Intervention de Jacques Krabal

Séance en hémicycle du 30 mars 2016 à 15h00
Débat sur le cout de la filière nucléaire et la durée d'exploitation des réacteurs

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Krabal :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes appelés à débattre des coûts de la filière nucléaire. Si la question est centrale, nous savons bien que la détermination de ces coûts se révèle très difficile. Mais « ce n’est point parce qu’il est difficile que nous n’osons pas ; c’est parce que nous n’osons pas qu’il est difficile », nous enseigne Sénèque. Alors, osons !

La France compte aujourd’hui cinquante-huit réacteurs de différentes puissances, répartis entre dix-neuf centrales nucléaires, ce qui en fait le parc nucléaire le plus important du monde au regard de sa population. Selon le bilan de Réseau de transport d’électricité – RTE –, ils ont produit 416 térawattheures en 2014, soit 77 % de la production d’énergie totale. Cette production nucléaire d’électricité est réputée peu coûteuse, ce qui a favorisé une forte consommation électrique, souvent au détriment de la maîtrise de l’énergie ou du développement de nouvelles sources énergétiques.

Le tarif de l’électricité fait l’objet de discussions ; comme on le dit très souvent, il est sous-évalué. Si l’on en croit les chiffres fournis par l’Agence internationale de l’énergie –l’AIE – dans son dernier rapport, publié en 2015, 1 mégawattheure coûte aujourd’hui un peu plus de 82 dollars, soit environ 74 euros.

Le tout sans compter le coût éventuel d’un accident nucléaire, que la Cour des comptes avait intégré à son chiffrage. Elle avait ainsi évalué le coût de l’énergie atomique entre 70 et 90 euros le mégawattheure – mais en prenant comme hypothèse un coût de construction de l’EPR de 4 milliards d’euros, alors qu’il risque de revenir à plus de 10 milliards d’euros.

Au-delà des coûts de production, n’oublions pas que la moyenne d’âge des équipements du parc nucléaire français approche des trente ans. La question de la durée de vie de nos réacteurs et de leur prolongation à quarante voire soixante ans se pose aujourd’hui. Mais à quel prix ?

Au vu des investissements nécessaires dans les prochaines années, pour démanteler les centrales ou les prolonger, le coût de l’énergie électrique devrait nécessairement augmenter. D’ores et déjà, l’évaluation complémentaire de sûreté menée par l’ASN suite à la catastrophe de Fukushima est venue ajouter près de 10 milliards d’euros à la facture des opérateurs. Au vu du coût d’un accident nucléaire en France, évalué par l’IRSN entre 120 et 430 milliards d’euros, si l’on inclut une assurance liée au risque, on réalise que le coût global du mégawattheure n’est plus du tout le même.

Au-delà des positions caricaturales et idéologiques, nous pouvons aujourd’hui affirmer que la belle histoire de l’énergie nucléaire, dont le coût serait nettement plus faible que celui des autres énergies, n’est plus d’actualité.

Après Fukushima et les normes de sécurité à repenser, les nombreuses difficultés rencontrées par l’EPR de Flamanville ou celui de Finlande, les fluctuations du marché de l’énergie en fonction des crises et des tensions internationales, les déboires et les échecs d’AREVA, les coûts des démantèlements, du grand carénage et du stockage des déchets, la filière nucléaire présente une addition qui ne permet plus d’affirmer avec certitude que le coût de l’électricité produite constitue un argument d’autorité, s’imposant à tous sans débat.

L’occasion nous est donnée, à travers nos discussions, de dépassionner un débat qui en a bien besoin et d’éviter les caricatures. En effet, la simple prononciation du mot « nucléaire » électrise soudainement l’audience et déchaîne les passions, d’un côté comme de l’autre.

Ce débat nous amène à nous interroger : comment garantir notre indépendance énergétique en produisant une énergie décarbonée, au plus faible coût possible pour nos concitoyens et nos entreprises, avec un risque avoisinant zéro ?

Compte tenu de notre histoire et des spécificités du secteur, les députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste sont favorables, à ce stade, à la poursuite d’une stratégie industrielle incluant certes le nucléaire, mais se dirigeant progressivement vers un mix plus équilibré, avec un soutien aux énergies renouvelables les plus efficaces, celles présentant le plus d’intérêt en termes de bilan carbone, de marge de progression et de stockage.

Mais, mes chers collègues, quel que soit le modèle que nous retiendrons, quelles que soient les orientations politiques que nous prendrons, n’oublions pas que le nucléaire aura toujours un coût. En tant que rapporteur budgétaire sur le programme 181, qui comprend les crédits dévolus à la sûreté nucléaire, j’ai estimé que la sanctuarisation des fonds alloués allait dans le bon sens. J’ai cependant prévenu que le coût de la sûreté nucléaire risquait de s’alourdir dans les prochaines années. Je serai particulièrement attentif à ce que la sûreté de nos installations soit garantie par l’indépendance financière et statutaire de l’ASN.

Nos concitoyens ont le droit de savoir et nous avons le devoir de dire les choses. N’ayons pas peur de la transparence, de la clarté et de la vérité, sur quelque sujet que ce soit. Soyons au contraire à l’offensive : ce sont là des exigences éthiques, au service de notre démocratie.

« Rien ne pèse tant qu’un secret », écrivait Jean de La Fontaine, né à Château-Thierry, dans sa fable « Les femmes et le secret ». Il est temps, monsieur le secrétaire d’État, de donner du sens à nos décisions politiques, en toute transparence, surtout en ce qui concerne la filière nucléaire. Telle est la volonté des députés du groupe radical, républicain, démocrate et progressiste.

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