Intervention de Michel Zumkeller

Réunion du 8 juin 2016 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaMichel Zumkeller, rapporteur :

Nous nous sommes également penchés sur la question du recrutement et de l'affectation des hauts fonctionnaires de l'État : la diversification des profils est un élément de la réponse aux exigences de politiques publiques et d'organisation de plus en plus complexes.

La formation initiale et le début des carrières représentent une période décisive qui doit permettre l'identification des compétences et des potentiels, ce qui exige notamment la mise en oeuvre de procédures d'affectation transparentes et interministérielles. C'est la raison pour laquelle les réformes des concours d'entrée à l'ÉNA et à l'École polytechnique et de leurs scolarités méritent une attention toute particulière.

Mais la diversification des profils n'est pas qu'affaire de postes offerts à l'issue d'un concours : elle implique une réelle promotion de l'égalité et de la diversité. C'est pourquoi nous jugeons nécessaire la fixation d'un objectif de présentation de dossiers d'inscription en classes préparatoires d'élèves à fort potentiel issus de lycées établis en zone d'éducation prioritaire. Par ailleurs, la sous-féminisation des écoles publiques d'ingénieurs prive l'État de nombreux jeunes talents ; c'est pourquoi nous recommandons la généralisation des démarches pédagogiques engagées dans les lycées afin de favoriser une augmentation de la proportion de femmes dans les classes préparatoires scientifiques.

Le deuxième impératif est celui de la formation, autour de l'acquisition d'une culture professionnelle ouverte, de la transmission de savoir-faire techniques et du renouvellement des compétences. À cette fin, notre rapport présente sept propositions qui visent à faire plein usage de dispositifs aujourd'hui peut-être insuffisamment exploités ainsi qu'à systématiser certaines pratiques. Je pense par exemple au tutorat, ainsi qu'aux formations à la prise de poste, dont nous prônons la généralisation. Le rapport appelle aussi au développement des bilans de compétence. En effet, tout commanderait de faire de la formation continue un instrument de promotion dans le déroulement des carrières mais, par manque d'intérêt ou de temps, les hauts fonctionnaires n'utilisent pas suffisamment l'offre de formation qui leur est destinée.

C'est sur la base de ce constat que nous estimons nécessaire d'inciter les cadres supérieurs de l'État à suivre des formations en management. Il est également nécessaire de résoudre la question de la différence de coûts de l'accès aux formations entre les ministères.

Les modalités pratiques de l'accès à la formation continue constituent une question essentielle. Il conviendrait d'établir une répartition des rôles efficace entre les différents opérateurs susceptibles de concourir, à un moment ou à un autre de la vie professionnelle des hauts fonctionnaires, à l'acquisition de compétences métiers ou de savoir-faire plus généraux. Nous appelons donc à un renforcement des liens entre les écoles de formation initiale et continue des trois versants de la fonction publique, mais aussi à une meilleure coordination des offres de formation continue entre l'ÉNA, Polytechnique et les autres organismes de formation destinés aux hauts fonctionnaires. Il est également nécessaire, naturellement, d'en évaluer les coûts.

Dans notre réflexion sur l'attractivité des carrières, je commencerai par insister sur la question de l'exercice de fonctions au sein des cabinets ministériels.

En 2015, on comptait 495 équivalents temps plein dans les cabinets. Chacun sait ici la part que les collaborateurs directs des membres du Gouvernement prennent dans le fonctionnement des administrations centrales. Leur rôle peut d'ailleurs inspirer des jugements contrastés, tant du point de vue de la continuité de l'action de l'État que de l'efficacité des politiques publiques. Par ailleurs, une promotion prématurée à la suite d'un passage en cabinet n'est pas sans risque et bouscule la structuration des parcours de carrière.

Cette période formatrice dans la vie professionnelle d'un haut fonctionnaire ne saurait conduire à des pratiques préjudiciables à une véritable évolution de carrière. C'est la raison pour laquelle nous jugeons nécessaire de mieux encadrer le passage en cabinet ministériel. Nous proposons donc que cette période ne compte pas pour la mobilité statutaire prévue par certains corps et que la durée des services effectifs requis des hauts fonctionnaires pour pouvoir devenir membre d'un cabinet soit fixée à six ans.

L'attractivité des carrières renvoie aussi à la mobilité – interministérielle, à l'intérieur de la fonction publique ou vers le privé – qui constitue l'un des principaux vecteurs de l'enrichissement des parcours professionnels pour les hauts fonctionnaires.

Or, de nombreux obstacles demeurent – différences de rémunérations entre les ministères, crainte d'être « placardisé » au retour. De réels efforts pour mettre un terme à ces difficultés ont été entrepris, mais nous recommandons vivement de poursuivre dans cette voie. Afin de faciliter la mobilité entre les trois versants, notre rapport recommande, en particulier, l'alignement du taux de contribution aux charges de pension versé par une collectivité lorsqu'elle emploie un fonctionnaire de l'État en détachement sur celui versé quand elle emploie un fonctionnaire territorial.

Nous sommes également convaincus que la haute fonction publique gagne à développer les passerelles public-privé, en exploitant pleinement les possibilités offertes par les textes statutaires en vigueur. Mais il ne saurait être question pour les hauts fonctionnaires de s'affranchir des principes déontologiques ; de ce point de vue, la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie des fonctionnaires a établi un cadre relativement strict. Cette question va d'ailleurs être discutée au cours de l'examen du projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.

L'allongement des vies professionnelles pose enfin le problème de la valorisation des troisièmes parties de carrière. Nous encourageons ainsi la généralisation de certaines pratiques constatées dans des ministères consistant à proposer des missions de conseil à haut niveau d'expertise ou de tutorat. Un tel titre devrait être officiellement créé et intégré au répertoire interministériel des métiers et une formation permettant la reconversion de l'intéressé devrait être instituée.

Enfin, je voudrais insister sur la féminisation de l'encadrement supérieur de l'État. Le législateur a fixé des obligations et des objectifs volontaristes depuis 2011, que ce soit la loi Sauvadet du 12 mars 2012 ou la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Le pouvoir réglementaire en a tiré les conséquences et, aujourd'hui, cette politique porte ces fruits : le taux de primo-nomination de femmes aux emplois de direction et à la décision du Gouvernement a atteint près de 30 % en 2014. L'actualité récente fournit encore un exemple de la féminisation de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État, avec la nomination de Mme Odile Renaud-Basso à la tête de la direction générale du Trésor. Elle est la première femme à la tête de cette administration.

Des disparités persistent toutefois entre les ministères. Nous appelons à une convergence des actions conduites et nous proposons de garantir des moyens efficaces au service de ces politiques.

Il faut, cela apparaît clairement à l'issue de nos réflexions, raisonner de façon transversale : la gestion des ressources humaines de la fonction publique – recrutement des hauts fonctionnaires, formation, système de mobilité, procédures de sélection des cadres dirigeants… – doit revêtir une véritable dimension stratégique et pour cela être guidée par un centre d'impulsion aux compétences élargies, une véritable « DRH de l'État », pour reprendre la formule du Premier ministre en décembre 2015. Or, actuellement, la gestion des ressources humaines de la haute fonction publique d'État répond encore à des logiques ministérielles et à des logiques de corps.

Ce projet de gestion véritablement interministérielle de la haute fonction publique suppose de lever un certain nombre d'obstacles qui résultent de l'accumulation de pratiques désordonnées. C'est le cas en particulier des régimes indemnitaires. Leur grande dispersion a pour effet de faire varier parfois substantiellement d'un ministère à l'autre les rémunérations de hauts fonctionnaires appartenant à un même corps. C'est pourquoi nous encourageons les pouvoirs publics à s'engager plus avant dans la voie de l'harmonisation.

Plus globalement, la réforme ne saurait, selon nous, se limiter à un simple renforcement des fonctions RH au sein des ministères. Nous proposons que le champ des sujets traités au niveau interministériel soit élargi et que certains corps puissent être directement gérés par la future DRH de l'État, sans toutefois que le principe d'un programme spécifique à destination des hauts potentiels et des cadres dirigeants au plus haut niveau de l'État ne soit remis en cause.

Mes chers collègues, notre haute fonction publique doit s'adapter et se moderniser pour répondre au mieux aux besoins du service public. Ce rapport formule des propositions en ce sens, sans prétendre à l'exhaustivité. Ce que nous souhaitons, c'est un projet politique d'ensemble, au service de tous, pour ne pas, selon le mot de Pierre Legendre, substituer à l'indispensable « conscience morale et politique » une simple « correction gestionnaire ».

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