Intervention de Gérard Sebaoun

Séance en hémicycle du 26 mai 2016 à 9h30
Encadrement des rémunérations dans les entreprises — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaGérard Sebaoun :

Monsieur le président, monsieur le ministre, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le groupe GDR nous propose d’encadrer les rémunérations dans les entreprises en visant clairement les rémunérations extravagantes des dirigeants des très grandes entreprises, qui cumulent allègrement salaires démesurés, stock options, actions gratuites, ou encore primes de bienvenue, indemnités de départ et retraites chapeau !

L’histoire bafouille depuis bien longtemps, au grand dam de nos concitoyens contraints de subir une modération salariale généralisée et qui assistent depuis les années 2000 à des scandales répétés.

En septembre 2008, en pleine crise financière après la faillite de Lehman Brothers, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, affirmait la responsabilité morale et éthique des dirigeants, « sommés » de proscrire les pratiques excessives en matière de rémunération sous peine d’une intervention du législateur ! Le 30 avril 2009, le groupe SRC déposait une proposition de loi, dont le rapporteur était Pierre-Alain Muet, en ce sens.

Les chiffres de l’observatoire des inégalités illustrent que les écarts continuent de s’accroître entre un revenu médian qui a augmenté entre 2004 et 2011 de seulement 7,7 % – 1 400 euros par an –, et les revenus les plus élevés – 0,01 % des assujettis –, qui ont bondi de 43 % sur la même période, pour atteindre 810 000 euros en moyenne. Au sommet de la pyramide, on trouve les grands patrons du CAC 40, dont la rémunération totale a atteint 167 millions d’euros en 2015, en augmentation constante, du Petit Poucet millionnaire de Bouygues au champion toutes catégories de Sanofi, avec presque 17 millions d’euros.

Monsieur le ministre, en février 2013, au nom de mon groupe, j’avais interrogé votre prédécesseur, Pierre Moscovici, lors des questions au Gouvernement. Sa réponse est toujours d’actualité : « nous sommes actionnaires minoritaires par exemple chez France Télécom et Renault. Dans ces entreprises, j’appelle à la modération : en aucun cas l’État n’est prêt à prendre des positions laxistes. Je donne à cet égard des consignes de très grande fermeté. Je souhaiterais d’ailleurs que ces principes déteignent sur le secteur privé. »

Dès lors, deux questions se posent à nous. Premièrement, doit-on légiférer pour le secteur privé ou s’en remettre au seul code de gouvernance AFEP-MEDEF ? Pour décrire la conduite souhaitable, je vous livre les cinq commandements du professeur de droit rennais Claude Champaud : « tu ne cumuleras point ; tu sauteras sans parachute ; tu entreras en retraite sans chapeau ; tu intéresseras tes employés comme toi-même ; tu proclameras ta rémunération et tu t’en expliqueras. » Nous sommes au coeur du sujet !

La consultation publique que vient d’ouvrir l’AFEP-MEDEF, accessible en ligne, reprend des principes et des propositions fort intéressants : le niveau de rémunération doit être déterminé en cohérence avec celle des autres dirigeants et des salariés de l’entreprise ; le cours de bourse ne doit pas constituer le seul critère quantifiable ; les stock options et les actions gratuites de performance ne doivent pas représenter un pourcentage disproportionné de l’ensemble des rémunérations. Je ne saurais dire mieux.

La deuxième question qui se pose à nous est de savoir si l’on peut limiter les rémunérations sans encourir la censure du Conseil constitutionnel. Sur ce point, les avis divergent : d’un côté, ceux qui mettent en avant le respect de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle, en rappelant que la loi ne pourrait pas s’appliquer aux contrats existants ; de l’autre, ceux qui considèrent qu’encadrer les rémunérations est conforme à l’intérêt social, que cette question touche d’une part à l’ordre public, mis en péril par le profond sentiment d’injustice de l’opinion publique, et d’autre part à l’intérêt général, la santé des entreprises ayant un impact direct sur la situation économique du pays. N’étant pas juriste, j’avoue ma perplexité et ma difficulté à trancher cette question. Les élus de la Nation ne devraient-ils pas d’abord soutenir ce qui leur paraît juste plutôt que s’autocensurer ?

Je finis sur un constat, celui des dérives auxquelles donne lieu l’application de l’article 135 de la loi Macron, adoptée l’été dernier. Cet article a accéléré la distribution d’actions gratuites aux salariés, et surtout aux dirigeants. En 2015, selon un site consacré à l’actionnariat minoritaire, donc peu suspect d’hostilité, 1,6 milliard d’euros d’actions gratuites ont été distribuées. Ce chiffre devrait avoir triplé, voire quadruplé à la fin du 1er semestre 2016. C’est Dassault Systèmes qui a décroché le pompon, malgré le refus des actionnaires minoritaires, avec 380 millions d’euros d’actions distribuées, dont 133 millions aux dirigeants, et 22 millions au seul directeur général !

Chers collègues, le sujet est brûlant. Il est temps d’utiliser un Canadair législatif – une image que Gaby Charroux, riverain de l’étang de Berre, devrait apprécier !

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