hui de créer des situations discriminatoires. En effet, la nationalité française est refusée aux conjoints étrangers de femmes françaises ayant perdu la nationalité sur la base de l'article 87 de l'ordonnance n° 45-2441. Le fait qu'elles aient été par la suite réintégrées ne solutionne pas la question de discontinuité de la nationalité. En outre, il est à noter que les enfants ayant perdu la nationalité française durant leur minorité en application des dispositions semblables au paragraphe 3 de l'article 1er de la convention du Conseil de l'Europe du 6 mai 1963, ne peuvent être réintégrés à leur majorité par déclaration dans la nationalité française qu'à la condition où ils résident en France. Cela porte préjudice aux personnes qui sont établies hors de France, et notamment aux binationaux. L'interprétation de l'article 21-2 du code civil apparaît ici restrictive. Il ne s'agit donc pas de modifier la loi mais de prévoir une interprétation qui rétablirait l'égalité des droits pour tous. Aussi, afin de répondre à nos concitoyens et concitoyennes et à leurs familles qui pâtissent de ces dysfonctionnements, il le prie de bien vouloir lui faire connaître le point de vue de son administration sur ce sujet, dans l'objectif de clarifier cette situation et de mettre fin à cette inégalité de droit.

Réponse émise le 10 juin 2014

Par arrêt n° 1226 du 9 octobre 2013, la Cour de Cassation a, en application de l'article 61-1 de la Constitution, renvoyé au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité suivante : « L'article 87 de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 et l'article 9 de l'ordonnance n° 45-2441 du 19 octobre 1945 issu de la loi n° 54-395 du 9 avril 1954, en ce qu'ils instituent une distinction, fondée sur le sexe, de perte de la nationalité française, méconnaissent-ils le principe d'égalité prévu à l'article 1er de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 27 août 1789 et le principe issu du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 garantissant à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». La Cour de cassation a estimé que la question présentait un caractère sérieux en ce que, par application combinée de ces dispositions, la perte automatique de la nationalité française attachée à l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère par une Française, pourrait être regardée comme portant atteinte au principe constitutionnel d'égalité devant la loi, dès lors que, dans la même situation, un Français ne perd la nationalité française que s'il en demande l'autorisation au Gouvernement français. Dans sa décision n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014, Mme Jalila K, publiée au Journal officiel de la République française du 11 janvier 2014, le Conseil constitutionnel a fait droit au grief exposé par la requérante. Le Conseil constitutionnel a relevé que, dans le but de faire obstacle à l'utilisation des règles relatives à la nationalité pour échapper aux obligations du service militaire, le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d'égalité, prévoir que le Gouvernement peut s'opposer à la perte de la nationalité française en cas d'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère pour les seuls Français du sexe masculin soumis aux obligations du service militaire. Mais le législateur, loin de se borner à cette orientation, avait réservé aux Français du sexe masculin, quelle que soit leur situation au regard des obligations militaires, le droit de choisir de conserver la nationalité française lors de l'acquisition volontaire d'une nationalité étrangère. Dès lors, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées instituent entre les femmes et les hommes une différence de traitement sans rapport avec l'objectif poursuivi et qui ne peut être regardée comme justifiée. Il a donc jugé contraires à la Constitution les mots« du sexe masculin » figurant à l'article 9 de l'ordonnance du 19 octobre 1945 dans sa rédaction issue de la loi du 9 avril 1954, laquelle était applicable du 1er juin 1951 jusqu'à l'entrée en vigueur de la loi n° 73-42 du 9 janvier 1973, qui a abrogé ces dispositions. Cette déclaration d'inconstitutionnalité prend effet à compter de la publication de la présente décision. Elle peut être invoquée par les seules femmes qui ont perdu la nationalité française par l'application des dispositions de l'article 87 du code de la nationalité, entre le 1er juin 1951 et l'entrée en vigueur de la loi du 9 janvier 1973. Les descendants de ces femmes peuvent également se prévaloir des décisions reconnaissant, compte tenu de cette inconstitutionnalité, que ces femmes ont conservé la nationalité française. Toutefois, cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel.

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