Intervention de Eva Sas

Réunion du 22 juin 2016 à 9h30
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEva Sas, rapporteure :

Je souhaiterais d'abord remercier la corapporteure, Sophie Rohfritsch, pour ces premiers constats, et je voudrais commencer moi-même par souligner tout d'abord que le bilan de la mise en oeuvre du PIA est globalement satisfaisant. Son utilité et l'efficacité des différents opérateurs ne font pas de doute. Parmi les exemples de réussite issus du PIA, nous pouvons citer l'introduction en bourse de la société Fermentalg, qui est une société de biotechnologie industrielle spécialisée dans la production d'huiles et de protéines à partir de micro-algues. Cette société a bénéficié de l'investissement du fonds écotechnologie, géré par Bpifrance.

Toutefois, la mission doit aussi relever un écart important avec les objectifs initiaux du législateur et particulièrement avec les annonces faites par le Gouvernement lors du PIA 2. Il s'agit en premier lieu des redéploiements de crédits effectués au détriment des actions finançant la transition écologique.

La gestion extrabudgétaire des crédits du PIA permet au Premier ministre d'opérer rapidement des redéploiements de crédits entre actions selon des modalités qui échappent dans les faits très largement au contrôle du Parlement.

Ainsi, les actions du PIA finançant la transition écologique comptent pour un quart dans l'ensemble des redéploiements de crédits opérés depuis 2010 et surtout, il s'agit principalement de redéploiements à la baisse et de transferts de crédits vers des thématiques autres que la transition écologique.

Un montant de 1,6 milliard d'euros a été redéployé depuis le lancement des PIA en 2010, dans le domaine de la transition écologique : 228 millions ont certes servi à augmenter l'aide à la rénovation thermique des logements privés, et sont donc restés dans le domaine de la transition écologique, mais 1,37 milliard d'euros ont été transférés vers des domaines sans lien avec la transition écologique, notamment au profit de la défense. Les diminutions les plus fortes touchent l'ADEME et le programme Ville de demain.

Au total, les montants consacrés à la transition écologique sont passés de 7,92 à 6,55 milliards d'euros, soit une baisse de 17,3 %. À ce jour, la part de la transition écologique dans l'ensemble des crédits des PIA 1 et 2 est donc passée de 16,9 à 13,9 %, ce qui représente une baisse de 3 points.

Les actions du PIA dédiées à la transition écologique ont donc subi plus que d'autres des arbitrages budgétaires défavorables. Elles sont par exemple surreprésentées, en 2012, parmi les différents financements mobilisés pour abonder l'action du PIA 1 « Recapitalisation d'OSEO » dans le but de financer la création de la « Banque de l'industrie », Bpifrance. Les actions destinées au financement de la transition écologique ont contribué à cette opération à hauteur de 40 %. Il s'agit de crédits « détournés » de leur finalité initiale.

De même, la loi du 8 août 2014 de finances rectificative pour 2014 a abondé le programme « Excellence technologique des industries de défense » du PIA 2 de 170 millions d'euros de crédits de subventions provenant d'actions de l'ADEME. En outre, l'action Ville de demain a été mise à contribution, au profit de la défense à nouveau, en 2014, pour 82 millions d'euros de crédits de subventions.

Les crédits du PIA finançant la transition écologique étaient constitués à 91 % de dotations consommables : leur disponibilité immédiate a accru le risque de les mettre à contribution. Néanmoins, ces redéploiements ont parfois été facilités aussi par une relative sous-consommation initiale des crédits, en particulier entre 2012 et 2014.

La mission a examiné les motifs de ces retards : une partie a tenu à des lourdeurs auxquelles les opérateurs ont remédié depuis, mais une part s'explique par le temps nécessaire pour faire émerger des projets sur des sujets innovants dans un secteur émergent. D'autres secteurs industriels, plus matures, avaient logiquement plus de projets à proposer au financement dès le lancement du PIA.

Sur ce secteur plus nouveau, l'ADEME a dû établir, avec les professionnels, des feuilles de route stratégiques sectorielles afin de cibler les appels à projets vers les domaines présentant à la fois de véritables atouts pour la France et des perspectives de développement commercial, notamment à l'export. Il s'agissait ainsi d'éviter de chercher à financer des innovations dans des domaines où la production ne se ferait pas sur le territoire national, ou dans des segments où il n'existerait pas d'opportunités de marché en raison d'une demande trop faible, ou d'une concurrence déjà installée.

