Intervention de Pierre Moscovici

Réunion du 8 juin 2016 à 9h15
Commission des affaires européennes

Pierre Moscovici, commissaire européen aux affaires économiques et financières, à la fiscalité et aux douanes :

Mesdames Rabault et Berger, la Commission européenne répondra officiellement à la question portant sur la croissance potentielle, dont l'importance et la pertinence ne m'ont pas échappé. Nous avons commencé à en parler lors de l'Eurogroupe informel tenu à Amsterdam il y a un petit mois ; le président de l'Eurogroupe et moi-même faisons confiance aux travaux d'un groupe technique sur la croissance potentielle, qui doit rendre ses conclusions à l'automne prochain, et nous agirons. Lorsque nous avons examiné le budget de l'Italie dans le cadre du semestre européen, nous avons calculé la croissance potentielle à partir d'un cycle de quatre ans et non de deux. Je suis favorable à une révision de nos règles, dans le sens d'une simplification, d'une plus grande lisibilité – si nous avions décidé de lancer une procédure de déficit excessif contre l'Italie sur le fondement de son endettement, personne n'aurait compris notre décision, pourtant légitime, puisque son déficit s'élèvera à 1,8 % de son PIB l'an prochain – et d'une meilleure prise en compte du cycle économique. J'ai de la sympathie pour votre démarche, qui est considérée avec beaucoup de sérieux.

Je suis également sensible aux remarques sur la base taxable en matière de TVA, mais les États devront être responsables s'ils recouvraient la compétence dans ce domaine, en ne décidant pas d'un taux réduit généralisé. On définirait d'ailleurs des critères pour encadrer l'inscription des produits sur la liste de ceux bénéficiant d'un taux réduit.

Dans le dossier de l'ACCIS, nous commencerons par définir une assiette commune avant de lancer le processus de consolidation. Il ne s'agit pas d'un projet nouveau, puisqu'il se trouve sur la table du Conseil depuis 2010, même s'il a été retiré pour obsolescence. Les Irlandais s'opposent à la consolidation, car de nombreux sièges sociaux sont implantés dans leur pays. Une période d'acclimatation serait pertinente, d'où notre volonté d'avancer en deux étapes.

Monsieur Lefebvre, je vous remercie de m'avoir rassuré sur la trajectoire des finances publiques ; je ne suis pas inquiet, mais je reste vigilant comme l'exige mon travail de commissaire européen. Le programme de stabilité de la France affiche une prévision de déficit budgétaire de 3,3 %, et les prévisions officielles de la Commission s'avèrent légèrement plus optimistes et évaluent le déficit budgétaire français à 3,2 % cette année. Le passage de 3,2 % à 2,8 %, scénario que nous avons retenu alors que le programme de stabilité annonce que le déficit budgétaire ne sera que de 2,7 % en 2017, constitue un pas qu'il n'est pas impossible de franchir. Encore faut-il que la politique budgétaire soit conduite avec sérieux et que les dépenses supplémentaires soient compensées par des économies correspondantes – si possible intelligentes, monsieur le président ! La Commission recevra en octobre 2017 l'avant-projet de budget de la France et exercera ses prérogatives en la matière. J'espère que nous constaterons que les engagements pris ont été tenus.

Monsieur Hetzel, le pacte n'est pas en péril : nos décisions sur l'Espagne et le Portugal répondent à notre désir de ne pas briser la reprise dans des pays qui ont consenti des efforts, mais où la situation du chômage reste préoccupante. Nous avons un nouveau rendez-vous début juillet, après les élections espagnoles, où nous prendrons nos responsabilités. Je ne partage pas votre analyse économique, et la plupart des instituts non plus d'ailleurs. On n'a pas besoin en ce moment de plus de consolidation budgétaire ; le FMI et l'OCDE demandent une contribution plus positive des finances publiques à la croissance. La croissance reste inférieure à 2 % dans la zone euro et les taux d'intérêt restent faibles, si bien que l'objectif ne doit pas être d'atteindre partout l'équilibre budgétaire ! Ce débat sera probablement le vôtre en 2017 et il a lieu en Allemagne, mais il convient de prendre en compte des paramètres démographiques et économiques qui s'avèrent subtils.

Monsieur de Courson, la Commission veut que la dette grecque se réduise significativement, mais aucun État membre n'est prêt à accepter une décote – ou haircut – de la dette grecque. Ce sujet n'existe pas à la table de l'Eurogroupe.

