Intervention de Pierre Lellouche

Réunion du 7 mars 2016 à 14h45
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPierre Lellouche :

À écouter ce débat, je ne suis pas sûr, monsieur le président, que la formule de la transparence totale, s'agissant du ministre de l'intérieur et de certains hauts responsables des services d'intervention et de renseignement, permettra d'avancer. Il y a nécessairement une part de posture et de non-dit, tout simplement parce qu'il y a, en ces matières, des choses qu'on ne peut pas dire. Je le sais pour travailler beaucoup sur ces questions.

Monsieur le ministre, certains propos m'ont dérangé dans votre présentation, au demeurant très bonne, très solide, en défense de nos policiers et de nos forces – et je m'associe à vous pour leur exprimer notre gratitude. Il y a en effet des choses qui n'ont pas fonctionné, qui ne fonctionnent pas et qui continuent à poser problème dans une guerre qui sera longue et difficile. Nous devons donc être capables de nous remettre en cause.

Vous avez par exemple répondu au président que vous n'avez pas entendu dire, au mois de janvier 2015, qu'il fallait instaurer l'état d'urgence, mais nous sommes des parlementaires ! La responsabilité de l'état d'urgence, vous le savez mieux que personne, relève du gouvernement, et si vous l'aviez instauré au mois de janvier 2015, vous auriez peut-être donné un coup de pied dans la fourmilière et permis de déclencher des actions utiles pour le renseignement au cours d'une année où nous avons été attaqués une bonne quinzaine de fois. Certains ont eu de la chance, dans le Thalys ou à Villejuif, mais pas d'autres – je songe au malheureux qui a été décapité dans l'Isère.

Vous dites que vous avez déjoué beaucoup d'attentats, mais si l'on considère le ratio entre, d'une part, ce qui a été déjoué et les cas où nous avons eu de la chance et, d'autre part, le nombre d'attentats, honnêtement, je suis inquiet. Je vous le dis parce qu'il se trouve que j'ai passé plusieurs jours en Israël récemment et, là-bas, le taux de prévention des attentats est très, très élevé – parce qu'ils ont des attentats tous les jours... Et je crains qu'à mesure que nous remporterons des victoires sur Daech, nous n'ayons malheureusement beaucoup de candidats à l'attaque chez nous. Il faut donc augmenter le taux de prévention.

Une fois que l'attentat a eu lieu, c'est trop tard, même si on peut s'interroger sur le modus operandi et la gestion de l'attentat lui-même. Sans déflorer le sujet de nos travaux du mois de mai, le coeur, c'est la prévention, et donc la coordination du renseignement, l'endroit où l'information se partage, et la manière dont cela se répercute sur les forces opérationnelles. S'y ajoute la dimension européenne, sur laquelle vous avez très justement insisté.

Puisqu'on ne parle pas de renseignement aujourd'hui, je voudrais insister sur deux points en matière d'intervention. Tout d'abord, la question du Bataclan a été posée avec pertinence. Un théâtre a été attaqué à Moscou, en 2002, une école a été attaquée ensuite à Beslan, dans les deux cas ce fut épouvantable. Je comprends ce que vous nous dites sur la doctrine d'emploi, le souci de sécuriser les lieux, mais enfin, quand les victimes doivent attendre trois heures par terre après avoir été blessées à l'arme de guerre, cela fait beaucoup de morts à l'arrivée ! Cela me paraît justifier, au niveau opérationnel, un entraînement dédié et, peut-être, une réflexion sur un changement de doctrine, qui permette une action immédiate. Ce n'est pas une critique : une démocratie qui bascule brutalement de la paix à la guerre tâtonne. Il faut donc s'interroger sur le mode opératoire, et c'est aussi l'un des objectifs de cette commission.

J'en viens à l'intervention à Saint-Denis. Le procureur évoque 5 000 cartouches. Il y avait trois personnes, avec une arme automatique. Fallait-il agir ainsi ? Encore une fois, ce n'est pas une critique : l'immeuble aurait pu être piégé, et nous sortions d'une période de dramatisation intense, mais cela mériterait un retour d'expérience et une discussion – peut-être pas en public.

Quant à l'identification des personnes impliquées, les Kouachi et Coulibaly ont été repérés par la police, parfois interceptés. Comment se fait-il que les mesures de contrôle aient été suspendues ? Comment se fait-il que l'un d'entre eux ait pu accompagner sa compagne jusqu'en Espagne, pour qu'elle y prenne un avion pour la Syrie, et qu'on le retrouve ensuite impliqué dans un attentat ? Ces constats m'ont d'ailleurs conduit à ne pas voter votre loi sur le renseignement : il ne sert à rien d'augmenter la pile d'informations si on ne sait pas utiliser celles qu'on a. Or vous aviez tout un tas d'indications, sur Verviers, sur les Buttes-Chaumont, sur Molenbeek, sur des gens qui ont ensuite participé à des attentats. Sommes-nous sûrs que nous savons exploiter les renseignements ? Cela me préoccupe, comme beaucoup de gens.

Enfin, je n'ai pas le temps d'évoquer les limites de votre loi antiterroriste, débattue en séance la semaine dernière, mais que fait-on de ceux qui reviennent de Syrie ? Les laisse-t-on retourner chez eux avec plus ou moins de contrôles ?

J'en viens à une double question parisienne. Je suis le député des zones les plus attrayantes pour les terroristes : tout ce qu'il y a de plus touristique à Paris est dans ma circonscription, des Champs-Élysées au Palais Garnier, en passant par les Grands Boulevards, la gare Saint-Lazare, etc. Tous les jours, cette géographie parisienne m'angoisse. Quand les BAC et les commissariats auront-ils des moyens suffisants pour faire face à une frappe forte ou pour un combat rapproché ? Ensuite, et je vous prie de croire que ma question n'a aucun caractère polémique, comment fera-t-on pour acheminer 125 véhicules de secours ou d'intervention, comme ce fut le cas le 13 novembre dernier, si la circulation automobile est supprimée sur la voie express, sur les quais bas ? La maire de Paris envisage effectivement de les rendre aux piétons et aux cyclistes. C'est très sympathique, mais comment traverser Paris s'il n'est possible de circuler que sur les quais hauts de la Seine ? Ils seront absolument saturés. À partir du mois de septembre prochain, ce sera Paris Plages toute l'année ! Comment concilier ce projet avec une menace terroriste « extrêmement grave », comme vous l'avez vous-même souligné ?

Monsieur le ministre, je vous remercie pour le travail que vous faites, avec beaucoup de sérieux et de rigueur, mais en tant que citoyen, et pas seulement en tant qu'élu de l'opposition, je me pose des questions sur la préparation de notre pays à ce qui s'annonce comme une guerre longue et cruelle.

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