Intervention de Hervé Féron

Séance en hémicycle du 18 juillet 2016 à 16h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHervé Féron :

Comme le disait George Orwell, « Parler de liberté n’a de sens qu’à condition que ce soit la liberté de dire aux gens ce qu’ils n’ont pas envie d’entendre ».

La liberté d’expression, la liberté de l’information et la liberté des médias sont les veines de notre démocratie. En les bafouant, on met à mal la République. Pourtant, le tabou ou la sensibilité de l’opinion ne sont pas les seules grandes menaces qui pèsent sur la liberté des médias. L’immixtion d’intérêts privés dans l’information, la censure exercée sur les journalistes et la concentration des groupes de médias sont les dangers les plus graves. Cette censure est subtile et invisible : d’abord, parce que lorsqu’on lit un journal, qu’on regarde la télévision ou qu’on écoute la radio, le nom de l’entreprise propriétaire, lorsque ce n’est pas l’État, n’est pas identifié ; ensuite, parce que ce qu’il y a derrière l’information ne transparaît pas.

C’est pour ces raisons que les Français ne savent pas toujours que leur pays est bien mal classé par Reporters sans frontières : en un an, la France est passée, en matière de liberté de la presse, de la trente-huitième à la quarante-cinquième place sur 180 pays évalués.

Il ne faut pas se méprendre : si la fondation Louis-Vuitton embellit indéniablement Paris, elle apporte aussi à Bernard Arnault et au groupe LVMH qu’il dirige une incroyable publicité, qui s’étale également en pleines pages du journal Le Parisien depuis qu’il l’a acquis en 2015. Si les milliardaires achètent et forment des grands groupes de médias, c’est moins pour leur rentabilité que pour la capacité d’influence qu’ils procurent. Les journalistes subissent alors une pression et s’autocensurent par contrainte insidieuse, en l’absence de contrepoids. L’objectif de cette proposition de loi se situe précisément là.

Grâce aux avancées de ce texte, les journalistes seront moins démunis face aux pressions de leur direction. Je soutiens ainsi le choix de notre rapporteur Patrick Bloche et de la commission des affaires culturelles de rétablir le droit de rétractation des journalistes confrontés à un acte contraire à leur « conviction professionnelle » formée dans le cadre des chartes déontologiques. Je ne pense pas qu’on puisse supprimer une liberté fondamentale au métier de journaliste simplement parce qu’elle semble juridiquement trop floue. Ce raisonnement nous mènerait beaucoup trop loin et remettrait en cause les fondements constitutionnels de notre démocratie.

Je me réjouis également que nous puissions enfin remédier aux lacunes de la protection du secret des sources des journalistes. Cela a été possible grâce au rétablissement en commission du fait justificatif d’éventuels délits d’atteinte à l’intimité de la vie privée, de recel du secret professionnel et de recel du secret de l’enquête et de l’instruction, lorsque ces délits ont permis d’obtenir des informations dont la diffusion au public constitue un but légitime dans une société démocratique.

L’article 7 va également dans le sens d’un renforcement de la liberté de la presse française. Des comités chargés de veiller au respect des principes d’honnêteté, d’indépendance et de pluralisme de l’information et des programmes sont généralisés. Ils concernent des services de télévision ou de radio à vocation nationale, désormais aussi bien publics que privés. Nous pouvons néanmoins regretter que ces comités soient exclusivement dédiés aux radios et aux télévisions, ignorant de ce fait la presse écrite et les nouveaux supports électroniques qui transforment radicalement aussi bien les rapports des journalistes avec leurs sources que leurs relations avec leurs lecteurs.

Bien que beaucoup reste à faire, je pense personnellement que cette proposition de loi mérite d’être soutenue car elle constitue un pas de plus vers un véritable encadrement de la concentration des médias. Alors que nous assistons à un déploiement de moyens exceptionnels en matière de sécurité à la suite des récents événements tragiques, il y a une vraie cohérence à renforcer dans le même temps la liberté d’expression et à garantir le secret des sources, éléments constitutifs de l’État de droit.

La liberté d’expression, fruit de longs combats, n’est jamais définitivement acquise. Elle est encore une réalité minoritaire à travers le monde et il faut toujours lutter pour l’acquérir ou la préserver. Comme l’a dit le journaliste André Guillois : « Dans la plupart des pays, les citoyens possèdent la liberté de parole. Mais dans une démocratie, ils possèdent encore la liberté après avoir parlé. »

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