Il est déjà très ambitieux de vouloir appliquer le reporting pays par pays aux pays européens et aux paradis fiscaux. Je comprends que certains veuillent aller plus loin, mais ceux-là font fi des débats au sein de la Commission européenne et des positions exprimées au Conseil. Si nous envisagions d'accroître le champ de la réforme, un problème de légitimité et de réciprocité des législations se poserait, et notre volonté ne pourrait se concrétiser puisque nous n'avons pas de capacité d'action majeure en la matière. Nous nous en tenons donc à ces deux zones, et nous serions la seule entité économique du monde à mettre en oeuvre une telle obligation. La liste des paradis fiscaux sera européenne, si bien qu'une connexion existe entre le reporting pays par pays et la liste paneuropéenne, puisque nous demanderons des données comptables et fiscales exhaustives pour les activités exercées dans ces pays-là – ainsi que dans l'ensemble de l'UE. J'ignore si cette réforme peut être adoptée – et encore moins avant le 31 décembre prochain – car des débats ont lieu au Conseil. Je souhaite une adoption rapide, mais l'horizon de la fin de l'année s'avère bref à l'échelle de l'UE.

La France n'a pas demandé à ce que ses dépenses de défense soient traitées à part dans le cadre du PSC, mais il est implicitement tenu compte de cet effort. Le problème relève de la mutualisation, et il sera plus simple de traiter ces questions le jour où une défense européenne sera mise en place. Pour des dépenses européennes, la prise en compte du point de vue européen doit prévaloir. La France joue un rôle pour le compte de l'Europe, mais elle agit aussi pour elle-même, et il est difficile d'opérer le partage de ces deux dimensions.

Monsieur Vergnier, le plan Juncker fonctionne concrètement pour les entreprises. Il soutient ainsi, par exemple, une coopérative agricole dans le Cotentin, la rénovation énergétique de logements privés en Île-de-France et la rénovation de friches industrielles ; l'ensemble de ces actions pourraient créer 32 000 emplois. Il y a deux semaines, je me suis rendu en Lorraine, où j'ai visité une PME de 60 employés spécialisée dans l'ingénierie acoustique, qui a bénéficié d'un prêt de 600 000 euros du Fonds européen d'investissement. Il existe certes un problème de système d'information présentant les démarches pour monter les projets, mais les projets doivent préparer l'économie de demain et ce plan n'a pas vocation à financer tous les investissements. Je n'ai pas connaissance du texte slovaque, mais le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) existe déjà et il porte le plan Juncker.

S'agissant du Brexit, il n'y a pas de « plan B », car l'expérience montre que l'élaboration d'un plan B fait disparaître le plan A. Les Britanniques vont choisir, et nous espérons qu'ils resteront dans l'Union. Si l'on commence à envisager la gestion d'un vote de sortie, on se place dans une position difficile. Le président Juncker s'est exprimé la semaine dernière de manière très claire en disant que si l'on reste, on reste et si l'on sort, on sort. Cela me paraît la bonne attitude à adopter.

Cher Jean Lassalle, comme commissaire chargé de la fiscalité, j'ai le soutien total de M. Juncker. Il ne freine jamais la lutte contre l'évasion fiscale et arbitre positivement en la matière. Nous avons besoin de voix pro-européennes pour contrer les anti-européens, et je connais les positions de votre famille politique d'origine, monsieur Lassalle. Je souhaite que l'échéance électorale française de 2017 soit l'occasion de beaucoup entendre les positions pro-européennes.

Il convient d'avancer dans le dossier du budget européen.

Monsieur Alauzet, il n'y a pas de contradiction entre le secret des affaires et la lutte contre la fraude fiscale. Nous ne voulons pas mettre en danger la compétitivité de l'économie européenne, mais nous souhaitons fixer des règles permettant d'éviter la fraude.

Monsieur Goua, je n'ai pas d'informations sur la réforme de Bâle III ou la perspective d'une résolution dans le secteur des assurances, ces sujets ne faisant pas partie de mon portefeuille. À ma connaissance, ni l'un ni l'autre de ces projets n'existent.

Madame Berger, dix États membres participent au processus de mise en place de la TTF, l'Estonie s'étant récemment retirée. Il en faut neuf pour la déployer, et mon espoir raisonné va de pair avec une prudence relative. Les discussions ne sont pas très dynamiques sur ce sujet en ce moment, mais j'espère que la réunion de la semaine prochaine s'avérera utile. Elle ne réglera pas tous les détails de la taxe, mais elle pourrait arrêter une maquette pertinente. Des résistances existent, et j'ignore les positions de la France et de l'Allemagne, ce projet étant désormais intergouvernemental. Je n'ai cependant pas constaté d'oppositions majeures entre ces deux pays, même si l'Allemagne se montre plus prudente ; ils restent en tout cas les moteurs de ce projet qu'ils ont lancé.

Nous n'avons pas la réponse à toutes vos questions sur l'articulation entre la loi « Sapin 2 » et les idées européennes. La Commission propose tout BEPS et même au-delà de ce programme, la directive de lutte contre l'évasion fiscale se révélant plus ambitieuse que BEPS.

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