Intervention de Danielle Auroi

Réunion du 7 juin 2016 à 16h30
Commission des affaires européennes

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanielle Auroi, Présidente de la Commission :

Monsieur le conseiller spécial, je suis heureuse que vous ayez accepté notre invitation et que l'Assemblée nationale puisse évoquer avec vous les sujets qui font l'actualité en matière de défense et de sécurité en Europe. Il me semble qu'ils prennent de plus en plus d'importance.

La longue et riche expérience qui est la vôtre, en France et au niveau de l'Union européenne, montre que vous êtes un Européen convaincu. L'Union européenne, qui, aujourd'hui, est confrontée à de multiples crises, peut compter sur ceux qui, comme vous, la connaissent bien, l'aiment et sont sensibles aux enjeux globaux, qu'il s'agisse du changement climatique ou du drame des migrations – l'Organisation des Nations unies (ONU) estime à plus de 10 000 le nombre de noyés en Méditerranée depuis 2014 ; or, la sécurité, c'est aussi la sécurité de ceux qui veulent rejoindre l'Union européenne. Au-delà, j'espère que nous pourrons aussi évoquer la situation et les perspectives actuelles de l'Union. Autrement dit, nous attendons que vous nous donniez un peu d'espoir…

L'environnement de sécurité de l'Union s'est considérablement dégradé ces dernières années. La stratégie européenne de sécurité de 2003 s'ouvrait par cette phrase : « L'Europe n'a jamais été aussi prospère, aussi sûre ni aussi libre. » Cette époque nous paraît bénie et, malheureusement, révolue. Au Conseil européen des 25 et 26 juin 2015, la Haute Représentante Federica Mogherini a dressé un tableau plutôt sombre, mais extrêmement juste, des menaces et des défis auxquels est confrontée l'Europe – de la Méditerranée au Partenariat oriental, en passant par de multiples autres questions. Le Conseil européen lui a demandé de lancer un « processus de réflexion stratégique en vue d'élaborer, en étroite coopération avec les États membres, une stratégie globale de l'Union européenne concernant les questions de politique étrangère et de sécurité ». Cette nouvelle stratégie, destinée à remplacer celle de 2003, doit être présentée au Conseil européen des 28 et 29 juin prochains. Nos deux grands spécialistes Yves Fromion et Joaquim Pueyo présenteront demain un rapport assorti d'une proposition de résolution européenne sur cette nouvelle stratégie ; je leur laisserai donc le soin de vous interroger à ce sujet.

Pour ma part, je salue à la fois cette initiative, qui s'est longtemps fait attendre, mais également le passage d'une stratégie de sécurité à une stratégie globale en matière de politique extérieure et de sécurité. En effet, la sécurité est une préoccupation majeure de nos concitoyens. Nous avons connu des drames à répétition, avec des attentats, en France ou ailleurs, qui nous ont marqués. La menace terroriste est partout et se présente sous différentes formes – voyez la toute récente arrestation d'un Français en Ukraine.

J'ai la conviction que la réponse à la menace terroriste comme d'ailleurs aux autres menaces ne peut reposer uniquement sur des moyens militaires ou, plus largement, sécuritaires. Il était nécessaire d'intervenir en 2013 au Mali – la France l'a fait – pour stopper l'avancée des djihadistes comme il est nécessaire aujourd'hui d'aider le Mali à lutter contre les terroristes avec les deux opérations civiles et militaires EUCAP Sahel Mali et EUTM Mali. Cependant, tout cela est un problème de long terme, et la sécurité de l'Europe ne pourra être garantie qu'en agissant à la racine du mal, c'est-à-dire cette extrême pauvreté qui fait le terreau du terrorisme.

Si nous nous arrêtons spécifiquement aux questions de sécurité, nous devons aussi envisager, en raison des migrations qu'il pourra entraîner au cours des prochaines années, la lutte contre le changement climatique comme un élément de la sécurité de l'Union européenne. Je vous pose donc la question : la Commission européenne a-t-elle pleinement pris en compte le fait qu'aider les pays en voie de développement, notamment en Afrique, est non pas seulement une obligation morale mais également une condition de notre sécurité à long terme ? Il me semble que le président Juncker l'a à l'esprit.

