Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 7 mars 2016 à 14h45
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Dès 2013, nous avons commencé à réformer en profondeur les services de renseignement intérieur. C'est la raison pour laquelle nous avons transformé la direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) en direction générale de la sécurité intérieure, créée par le décret du 30 avril 2014 et directement placée sous l'autorité du ministre de l'intérieur. Par ailleurs, dès 2013, nous avons programmé la création de 432 postes supplémentaires sur cinq ans pour renforcer les compétences de la DGSI et diversifier son recrutement. Ces recrutements nouveaux ont été accompagnés d'un effort en crédits hors titre 2 de 12 millions d'euros par an.

Après les attentats de janvier 2015, nous avons continué de faire monter notre dispositif en puissance. Des moyens humains supplémentaires ont tout d'abord été alloués aux services dans le cadre de la lutte antiterroriste. Dans le cadre du plan antiterroriste de janvier, il a ainsi été décidé que 500 agents viendraient renforcer progressivement la DGSI, en plus des 432 déjà prévus, et ce jusqu'en 2017. Des analystes techniques, des informaticiens, des linguistes sont notamment recrutés pour renforcer ses capacités d'analyse, de détection et de prévention des risques terroristes. