Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 7 mars 2016 à 14h45
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Monsieur Meyer Habib, je propose que nous parlions de la dé-radicalisation une autre fois. Quant à la vidéosurveillance, comme vous le savez, nous avons mobilisé 20 millions d'euros de plus par an sur le fonds interministériel de prévention de la délinquance à des fins d'accompagnement de l'équipement par les collectivités locales des bâtiments ou des axes sur lesquels pourrait être apposée de la vidéosurveillance. Ces 20 millions d'euros sont à la disposition des collectivités locales qui présentent des projets. Nous avons déjà financé dans ce cadre un très grand nombre de projets destinés à améliorer significativement l'équipement en vidéosurveillance et vidéoprotection d'un certain nombre de sites.

En ce qui concerne la doctrine et le protocole d'intervention, soyons, encore une fois, extrêmement précis. Lorsque je parle de la sécurisation des lieux avant engagement de l'assaut, il s'agit de nous assurer qu'au moment de l'intervention nous ne ferons pas de victimes supplémentaires. Par exemple, je me souviens très bien qu'avant que l'ordre d'assaut ne soit donné à l'Hyper Casher, il y a eu de nombreuses discussions sur la configuration des lieux, sur les conditions dans lesquelles nous pouvions intervenir, sur les issues qui pouvaient être empruntées. Selon nos informations, il y avait déjà au moins trois morts : il fallait s'assurer qu'il n'y en aurait pas davantage encore. Lorsqu'il y a des victimes sur un théâtre d'opérations des forces d'intervention rapide, notre doctrine, simple et logique, consiste pour l'instant à créer les conditions qui permettront d'éviter d'accroître le nombre des victimes au moment de l'assaut.

Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas mener de réflexion sur la doctrine d'intervention de ces forces. Je partage le sentiment exprimé par Serge Grouard, par Meyer Habib et par Pierre Lellouche : il est nécessaire de réfléchir en continu sur les modalités d'intervention. Les compétences des forces sont différentes – nous avons pu le constater en novembre dernier. J'ai donc demandé une analyse segmentaire des compétences des forces dans le cadre du retour d'expérience (RETEX). Il s'agit de pouvoir faire intervenir telle force plutôt que telle autre, en fonction de la situation et des compétences, ou plusieurs forces en même temps pour être plus efficaces. Chaque événement doit faire l'objet d'un retour d'expérience afin d'adapter, voire de changer notre doctrine. Je suis, sur ce sujet, extrêmement pragmatique : chaque intervention doit permettre de sauver la vie de ceux qui ont été blessés, il faut toujours faire en sorte qu'il n'y ait pas plus de blessés, plus de morts. Chaque événement fait donc l'objet d'un RETEX qui peut conduire à des modifications de doctrine et à une évolution des modalités d'intervention.

C'est le cas aussi pour des interventions du type de celle de Saint-Denis. À cet égard, monsieur Lellouche, le RAID a tiré 1 300 cartouches ; 5 000, c'est le nombre de munitions dont il disposait. J'ai eu l'occasion de réagir sur l'assaut de Saint-Denis, en défense, effectivement, de mes troupes. Quelque appréciation que l'on porte sur cette intervention, conduite sous le contrôle du juge dans le cadre d'une opération judiciaire, je peux vous dire en effet, pour avoir été toute la nuit en contact avec le directeur général de la police nationale et la directrice centrale de la police judiciaire, qu'il fallait beaucoup de cran de la part des policiers du RAID pour intervenir : nul ne savait comment était le bâtiment, s'il était piégé, etc. J'entends les commentaires formulés ici et là et, dans un pays comme le nôtre, tous les commentaires sont recevables, mais j'estime de mon rôle, compte tenu de la part de risque que comportent ces interventions et du courage dont font preuve mes troupes, de souligner d'abord ce courage. Cela n'empêche pas les légitimes retours d'expérience. Et défendre ses troupes ne revient pas à s'interdire de réfléchir à la manière d'optimiser le fonctionnement des dispositifs.

Monsieur Falorni, en ce qui concerne Jean-Marc Rouillan, j'ai demandé à mes services d'examiner la possibilité juridique d'adresser au procureur de la République un signalement au titre de l'article 40 du code de procédure pénale, afin, si c'est possible, que les procédures adéquates soient déclenchées. D'autre part, il appartient au ministère public de requérir la révocation de la libération conditionnelle de cet individu – c'est l'État de droit. Pour ma part, je n'ai aucune mansuétude à l'égard de ce type de propos. Je considère qu'ils sont une offense à la mémoire des victimes et une blessure supplémentaire pour des familles qui ont déjà beaucoup enduré. La réponse doit être claire, et j'espère, monsieur le député, que vous considérerez que celle que je viens de vous faire l'est effectivement

Sur l'état d'urgence, nous avons régulièrement un débat sur ce sujet, monsieur Lellouche, et c'est très sain. Je considère que la lutte contre le terrorisme appelle la plus grande rigueur juridique dans la mobilisation des moyens pour y faire face. J'ai déjà eu l'occasion de développer publiquement l'analyse que j'ai livrée tout à l'heure concernant les conditions juridiques de déclenchement de l'état d'urgence. J'ai toujours souhaité que la plus grande rigueur soit de mise au sein de mes services, notamment la direction des libertés publiques, quand il s'agit de recourir aux mesures de police administrative de l'état d'urgence. En dépit de toutes les précautions prises, le juge administratif casse néanmoins certaines décisions, parce que le droit n'est pas une science exacte, et le ministère de l'intérieur ou le ministre lui-même sont parfois mis en cause. C'est dans l'ordre des choses, mais ma doctrine est de faire en sorte que le ministère de l'intérieur respecte toujours scrupuleusement le droit, même si ce souci peut entraver un certain nombre d'actions dont nous considérons qu'elles sont utiles.

