Intervention de Réjane Sénac

Réunion du 1er juin 2016 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réjane Sénac, chercheuse au CNRS - CEVIPOF, membre du comité de pilotage de PRESAGE et présidente de la commission Parité du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh :

Les travaux des psychologues et des universitaires en sciences de l'éducation ou en sociologie de l'éducation montrent que les goûts et les appétences, en particulier pour l'orientation scolaire, sont vraiment liés à une construction sociale, comme le montrent les travaux de Françoise Vouillot.

Un autre éclairage est apporté par des chercheurs qui travaillent dans ces disciplines, et qui vont avoir une lecture beaucoup plus critique. Ils considèrent que la conception du sexe comme une binarité est idéologique, et pas conforme à la complexité scientifique des différents critères d'identification sexuée. En cela, l'ouvrage Mon corps a-t-il un sexe ? est passionnant, car il s'appuie sur ce dialogue entre biologie et sciences sociales. Si le sujet vous intéresse, je vous encourage vivement à contacter les deux coordinatrices de cet ouvrage, Évelyne Peyre, bio-anthropologue, et Joëlle Wiels, biologiste cellulaire. Les travaux de Catherine Vidal sur le prétendu sexe du cerveau sont aussi intéressants.

J'évoque la tentation de l'égalité sous condition de performance dans mon dernier ouvrage : L'égalité sous conditions. Elle part du principe conséquentialiste selon lequel la fin justifie les moyens. Ma position est beaucoup plus déontologique : les moyens conditionnent la fin. Si vous justifiez un choix de politique publique, en particulier des politiques d'égalité, au nom de ce qu'ils vont rapporter, vous allez produire autre chose que de l'égalité.

Faire de la sorte, c'est prendre un double risque. Tout d'abord, on pourrait prouver que ce sont les discriminations qui sont rentables, ou que les politiques d'égalité ne sont pas rentables. Un article paru dans le Figaro s'intitulait : « Construire des crèches nuit au plein-emploi. » Il s'appuyait sur un rapport de France Stratégie dressant le parallèle entre le taux d'emploi en Allemagne et en France. Il y apparaît que la moindre proportion de femmes à temps partiel en France par rapport à l'Allemagne explique le taux d'emploi plus faible en France. Pour tendre vers le plein-emploi, l'article préconise que les femmes sortent de l'emploi ou travaillent à temps partiel, ce qui implique d'arrêter de porter les politiques d'articulation des temps de vie.

Ce type de raisonnement ouvre la porte aux calculs cyniques de type coûts-bénéfices, aussi bien pour les politiques d'immigration que pour les politiques d'égalité femmes-hommes et pour les politiques de lutte contre toutes les formes de discrimination, en particulier les discriminations racistes. Le risque sera de voir démontrer l'inverse de la mesure souhaitée, et nous allons vers une bataille de chiffres plutôt qu'une bataille d'idées.

De plus, si l'on arrivait à montrer que l'égalité est rentable – ce dont je ne suis pas sûre – nous serions contraints par cette performance de la mixité. Vous parliez des quotas en politique. Si elle est mise en oeuvre dans un objectif de performance, on jugera qu'il est bon d'avoir des femmes en politique car elles vont apporter d'autres choses, elles vont penser à d'autres sujets, et seront dans un ethos politique plus bienveillant.

Ce faisant, on ne défend pas l'égalité, mais la complémentarité. On attend des femmes autre chose que ce que l'on attend des hommes, ce qui aura des conséquences très concrètes. Ainsi, au moment d'investir des femmes et des hommes, nous n'allons pas avoir les mêmes critères. Si l'on attend autre chose des femmes, elles ne seront pas forcément choisies parmi les militantes des partis politiques, mais pour offrir une représentativité des quartiers, des associations, des communautés réelles ou supposées. En réalité, cela va créer de la différence et de la complémentarité.

Je suis donc très réservée sur cet argument, qui est d'autant plus tentant et piégeant qu'il joue sur la rencontre de deux choses : nous restons sur l'héritage de la complémentarité, qui n'est pas remis en cause, et nous nous inscrivons dans la logique du néolibéralisme en vertu de laquelle tout est dans le marché, même l'égalité. Il faut même démontrer que l'égalité est rentable.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion