Intervention de Laurence Rossignol

Réunion du 17 mai 2016 à 16h15
Commission des affaires sociales

Laurence Rossignol, ministre des familles, de l'enfance et des droits des femmes :

Comme vous, madame la présidente, et comme Mme Marie-Françoise Clergeau et Mme Catherine Coutelle, je pense souhaitable une évolution du congé parental consistant à le rémunérer davantage et à le raccourcir pour favoriser une meilleure répartition entre les deux parents. La question est à l'étude mais la décision n'est pas prise, les évaluations financières étant encore hasardeuses.

Mme Clergeau a aussi évoqué la garantie du droit au mariage pour les étrangers ressortissants de pays interdisant le mariage de deux personnes du même sexe. La France a signé avec treize États qui sont dans ce cas des conventions bilatérales ; elles prévoient l'application du droit du pays du futur époux étranger. Actuellement, ces conventions l'emportent sur les autres considérations de droit. Mais la Cour de cassation ayant récemment jugé que l'ordre public international a une valeur supérieure à celle des conventions bilatérales, nous attendons des décisions de jurisprudence qui rétabliraient une hiérarchie des normes plus favorable aux couples de même sexe binationaux.

Enfin, madame Clergeau, le bénéfice des prestations familiales suppose la régularité du séjour du conjoint et des enfants, et le regroupement familial en atteste pour les enfants.

Sur le fond, monsieur Lurton et monsieur Perrut, la politique familiale que nous avons conduite depuis 2012 est dans l'exacte continuité de l'histoire de cette politique en France, dont la force tient aussi à ce qu'elle a toujours su s'adapter aux mutations des familles. La famille n'est pas une donnée sociologique figée : les modes de vie changent et avec eux la manière d'élever les enfants ou de travailler. La loi constate l'évolution des couples et des familles et tend à remplir les interstices entre le droit et la réalité.

Dire que la prime de naissance versée au deuxième enfant a été divisée par deux est faux : elle est demeurée inchangée. Cette hypothèse de travail a pu être évoquée, mais elle n'a pas été retenue et le montant de la prime est resté le même. Seul son versement a été décalé dans le temps et, pour remédier aux difficultés de trésorerie que cela pourrait entraîner pour certaines familles, les caisses d'allocations familiales ont reçu pour consigne de faire des prêts, si nécessaire, après étude des dossiers. Le prêt est, selon les cas, égal, inférieur ou supérieur au montant de la prime et les caisses se remboursent par la suite. Cette mesure d'économie est donc relativement indolore puisqu'elle est assortie du filet de sécurité qu'est la possibilité d'un prêt.

Je ne suis pas sûre de parvenir à vous convaincre avant la fin de ce quinquennat que la modulation des allocations familiales fut une mesure juste. Je rappellerai toutefois que moins de 10 % des allocataires ont vu leur allocation baisser : les ménages dont le revenu mensuel est, selon les cas, supérieur à 6 000 euros ou à 8 000 euros, augmenté de 500 euros par enfant au-delà du deuxième. Ce sont donc des tranches de revenu assez élevées, marginales rapportées à l'ensemble de la population française.

La mesure a permis de réduire de 3 milliards d'euros la dépense de la branche famille. Ce montant a été ventilé en économies pour 2 milliards d'euros et en dépenses nouvelles pour 1 milliard d'euros ; l'économie globale, monsieur Lurton, n'a donc pas été de 4,6 milliards d'euros comme vous l'avez dit. Par ailleurs, je pensais consensuel l'objectif nécessaire de ramener les comptes publics à l'équilibre. Nous l'avons fait pour une somme que nous avons jugée raisonnable et supportable pour la qualité des services publics en décidant d'un ensemble de mesures qui permettent une économie de 40 milliards d'euros. Certains programmes politiques avancent maintenant le projet d'économies à hauteur de 100 milliards d'euros ; je me demande si leurs auteurs pourront préserver la branche famille avec un tel plan. À ce jour, la suppression de la modulation des allocations familiales ne figure nulle part dans ces programmes. Si cette proposition finit par être faite, sera-t-elle financée par des économies dans la branche famille – et si oui, quelles familles seront concernées ? – ou en accroissant le déficit de cette branche ? Il serait bon de le dire clairement.

Nous avons incontestablement réduit le pouvoir d'achat de certaines familles mais, en contrepartie, nous avons augmenté celui des familles les plus modestes, des familles monoparentales et des familles nombreuses, et nous en sommes très fiers. Je considère comme un acte de justice sociale le fait d'accroître le pouvoir d'achat des foyers les plus vulnérables et de diminuer les aides de la branche famille aux ménages les plus aisés – dont beaucoup ont bien compris à quelle forme de solidarité ils contribuent de la sorte.

Vous m'avez interrogée sur les actions ciblées menées en faveur des familles monoparentales au-delà de la garantie contre les impayés de pensions alimentaires. L'expérimentation conduite dans vingt départements a eu des résultats probants sur le taux de recouvrement des pensions alimentaires impayées, monsieur Sirugue. La subrogation au profit des caisses d'allocations familiales et de mutualité sociale agricole est un immense soulagement pour les mères créditrices ; la création d'une agence de recouvrement des impayés de pensions alimentaires facilitera encore la gestion de ces contentieux. D'autre part, des réseaux d'entraide aux familles monoparentales, qui s'appuient sur les structures associatives, ont été créés dans cinq départements pour l'instant. La solidarité de bénéficiaire à bénéficiaire, avec le parrainage d'une grande diversité d'intervenants, est une autre manière de concevoir la politique familiale ; il s'agit de donner aux femmes du temps et du soutien, car tout ne se règle pas par l'argent. Ces réseaux aident à sortir les femmes de leur isolement et de leur solitude.

Le « livret des parents » leur est envoyé pendant la grossesse. Il existe par ailleurs un guide des parents adoptants, publié pour la première fois en 2003 et actualisé en septembre 2015. Une autre brochure concernant les pupilles est en cours de rédaction.

Le rapport de Mme Sylviane Giampino sera publié par la Documentation française et pourra être consulté en ligne gratuitement. C'est une mine de propositions pour les professionnels comme pour les collectivités locales ; qui veut approfondir sa réflexion sur les modes d'accueil de la petite enfance y puisera des préconisations d'un grand intérêt.

L'objectif de création de 100 000 places d'accueil pour les enfants de moins de trois ans que nous avions fixé en début de mandat n'a effectivement pas davantage été atteint qu'il ne l'avait été précédemment. C'est qu'il est difficile de prendre, au cours d'une campagne électorale nationale, des engagements dont la mise en oeuvre repose en grande partie sur d'autres, et en particulier sur les collectivités locales… De manière empirique, j'ai observé avec inquiétude que la question des modes de garde a disparu des dernières campagnes pour les élections municipales ; si la question était abordée à cette occasion avec la même intensité qu'elle le fut dans le passé, une émulation se créerait et il y aurait des résultats. Le sujet reste donc entier. J'ai accompagné autant que je le pouvais les collectivités locales : nous travaillons assidûment avec Mme Élisabeth Laithier, présidente du groupe de travail « petite enfance » de l'Association des maires de France (AMF) pour cerner les blocages qui entravent le développement de l'offre d'accueil des enfants en bas âge. Le coût de fonctionnement des crèches est incontestablement élevé, mais une crèche de qualité est un bel investissement pour une commune. Il a été beaucoup question du poids des normes, mais le groupe de travail conjoint AMF-CNAF réuni pour étudier cette question spécifique a jugé que toutes ont leur utilité, et les mairies elles-mêmes ne veulent en supprimer aucune, pour des raisons de responsabilité évidentes. Comme je l'ai dit, nous avons décidé en 2015 et reconduit en 2016 l'aide à l'investissement de 2 000 euros supplémentaire par place d'accueil créée dans les territoires prioritaires.

C'est l'objet des schémas départementaux de services aux familles de définir les zones sous-dotées, monsieur Sebaoun, pour permettre d'élaborer la politique qui permettra de remédier à cette situation. Si un tel schéma n'a pas été défini dans un département donné, il faut solliciter le préfet pour qu'il le soit. Les politiques sociales doivent impérativement être décloisonnées ; ces schémas le permettent.

Pour ce qui est des maisons d'assistants maternels, la situation est paradoxale, monsieur Dord. On trouve beaucoup d'assistantes maternelles dans les lieux où il y a peu d'emplois, ceux, de ce fait, où moins nombreuses sont les femmes qui travaillent, si bien que le besoin d'assistantes maternelles y est faible. C'est l'inverse dans les grands centres urbains où, souvent, les deux parents travaillent mais où les assistantes maternelles manquent faute de trouver à se loger car le foncier est cher. Le déséquilibre géographique entre l'offre et la demande est un problème réel. D'autre part, le premier choix des parents se porte sur les crèches, pour les raisons déjà dites. Des maisons d'assistants maternels existaient, mais le projet devait être affiné. Aussi avons-nous engagé une « démarche qualité » puis décidé une aide visant à favoriser de telles créations dans les territoires ruraux, pour lesquels ces structures sont une excellente option : 3 000 euros sont alloués aux collectivités qui veulent créer une de ces maisons. Ce nouveau mode d'accueil, qui convient aux petites collectivités et aux établissements public de coopération intercommunale, répond aussi au souhait exprimé par les assistantes maternelles de travailler avec des collègues. Je crois beaucoup au développement des maisons d'assistants maternels « nouvelle formule », auxquelles nous nous sommes beaucoup intéressés, comme en témoignent le guide et l'aide financière offerte aux collectivités à cet effet.

Je sais, monsieur Lebreton, que les collectivités sont très attachées à la récupération sur succession. C'est un dispositif que l'on ne peut véritablement contester puisque c'est l'une des formes que prend l'obligation alimentaire.

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