Intervention de Jean Launay

Réunion du 8 juin 2016 à 11h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean Launay, rapporteur :

Monsieur le président, mes chers collègues, le 20 janvier dernier, la Commission des finances a confié à la mission d'évaluation et de contrôle (MEC) une réflexion sur les enjeux de la formation continue et de la gestion des carrières dans la haute fonction publique. Nous vous remercions d'avoir accepté cette proposition, née pour ma part de mon expérience à l'Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN) – où j'ai pu apprécier le modèle militaire de formation des cadres – mais aussi du souci de mener une réflexion transversale sur cette question.

Alors que le Gouvernement a exprimé, pour 2016, l'ambition de mettre en place une nouvelle gestion des ressources humaines de l'État, il nous a paru important de nous saisir de ce sujet qui constitue l'une des conditions de l'efficacité des politiques publiques. Plus les contraintes budgétaires sont fortes, plus la fonction publique se doit d'être efficace ; et cet impératif concerne tout particulièrement l'encadrement. Plus que jamais, il faut bien choisir et bien former les hommes et les femmes qui devront prendre des décisions qui engagent notre avenir.

C'est dans cette optique que nous avons travaillé, Michel Zumkeller et moi-même, en nos qualités respectives de commissaires aux lois et aux finances. Le rapport que nous vous présentons ce matin découle classiquement d'auditions nombreuses, ainsi que des compléments écrits apportés par certaines des personnes auditionnées.

Nous avons formulé une vingtaine de propositions, d'importance inégale, mais qui visent toutes à donner aux pouvoirs publics les moyens de répondre, aujourd'hui et demain, à trois besoins fondamentaux de l'État : recruter et affecter ; former ; enfin et surtout distinguer et promouvoir ses talents.

La première question que nous nous sommes posée est celle de l'identification, de la formation et de l'accompagnement des fonctionnaires futurs cadres dirigeants de l'État.

Des outils sont déjà été développés. L'un des apports de nos travaux est précisément d'évaluer la mise en place progressive, depuis 2010 et par trois Premiers ministres successifs, des procédures qui visent à professionnaliser le recrutement et à systématiser l'évaluation des agents comme l'entretien professionnel, la revue des carrières, ou encore les plans managériaux des ministères, la constitution du vivier des cadres dirigeants et les comités d'audition préalables aux nominations. Il a notamment été recouru à cette dernière procédure pour nommer la nouvelle directrice générale du Trésor.

Comment cette démarche de professionnalisation de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État fonctionne-t-elle, et comment pourrait-elle être encore améliorée ?

La première réponse, à court et à moyen terme, réside dans la consolidation du dispositif créé par la circulaire de 2010 : progressivement, le vivier des futurs cadres dirigeants – dans lequel l'administration va pouvoir puiser en fonction des besoins de nomination – prend sa place.

Il comprend à ce jour près de 650 membres, 650 hauts fonctionnaires considérés comme possédant, ou comme susceptibles de développer, les compétences ou les aptitudes exigées de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État. L'inscription au vivier est mise en oeuvre par la mission « cadres dirigeants » du secrétariat général du Gouvernement. Dans le cadre de la revue des carrières, les ministères identifient et sélectionnent ces hauts fonctionnaires sur la base d'un référentiel des compétences ; ils proposent leur inscription à la mission, qui soumet les hauts fonctionnaires pressentis à une évaluation. Depuis 2015, celle-ci s'appuie sur l'expertise d'un cabinet extérieur de conseil en ressources humaines, que nous avons pu rencontrer. Le comité des secrétaires généraux des ministères, présidé par le secrétaire général du Gouvernement, se prononce ensuite sur l'inscription au vivier.

Les hauts fonctionnaires admis suivent le cycle interministériel de management de l'État (CIME), programme de formation destiné à les préparer à l'exercice des fonctions de cadre dirigeant, qui comprend un coaching, des rencontres entre pairs et des formations.