En revanche, le rythme de dépenses est systématiquement plus rapide lorsque le PIA se substitue à des crédits budgétaires pour financer des projets préexistants. Redéploiement de crédits et débudgétisation vont donc souvent de pair.

En tout état de cause, certains redéploiements ont été décidés avant même le lancement des programmes, par exemple pour les interventions de l'ANRU ou pour des enveloppes du programme « Véhicules du futur » issues du PIA 2. Ils ne sont donc pas dus à la montée en charge trop lente des programmes, mais à des priorités données à des actions nécessitant rapidement des fonds, souvent en remplacement de crédits budgétaires.

En conséquence, afin de limiter les redéploiements excessifs et facilitant la débudgétisation, nous proposons d'accroître le niveau d'information du Parlement sur les décisions du Premier ministre, lors de leur communication aux commissions, en faisant en sorte que soient indiqués les motifs des redéploiements de crédits et, surtout, leurs incidences sur la part des financements du PIA consacrés à la transition écologique et sur les appels à projets en cours.

Outre l'impact des redéploiements, la MEC doit également constater un écart entre les objectifs affichés et les résultats en ce qui concerne le principe d'éco-conditionnalité des aides défini en 2013.

Ce principe soumet à des objectifs de transition écologique des projets qui n'entrent pas directement dans ce domaine. Tout ou partie des neuf critères d'éco-conditionnalité retenus par le CGI constituent des éléments de « sélection secondaire », donc des critères de choix de second niveau ou de modulation du montant de l'aide. L'éco-conditionnalité paraît donc utile, mais la démarche n'est pas encore aboutie ni harmonisée. L'approche excessivement compartimentée entre opérateurs n'a pas permis de l'appliquer sur un périmètre suffisamment large.

La Caisse des dépôts et consignations, par exemple, n'a pas pu l'appliquer pour l'essentiel des actions du PIA 2 – ce qui a écarté plus d'un milliard d'euros de financements, y compris dans le domaine du numérique pourtant fort consommateur d'énergie ou de métaux rares.

Or, le Premier ministre avait, en 2013, présenté ce critère comme devant permettre le financement direct ou indirect de la transition écologique par 50 % des crédits du PIA 2. Cet objectif était manifestement hors d'atteinte.

Nous proposons donc que les opérateurs poursuivent leurs efforts pour mettre en oeuvre l'éco-conditionnalité de manière adaptée à chaque secteur, mais nous considérons que ce financement indirect de la transition écologique, ne doit pas servir à en minorer le financement direct. Ainsi, il ne saurait être retenu comme critère d'appréciation de la part des dotations du PIA 3 destinées à transition écologique.

En ce qui concerne la perspective du PIA 3, la sous-consommation constatée dans les premiers temps n'est plus d'actualité. L'expertise dans le repérage et le traitement des dossiers, ainsi que la maturation d'un secteur jusque-là émergent, ont permis d'atteindre un rythme de croisière.

Si l'engagement des enveloppes s'accélère depuis deux ans, il reste que les décisions de redéploiement prises jusqu'à présent ont diminué les financements potentiels, sur la durée, pour chacune des actions du PIA finançant la transition écologique : nous considérons donc que le PIA 3 peut être mis à profit pour en compenser les effets, qui s'élèvent, je le rappelle, à 1,3 milliard d'euros.

Le PIA 3 doit également être mobilisé pour financer les nouvelles opportunités que présentent, d'une part, les dynamiques suscitées par le PIA et, d'autre part, le nouveau contexte en matière de transition écologique.

Ainsi, et sous réserve, comme l'a souligné Sophie Rohfritsch, d'une meilleure lisibilité et d'une meilleure complémentarité avec les autres financements, qu'ils soient nationaux ou européens, on peut évaluer les financements nécessaires à la poursuite des actions consacrées à la transition écologique à 2 milliards d'euros dans le PIA 3. Cette suggestion est raisonnable, voire minimale, pour que la transition écologique puisse continuer à figurer parmi les priorités de la stratégie industrielle et commerciale de la France.

En tant que législateur, nous posons des exigences de transition de nos systèmes productifs en fixant des buts de développement durable. C'est aussi ce que fait nous faisons en ratifiant les conclusions de la COP 21. Or ces engagements appellent des investissements importants pour viabiliser les innovations techniques, mais aussi pour en déployer les effets en complément du financement de l'innovation. Il nous faut donc faire preuve de cohérence au plan budgétaire, mais aussi et surtout de plus de volontarisme et de constance dans les choix stratégiques.

Il apparaît par exemple de plus en plus nécessaire de financer le déploiement des nouvelles infrastructures de la transition écologique, mais les conditions d'utilisation du PIA en ce sens ne sont ni définies, ni clarifiées. Dans le PIA 1, 60 millions d'euros de subventions de l'ADEME destinées aux « Véhicules du futur » ont financé, de façon assez dérogatoire, des infrastructures de recharge sur la voirie pour les véhicules électriques. La question sera à nouveau posée, pour les bornes interopérables pour les véhicules électriques hybrides-hydrogène. Nous devons donc clarifier les conditions de financement public du déploiement des infrastructures qui amorcent les nouveaux marchés de la transition écologique, soit par une action identifiée du PIA, soit plutôt par des crédits budgétaires ou par le fonds de financement de la transition énergétique, en complément du PIA.

De même, le PIA a permis, de façon limitée, d'intervenir très en aval du financement de l'innovation, jusqu'au stade de la première exploitation commerciale, par exemple, en matière d'éoliennes offshore. Mais cette orientation n'est pas assumée, ni cadrée. Le PIA 3 doit donc permettre de fixer la doctrine de financement des premières exploitations commerciales, particulièrement au moyen de fonds propres par l'ADEME et le fonds SPI de Bpifrance.

Il faut également faire preuve de cohérence sur la durée : le programme de rénovation thermique « Habiter mieux » de l'ANAH financé par le PIA, est une réussite. Il est donc absolument indispensable d'assurer la pérennité du financement de cette action. Les ressources propres de l'ANAH pourraient ainsi être accrues à hauteur de l'objectif de rénovation thermique de 70 000 ou 100 000 logements par an. Nous considérons par ailleurs qu'il est possible d'identifier dans le PIA 3 un programme dédié à l'innovation en matière de rénovation énergétique, qui pourrait contribuer aux nouvelles formes d'intervention du programme « Habiter mieux », par exemple les interventions groupées dans les quartiers pavillonnaires.

De même, concernant les instituts pour la transition énergétique (ITE), des éléments concordants conduisent à penser qu'il est trop ambitieux d'exiger leur autofinancement en neuf années à partir des seuls revenus des droits de propriété intellectuelle tirés des recherches qu'ils pilotent. Des financements supplémentaires devront permettre de reporter cette échéance et de diversifier leurs ressources en élargissant leurs activités, par exemple par des prestations de services de démonstration.

Dans le domaine de l'urbanisme durable, où les financements actuels sont presque entièrement consommés, une nouvelle enveloppe paraît justifiée. Elle pourrait comporter des aides importantes pour un petit nombre de projets plus structurants assortis d'obligations d'exemplarité au niveau international. Il faudrait y ajouter l'appui à des projets conduits en réseau afin de soutenir l'innovation dans les villes moyennes, en tenant compte du rôle des régions et de la décentralisation d'une part plus importante des crédits du PIA 3.

À ce titre, il convient de veiller à la plus-value que peut représenter le programme « Ville durable » de l'ANRU, dont l'enveloppe reste à engager suite à la clôture de l'appel à projet en 2015, et qui pourrait, en fonction de ses résultats, faire l'objet d'un nouveau financement dans le cadre du PIA 3.

Pour conclure, des mesures d'ordre plus général peuvent accroître la mobilisation de financements privés dans la transition écologique et donc améliorer l'effet de levier des financements publics. La programmation pluriannuelle de l'énergie prévue par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte facilitera par exemple le déploiement commercial des filières, grâce à une trajectoire définissant appels d'offres, tarifs d'achat et compléments de rémunération. Il faut donc la mettre en oeuvre dans sa globalité et sans tarder.

De même, il conviendrait d'instituer une obligation pour des acteurs financiers tels les mutuelles et les assurances de placer une partie minime de leurs investissements dans des projets innovants de la transition écologique. Il s'agit d'une proposition ancienne et souvent formulée, mais le besoin n'en est aujourd'hui que plus vif.

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