Intervention de Franck Proust

Réunion du 11 mai 2016 à 8h30
Commission des affaires européennes

Franck Proust, député européen :

Votre rapport, Monsieur Quarez, rejoint les lignes rouges que la commission du commerce international (INTA) du Parlement européen, dans laquelle je siège, a définies.

Au fond, je m'étonne de la bataille de communication qui a lieu autour de cet accord. Remettons les choses en perspective : aujourd'hui, cet accord n'existe pas. Nous n'en sommes qu'au treizième cycle de négociations ; or, à entendre les médias, l'accord serait déjà signé et figé. Autrement dit, beaucoup s'expriment sur un accord inexistant et lui donnent un passif alors qu'il n'a pas même de passé.

Les comptes rendus de négociation en attestent : en réalité, ce n'est que maintenant que la véritable négociation commence. Les premiers cycles n'ont porté que sur des questions ne posant pas de difficulté comme la levée des barrières tarifaires concernant des produits dits « non sensibles », une mesure susceptible de stimuler l'activité d'exportation de nombreuses entreprises. En effet, le taux de pénétration de nos PME sur le marché américain est encore insatisfaisant.

Il est vrai que les cas de multinationales attaquant des États devant un tribunal d'arbitrage international ont fait grand bruit mais, à ce jour, peu d'entre elles ont gagné ! En Australie, Philip Morris a perdu ; en Égypte, l'affaire Veolia n'a rien donné. Ne dramatisons donc pas au sujet de ce mécanisme ; cela étant, puisque l'objectif est de créer une cour internationale, il faut prévoir un instrument de transition.

Cette évolution est positive : nombreuses sont les PME européennes, dans le secteur des hautes technologies par exemple, qui se heurtent à la réglementation en vigueur dans certains États américains comme le Texas en matière d'expropriation et de discrimination, sachant que les juges y sont élus au suffrage universel. Dans ces procédures, les entreprises européennes ne gagnent jamais. En conséquence, elles n'y investissent pas.

S'agissant de la transparence, il y a eu un avant et un après-Karel de Gucht, l'ancien commissaire européen au commerce. Aujourd'hui, nul ne peut reprocher quoi que ce soit à Mme Malmström, qui a consenti d'immenses efforts – même si la situation reste perfectible. Aucune négociation de libre-échange – ni pour le CETA, ni pour aucun autre des dizaines d'accords de libre-échange qu'a conclus l'Union européenne – n'a été plus transparente que celle-ci. Certes, il demeure difficile de consulter les documents, même si les parlementaires nationaux peuvent désormais y accéder. Mme Malmström, cependant, rend compte chaque mois de l'état des négociations et répond aux questions qui lui sont posées – ce qui n'était pas le cas autrefois. Évitons donc tout faux procès en matière de transparence, même si des améliorations sont possibles – étant entendu que dans une négociation commerciale comme dans une partie de poker, mieux vaut ne pas abattre toutes ses cartes sur la table. De ce point de vue, en publiant des documents de négociation, Greenpeace a rompu le pacte de confiance, en quelque sorte, car la transparence totale n'est pas souhaitable.

Il va de soi que nous devons aligner les normes dans le sens du mieux-disant. L'Europe doit toutefois se garder de donner des leçons : le scandale Volkswagen n'a guère illustré le principe de précaution, et sans doute pourrions-nous en la matière trouver un compromis viable avec les Américains. Nous effectuons dans des laboratoires payés par les marques des tests biaisés, puisqu'ils ne se déroulent pas en situation réelle. Aux États-Unis, en revanche, les produits entrent plus librement sur le marché mais, en cas de problème, les sanctions sont énormes. Faisons donc preuve d'humilité.

En tout état de cause, si les lignes rouges que nous avons fixées sont franchies, il n'est pas question de signer un accord qui minera la protection de nos citoyens et de nos entreprises sans faciliter les exportations. Puisqu'il s'agit d'un accord mixte, il sera soumis non seulement au Parlement européen, mais aussi aux parlements nationaux, lesquels auront le dernier mot – et à travers eux, le peuple.

Le risque d'échec de la négociation est élevé. Or, il faut prévoir un plan B avec les États-Unis. En effet, l'ASEAN, l'Afrique, la zone Pacifique se structurent. Si nous parvenions à convenir d'une convergence entre les normes américaines et les normes européennes, celles-ci s'imposeraient ensuite au reste du monde, en particulier en Asie et, ce faisant, amélioreraient de 25 % notre compétitivité. Loin d'être une victoire, un échec serait donc très préjudiciable, car nous ne serons pas parvenus à concrétiser un accord entre les deux premières puissances commerciales. En outre, il faudra très vite envisager comment résister au bloc des pays émergents que sont la Chine, l'Inde, le Brésil et d'autres.

Quoi qu'il en soit, je félicite le CESE pour la qualité de son travail qui conforte les lignes rouges que doit fixer la Commission dans cette négociation : nous ne devons rien céder.

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