Sur le même point, figure dans le programme de travail de la Commission la présentation d'une proposition législative relative à ce qu'on appelle le « renforcement des capacités dans le domaine de la sécurité et du développement » – en anglais : capacity building in support of security and defense. Ce nouvel instrument de la politique de développement sera dédié au renforcement des capacités sécuritaires des pays les plus fragiles. Certes, je comprends l'objectif visé, mais ne faut-il pas craindre que le financement de ce nouvel instrument ne vienne amputer les ressources d'autres instruments de développement ? De même, quelle garantie avons-nous que les États concernés ne feront pas usage de ces nouvelles capacités contre leur propre population ? Ce nouvel instrument pourrait ainsi se révéler contre-productif. Pouvez-vous nous rassurer et nous indiquer où en est la réflexion de la Commission et quelles sont ses propositions ?

Par ailleurs, si la sécurité est désormais une préoccupation majeure des pays européens, ne faut-il pas craindre qu'elle n'aboutisse à la remise en cause de nos libertés à l'intérieur de l'Union par le renforcement des moyens de surveillance de masse, du Passenger Name Record (PNR) à la cybersurveillance en passant par les écoutes ? Le travail des États en la matière est très important, mais les parlementaires que nous sommes s'inquiètent toujours pour les droits humains.

Parmi les crises actuelles qu'affronte l'Union, je pense aussi à la situation en Ukraine. Malgré les accords de Minsk et les mesures restrictives adoptées par l'Union contre la Russie, rien n'a changé sur le terrain : la Crimée est toujours occupée et le Donbass aux mains des séparatistes pro-russes, tandis que l'embargo russe frappe particulièrement nos produits agricoles. Il y a aussi la question du gaz. Par ailleurs, la question de dérives autocratiques semble à nouveau pouvoir se poser en Ukraine, après une ouverture démocratique. Plus généralement, quel dialogue envisager avec la Russie, qui est peut-être une menace pour notre sécurité mais aussi un partenaire incontournable ? Pour un certain nombre de pays d'Europe de l'Est qui aspirent à nous rejoindre, il peut être plus intéressant de travailler sur le Partenariat oriental que d'agiter le chiffon rouge de l'OTAN devant la Russie.

Dans le même ordre d'idées, le fait que de nombreux États membres préfèrent se tourner vers l'Organisation du Traité de l'Atlantique Nord (OTAN) pour assurer leur sécurité interroge la capacité de l'Union à construire une véritable Europe de la défense. Si celle-ci existait, l'OTAN ne paraîtrait pas l'instrument le plus efficace. La France et l'Allemagne souhaitent aller de l'avant, en créant notamment un centre de commandement et une cellule de planification militaire. Est-ce une perspective réaliste ? D'une manière générale, peut-on attendre des annonces lors du prochain Conseil européen, à supposer bien sûr que le résultat du référendum britannique ne remette pas en cause son ordre du jour ? Il y a quelques jours le président Juncker a affirmé, devant la Fondation Robert-Schuman, qu'il faudrait un jour une vraie défense européenne et qu'il fallait vraiment commencer à s'y préparer.

J'ai déjà évoqué les opérations en cours au Mali mais, actuellement, l'Union européenne en conduit au total dix-sept, civiles et militaires, notamment en Somalie, en République démocratique du Congo, en Bosnie-Herzégovine, en Méditerranée et en Ukraine. Ces missions coûtent plusieurs dizaines de millions d'euros et impliquent des centaines d'Européens sur des terrains parmi les dangereux du monde. Ont-elles atteint leurs objectifs ? Peut-être est-il un peu tôt pour en faire le bilan, mais la prise en charge de leurs coûts par le mécanisme de financement européen Athena n'est-elle pas insuffisante ? Le cas échéant, comment l'améliorer pour alléger le fardeau qui pèse sur les Etats membres ?

Enfin, vous avez personnellement beaucoup oeuvré, en tant que commissaire, à l'idée d'une capacité européenne en matière de sécurité civile. Ne serait-il pas temps d'envisager à nouveau un corps de casques bleus européen ?

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