Intervention de Stéphane Travert

Séance en hémicycle du 18 juillet 2016 à 16h00
Liberté indépendance et pluralisme des médias — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaStéphane Travert :

Madame la ministre, monsieur le président-rapporteur, mes chers collègues, permettez-moi avant tout, au nom de mes collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain, d’avoir une pensée émue pour les victimes du lâche attentat perpétré à Nice ces jours derniers.

Des médias libres, indépendants et pluralistes offrant à chacun la liberté d’informer et d’exprimer des opinions sont le socle d’une démocratie en bonne santé. L’indépendance des médias contribue donc dans une large mesure à la protection des droits de l’homme et du citoyen. Tous ici, nous considérons que garantir l’indépendance des médias, c’est faire vivre et donner tout son sens à la promesse républicaine.

Depuis les années quatre-vingt, le paysage audiovisuel a été bouleversé : création des chaînes de télévision et de radio privées, naissance des réseaux sociaux, multiplication des sources d’information. Nous le savons, de plus en plus nombreux sont nos concitoyens qui ne « s’informent » qu’à travers les réseaux sociaux, lesquels, eux, ne proposent pas un travail journalistique de recueil de l’information, de sélection et de vérification des sources. Il faut donc protéger l’information et par là même les seuls professionnels qui la fabriquent dans le respect de la déontologie : les journalistes de la presse écrite et audiovisuelle.

La question, aujourd’hui, est de savoir où en est l’indépendance de la presse dans notre pays, et comment concilier les conflits d’intérêts qui peuvent survenir dès lors qu’un groupe de presse ou audiovisuel appartient à une structure capitalistique qui gère d’autres intérêts – industriels, investissements, infrastructures – sur le territoire.

Le financement des médias dépend aujourd’hui en grande partie de capitaux privés qui peuvent vouloir modifier l’information en fonction de leurs intérêts ou peser sur le travail des rédactions. Les tendances à la concentration auxquelles nous assistons depuis plus de deux ans, les épisodes récents de censure et de sélection de l’information posent la question du pluralisme et de l’indépendance des médias de notre pays.

Les médias ne sont pas égaux. La télévision, média de masse, est accusée de simplifier les débats et de « faire l’opinion » dans une course à l’audience qui laisse peu de place au débat démocratique. Ces événements doivent donc nous conduire à légiférer. C’est ce à quoi répond ce texte proposé par Patrick Bloche qui vient ici, en seconde lecture, fixer un cadre législatif clair et précis pour la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias.

Permettez-moi de revenir sur le texte de loi que nous examinons aujourd’hui, fruit d’un beau travail collectif au sein de notre commission la semaine dernière.

L’article 1er de la proposition de loi étend à tous les journalistes, quel que soit le média dans lequel ils exercent, un droit d’opposition réservé aujourd’hui aux seuls journalistes de l’audiovisuel public à l’article 44 de la loi de 1986. Cet article avait été vidé de son sens par le Sénat. Jugez plutôt : suppression de la référence à l’intime conviction professionnelle, négation du rôle des représentants du personnel dans l’adoption des chartes déontologiques d’entreprise, suppression des sanctions adossées au droit d’opposition – rien que cela !

Le groupe socialiste, écologiste et républicain a donc soutenu les amendements de notre rapporteur visant à réintroduire ces dispositions tout en retirant le terme « intime » après « conviction » afin de se prémunir de contentieux qui pourraient voir le jour au regard du caractère imprécis de ce terme.

Le groupe SER a également réintroduit un amendement visant à renforcer la dimension collective de ce droit d’opposition individuel en permettant la consultation du comité d’entreprise chaque année sur le respect de ce nouvel article de la loi de 1881 sur la liberté de la presse.

Permettez-moi de revenir rapidement sur l’article 1er ter, relatif à la protection du secret des sources des journalistes. Alors que cet article avait été adopté à l’unanimité par notre commission, sur la base de la version adoptée par la commission en 2013, les débats au Sénat l’ont totalement vidé de sa substance. En commission, le Sénat a ainsi exclu du régime de la protection des sources les collaborateurs de rédaction et supprimé la notion d’ « atteinte indirecte aux sources ».

S’agissant des atteintes possibles au secret des sources, le Sénat a proposé d’aménager une possibilité d’enquêter, qui pourrait porter atteinte aux sources, en cas d’impératif prépondérant d’intérêt public. Cette position du Sénat est pour le moins incompréhensible. Notre groupe a donc défendu un amendement destiné à rétablir la version votée en première lecture au sein de notre commission, ce dont je me félicite.

L’article 2 définit le rôle joué par le CSA, afin de garantir le triptyque que nous mettons au coeur de cette loi : honnêteté, indépendance et pluralisme de l’information et des programmes. Cet article étend la possibilité donnée au CSA d’émettre des recommandations en matière d’honnêteté et d’indépendance de l’information et des programmes.