Le vivier des futurs cadres dirigeants recueille aujourd'hui des appréciations assez largement positives. Mais nos travaux montrent que des interrogations subsistent sur sa portée effective. Celles-ci portent aussi bien sur son format que sur son rôle dans le recrutement de l'encadrement supérieur de l'État. De surcroît, certains observateurs mettent en cause la transparence des conditions dans lesquelles les hauts fonctionnaires peuvent prétendre y être admis. C'est pour aider à lever ces hypothèques que le présent rapport comporte quatre propositions visant à étayer cet outil de sélection des hauts potentiels.

Nous proposons d'abord de consolider les moyens de la mission « cadres dirigeants ». Ce service du secrétariat général du Gouvernement disposait, à la fin de l'exercice 2015, de sept emplois et de 1,1 million d'euros ; cette dotation est stable depuis 2012. Cette mission doit avoir les moyens d'assumer pleinement les multiples tâches qui lui incombent, notamment la mise en oeuvre des procédures de sélection et d'accompagnement des hauts potentiels.

Notre deuxième proposition porte sur la taille du vivier et les modalités d'admission en son sein. Les besoins avérés de qualification et d'objectivisation de l'inscription ont conduit la mission « cadres dirigeants » à restreindre le nombre des hauts fonctionnaires admis depuis 2015. Nous approuvons cette sélectivité nouvelle qui permet d'une part de s'assurer de l'adéquation des profils et d'autre part de donner aux membres du vivier de réelles perspectives de carrière. Le pire serait de laisser prospérer l'idée que ce vivier est un marais… Il faut donc garantir un accompagnement en rapport avec la réalité des postes offerts. Nous préconisons cependant le réexamen systématique de la situation des membres du vivier en leur appliquant à tous les procédures d'évaluation – assessment, en anglais – actuellement en vigueur.

Dans ce même souci d'une objectivisation des conditions d'appartenance au vivier, nous considérons comme indispensable l'institution d'un appel à candidatures, afin de garantir la transparence des modalités de l'admission en son sein. En effet, les pratiques d'évaluation peuvent différer entre les ministères et, en conséquence, affecter l'identification des hauts potentiels. Il convient donc de réduire autant que possible la part d'aléa que peut comporter la sélection ministérielle.

Enfin, pour être efficace, l'inscription dans le vivier doit exercer une influence sur le devenir de ses membres. En application de la circulaire du Premier ministre du 3 mai 2013, les ministères sont tenus d'adresser au secrétariat général du Gouvernement trois propositions pour la nomination à un emploi vacant ; celles-ci comprennent au moins un candidat de chaque sexe et au moins un candidat figurant dans le vivier ministériel. Nous proposons d'augmenter ce dernier chiffre. Notre propos n'est pas d'instituer une sorte de droit à nomination de ceux qui appartiennent au vivier des futurs cadres dirigeants, mais de donner à ses membres la possibilité d'être mieux identifiés, à l'échelle interministérielle, comme susceptibles d'occuper des emplois vacants, y compris en dehors du périmètre de leur affectation.

D'après les chiffres communiqués par la mission « cadres dirigeants », les hauts fonctionnaires du vivier des futurs cadres dirigeants occupent une place croissante au sein de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État. Pour ce qui est des emplois à la décision du Gouvernement, la part de ses membres est ainsi passée de 18 % des nominations en 2012 à 23 % en 2015. Il faut conforter cette dynamique.

Nous avons souhaité prolonger la réflexion en évaluant l'apport d'autres méthodes qui visent à donner tout son sens, pour l'encadrement dirigeant et supérieur, à la notion de parcours professionnel.

En ma qualité d'auditeur de plusieurs sessions de l'IHEDN, j'ai pu mesurer quelle force les armées françaises pouvaient tirer de leur gestion des ressources humaines. L'identification et la sélection des hauts potentiels en leur sein reposent sur deux principes cardinaux.

Le premier principe est celui d'une sélection exigeante et progressive, en rapport avec les aptitudes démontrées et les savoir-faire acquis. La carrière militaire compte trois grandes étapes qui, au sortir des écoles de formation initiale, mêlent étroitement service actif et formation professionnelle continue. Après une première phase d'enseignement militaire de premier degré (EMS 1), les jeunes officiers entrent sur concours à l'École de guerre, entre 33 et 35 ans, ce qui correspond pour l'essentiel à l'enseignement militaire du deuxième degré (EMS 2) ; l'enseignement militaire de troisième degré (EMS 3) vise à apporter aux officiers, à compter de l'obtention du grade de colonel, un élargissement de leurs connaissances dans les domaines de la politique militaire et de l'emploi des forces. Il existe, à ce niveau, un brassage avec d'autres personnes issues de la société civile. Les très hauts potentiels suivront les sessions de l'IHEDN puis, éventuellement, celles du Centre des hautes études militaires (CHEM).

Le second principe est celui de la structuration des parcours individuels, avec une progression dans les responsabilités et une ouverture professionnelle. D'une part, les armées organisent, en général, un suivi individualisé à l'issue de l'École de guerre. D'autre part, une gestion prévisionnelle des emplois très active permet le renouvellement de l'encadrement supérieur tout en rendant possible les réorientations, dans l'intérêt même du service et des personnels.

Certes, comparaison n'est pas raison : la hiérarchie militaire présente des caractéristiques singulières, tant du point de vue de la démographie que du déroulement des carrières. Mais il est incontestable que des enseignements peuvent être tirés de ce que notre rapport appelle le « modèle militaire » pour apporter des réponses à moyen et à long terme aux questions de l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État.

Nous proposons ainsi, en nous inspirant du modèle de l'École de guerre, la création d'une école supérieure de management public. Cet établissement aurait pour mission de former les très hauts potentiels ayant exercé des responsabilités leur permettant de prétendre à l'encadrement supérieur et dirigeant de l'État.

L'école recruterait de huit à dix ans après la première affectation suivant la fin de la scolarité à l'École nationale d'administration (ÉNA). L'admission en son sein pourrait reposer sur un examen professionnel et faire une place à la validation des acquis de l'expérience professionnelle. Cette formation, mêlant une préparation à l'exercice de compétences managériales et l'acquisition de compétences plus techniques, marquerait une première étape dans la reconnaissance des futurs cadres supérieurs et dirigeants de l'État.

Fondée sur l'exemple de la sélection des membres de l'encadrement supérieur des trois armées, une autre de nos propositions envisage un véritable cursus qui lie progression dans les responsabilités et ouverture à des problématiques plus générales et stratégiques. Après la scolarité à l'école supérieure de management public, le parcours des hauts potentiels devrait passer par des sessions de formation construites sur le modèle et avec les objectifs de celles organisées par le CHEM. Celui-ci accueille chaque année une trentaine d'officiers, dont six officiers provenant de pays alliés proches ; la formation porte sur les aspects stratégiques des domaines politico-militaire, opérationnel et de la préparation de l'avenir. Elle accorde également une large place aux aspects interministériels et internationaux des questions de défense.

Afin d'assurer le renouvellement de la haute fonction publique après-guerre, l'ordonnance du 9 octobre 1945 avait établi un dispositif de formation fondé sur trois piliers : les instituts d'études politiques, l'ÉNA mais aussi le Centre des hautes études administratives (CHEA). L'article 10 de l'ordonnance donnait notamment pour mission à ce dernier de « [parfaire] la formation nécessaire à l'exercice de hautes fonctions publiques ». Le CHEA a été supprimé en 2007. Nous ne recommandons pas sa reconstitution mais il importe que, dans l'offre de formation destinée aux hauts fonctionnaires, il existe un cadre institutionnalisé pour le partage des expériences professionnelles et l'échange de vues sur des problèmes généraux et stratégiques. Dans la mesure où ces questions intéressent l'ensemble des collectivités publiques, cette instance – qui pourrait être l'ÉNA – accueillerait des agents des deux autres versants de la fonction publique et des États de l'Union européenne.

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