Intervention de Réjane Sénac

Réunion du 1er juin 2016 à 14h00
Délégation de l'assemblée nationale aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réjane Sénac, chercheuse au CNRS - CEVIPOF, membre du comité de pilotage de PRESAGE et présidente de la commission Parité du Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, HCEfh :

Avant de vous répondre, je voudrais tirer le fil de ce que vient de dire Laure Béréni sur la suspicion de militantisme qui frappe les études de genre.

Il faut rappeler que Judith Butler, citée de manière assez outrancière par les opposants à la dite « théorie du genre » comme une incarnation de ce danger idéologique, appuie ses travaux sur ce qu'elle appelle « la théorie française » de Foucault ou Derrida. Il est important de noter qu'il y a des allers-retours en termes de recherche et de filiation scientifique. Il n'y a pas eu de décalque des travaux faits aux États-Unis, mais un entremêlement.

La suspicion de militantisme, comme le montrent tous les travaux sur l'épistémologie du rapport aux valeurs, sur le jugement de valeur, de Weber, Élias et tous les autres, peut se poser pour toutes les sciences, pas seulement les sciences humaines et sociales. Comme le dit Elsa Dorlin, travailler sur le genre oblige à se poser la question du savoir situé, du rapport à la dimension normative de notre objet d'étude. Tous les chercheurs devraient le faire, mais ils le font plus ou moins. Nous, au moins, nous réfléchissons à cet enjeu.

Je rappelle que les sciences dites « dures », en particulier la médecine et la biologie, ont été utilisées pour justifier la colonisation et l'esclavage par des théories prétendument scientifiques – typologies et hiérarchies entre les prétendues races.

Il y a donc en effet une dimension normative, politique, des études de genre, mais comme dans toute démarche scientifique d'analyse des savoirs, qui sont toujours des savoirs situés et normés.

Quand vous parlez des quotas, je pense que vous avez en tête les recherches autour de la question du partage des responsabilités et du pouvoir au sein de la démocratie, et plus largement, dans toutes les instances de décision. Nous voyons clairement dans ce cas une fertilité des connaissances des universitaires européennes et internationales. Françoise Gaspard est une figure très intéressante dans ce mouvement. Dans le dialogue vertueux entre les universitaires, les institutionnels et politiques et les associatifs, elle appartenait à toutes ces catégories à la fois. Elle était aussi aux différents niveaux de prise de décision : européen, international de par ses responsabilités au sein de la Convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes des Nations Unies (CEDAW), et aux niveaux national et local.

Des travaux ont contribué à la mise à l'agenda de ce problème social et politique en établissant le diagnostic de l'exclusion des femmes des postes à responsabilité, en particulier de la représentation au niveau des parlements. Mais d'autres travaux ont aussi montré comment cette exclusion des femmes des postes à responsabilité et de la représentation démocratique était liée au dilemme au coeur même des principes républicains, en particulier le principe d'égalité, qui avait justifié l'exclusion des femmes de la citoyenneté active. Alors que les femmes s'étaient vues reconnaître le droit de vote par une ordonnance qui n'est jamais passée devant les chambres parlementaires françaises, elles étaient toujours exclues d'une réelle citoyenneté active. L'héritage théorique de leur exclusion au sein même du contrat social est à cet égard éclairant, avec une relecture de ce que l'on appelle le contrat fraternel, comme le montrent les travaux de Carole Pateman, Françoise Gaspard, Armelle Lebras-Chopard ou Janine Mossuz-Lavau.

Dans l'émergence de ce sujet comme un sujet ayant du sens théorique en science politique, faisant problème social et politique en termes de rapport à l'application du principe d'égalité, mais aussi en termes d'instrument de politiques publiques, les recherches ont apporté des éclairages centraux.

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