Le Sénat avait supprimé toute référence au respect du droit d’opposition des journalistes dans l’appréciation que doit faire le CSA du critère d’indépendance des journalistes, alors qu’une infraction à ce droit serait la preuve la plus criante de l’intrusion d’un intérêt particulier dans l’information. Nous avons donc soutenu l’amendement rétablissant la version votée par notre assemblée en première lecture. Le CSA garantit l’indépendance de ses décisions et je m’explique mal la posture qui consiste à refuser d’étendre les prérogatives de cette autorité indépendante, libre de toute pression.

L’article 7 instaure, dans chaque société audiovisuelle, un comité relatif à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes. Si certaines sociétés ont d’ores et déjà instauré des comités en leur sein, la loi vient définir ce qui est entendu par « personnalité indépendante », tout en laissant ensuite à la société le loisir de définir la composition et les modalités de son fonctionnement dans la convention qui la lie au CSA. Le Sénat avait, ici encore, apporté des modifications importantes, en modifiant la dénomination du comité, en supprimant la possibilité, laissée à tout un chacun, de consulter ce comité pour avis, et en abandonnant les règles exigeantes d’indépendance des membres du comité.

On voit bien ici comment la majorité sénatoriale a souhaité limiter les marges de manoeuvre de ce comité, tant dans son champ d’intervention que dans sa composition. Je me félicite que notre commission ait voté en faveur de la proposition du rapporteur de réintroduire le dispositif adopté en première lecture. Celui-ci donne une pleine crédibilité aux comités relatifs à l’honnêteté, à l’indépendance et au pluralisme de l’information et des programmes, en permettant la consultation de ces derniers par toute personne qui le souhaite, et en définissant des règles exigeantes d’indépendance.

Enfin, j’avais déposé, au nom du groupe socialiste, républicain et citoyen, un amendement visant à suspendre les aides publiques aux entreprises de presse en cas de violation des obligations de transparence et du droit d’opposition des journalistes, créé à l’article 1er de la présente proposition de loi. Renforcés par la loi Warsmann de 2011, les articles 5 et 6 de la loi de 1986 obligent les entreprises éditrices à publier, dans chacun de leurs numéros, les noms des personnes physiques ou morales détenant au moins 10 % de leur capital. Or il est quotidiennement constaté que cette disposition est peu, voire pas, appliquée.

Le Sénat, au stade de l’examen en commission, a supprimé cet article, au motif que les manquements aux obligations de transparence de l’actionnariat, comme les aides publiques, sont d’ores et déjà conditionnés à un certain nombre d’obligations et que cet article serait donc contre-productif. Nous pensons au contraire que les obligations de transparence sont aujourd’hui peu respectées et que la sanction pécuniaire aura un effet plus dissuasif. Je me félicite donc que cette disposition ait été réintroduite par notre commission. Qui possède quoi ? Les Français exigent de la transparence dans la vie publique et dans la vie politique, ce qui est bien normal. Je ne vois pas pourquoi les organes de presse devraient s’affranchir de cette nécessaire transparence.

La liberté d’expression, l’indépendance des médias et le pluralisme constituent le fondement d’une démocratie saine : c’est le respect de ces principes qui permet d’en mesurer la vigueur. L’existence de médias libres, capables de refléter la diversité et la pluralité des opinions, est indispensable à notre démocratie. Le rôle que pourraient jouer des propriétaires de médias pour réduire l’indépendance des journalistes et limiter le pluralisme suscite de vives préoccupations dans certains pays. Nous devons donc nous prémunir contre ce risque et adapter notre législation pour faire face à la tentation que d’aucuns pourraient avoir d’infléchir, de diriger ou d’empêcher le travail d’investigation de leurs journalistes.

Ce texte vise à faciliter le travail d’investigation et à faire en sorte que la publicité de ce travail ne soit pas entravée. Dans ce cadre, la protection du secret des sources des journalistes est l’une des pierres angulaires de la liberté d’expression ; c’est une avancée majeure que nous inscrivons dans notre droit. La République doit porter haut et fort ces valeurs fondamentales. La presse, espace permanent du débat politique et sociétal, contribue à l’expression des principaux courants d’opinion. Pour réaliser notre ambition d’avoir une presse libre, indépendante et pluraliste, nous avons le choix entre deux options : laisser faire, ou encadrer les pratiques pour protéger la liberté et l’indépendance des médias.

Notre pays, une fois encore, traverse des heures sombres. Notre cohésion, notre unité, la vitalité de la République seront garanties par des médias respectant les règles fondamentales d’indépendance de l’information et de liberté de la presse. Nous avons choisi d’agir, et c’est pourquoi les élus du groupe socialiste, écologiste et citoyen voteront ce texte, garant des valeurs de la République et porteur de droits nouveaux.

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