Bien entendu, monsieur Grouard, le 13 novembre dernier, une coordination était assurée pour les forces d'intervention rapides, comme pour les forces de sécurité civile, soit par la cellule de crise soit par le préfet de police lui-même – selon la décision à prendre. Vous avez pu constater que l'articulation de l'intervention de la BSPP, des forces de protection civile, des forces de sécurité civile mobilisées dans les services départementaux d'incendie et de secours de la couronne parisienne et de la région Île-de-France a été bonne ; il faut nous assurer qu'il en serait de même des territoires plus lointains, ce qui est votre préoccupation d'Orléanais. J'ai donc donné des instructions aux préfets pour déclencher des exercices sur la base d'une méthode extrêmement précise qui permette cette coordination et cette articulation dans chaque territoire. Je me rendrai à Nîmes le 17 mars prochain pour la mise en oeuvre de cette coordination sur le terrain, dans le cadre d'un exercice concret et réel. C'est la même philosophie qui présidera au RETEX et à ce que nous ferons le 17 mars à Nîmes.

Avons-nous tiré des renseignements utiles des attentats déjoués ? Bien entendu. Dans le cadre des entretiens administratifs ou judiciaires qui ont suivi, nous avons récupéré beaucoup de renseignements. Il en ira de même avec les 1 038 individus qui ont été ou seront auditionnés dans le cadre des 236 procédures judiciaires. Ces éléments sont autant de préconisations qui, chaque jour, nous conduisent à adapter l'intervention de nos services face au risque. Face au terrorisme, face à des gens qui font mouvement, nous devons nous aussi faire mouvement chaque jour en fonction des éléments d'information que nous récupérons.

Peut-on, monsieur Laurent, verser des éléments d'affaires antérieures dans les dossiers actuels ? Je n'ai pas à me prononcer sur ce sujet, c'est une affaire de juges d'instruction. Ceux-ci peuvent souhaiter, dans le cadre de réquisitoires supplétifs, obtenir des éléments complémentaires ou, éventuellement, verser dans leurs dossiers des éléments résultant d'enquêtes antérieures susceptibles d'alimenter la suite de la leur. Les avocats sont d'ailleurs là pour faire en sorte que cela soit possible. J'ai compris, de l'audition des victimes et de leurs avocats, que certains souhaitaient qu'il en soit fait ainsi à propos du Bataclan. Très bien. Ayant été engagé sur d'autres dossiers – je pense à celui de l'attentat de Karachi –, je vous le répète très solennellement : je ferai tout pour que le maximum – pour ne pas dire la totalité – d'informations soient communiquées. Les juges et les avocats auditionnés, dont je connais certains, ont une très bonne maîtrise de ces techniques. Ils savent comment il faut procéder pour obtenir ces éléments d'information nécessaires à l'avènement de la vérité.

Quant aux fiches S, il est important qu'elles soient actualisées en permanence. Dans le cadre du travail que nous conduisons avec l'EMOPT et de l'état d'urgence, nous avons dû procéder à plusieurs milliers d'actualisations – je n'ai pas le chiffre exact à l'esprit, je vous transmettrai les éléments par écrit. Il faut donc nous donner les moyens de faire preuve d'une vigilance constante, notamment par des mesures de police, à l'égard de ceux qui sont fichés S et peuvent présenter un danger. La retenue de quatre heures envisagée dans le cadre du projet de loi défendu par Jean-Jacques Urvoas répond tout à fait à cet objectif.

Compte tenu de la rapidité de l'intervention, je ne crois pas que l'on puisse parler de négociation entre la BRI et les terroristes le 13 novembre. Très vite, un terroriste a été neutralisé par les BAC. D'ailleurs, j'en profite pour dire à Serge Grouard, que le schéma sur lequel nous travaillons pour une couverture optimale du territoire, c'est l'articulation entre, d'une part, primo-arrivants – sécurité publique – et primo-intervenants – BAC, PSIG – et, d'autre part, dans un deuxième temps, l'intervention, le plus vite possible, des forces d'intervention rapide.

Le négociateur de la BRI est entré en contact avec les terroristes à 23 h 27, à 23 h 29, à 23 h 48, à 0 h 05 et 0 h 18, mais ces appels permettaient de dénombrer les terroristes et de mesurer leur détermination à mourir en martyrs. Il n'y a pas eu de négociation à proprement parler, c'était plutôt une tentative d'évaluation et de contact. Le dernier appel passé, à 0 h 18, visait à capter leur attention de manière à faciliter l'assaut. Il ne s'agissait pas d'une négociation au sens classique du terme. Je pense vous avoir répondu précisément, mais nous sommes évidemment à la disposition de la commission. Au-delà des auditions, nous pourrons répondre par écrit à vos questions afin que vous disposiez de la totalité des informations souhaitées.

Enfin, monsieur Lellouche, nous sommes tombés d'accord avec la maire de Paris sur le fait que les conditions de sécurité et d'intervention des forces – sécurité civile ou sécurité intérieure – doivent être évaluées en très étroite discussion avec la Ville de Paris, chaque fois qu'un aménagement de voirie est envisagé. Il s'agit simplement de pouvoir faire face à des risques élevés dans les meilleures conditions. Nous aurons cette discussion à propos des voies sur berge.

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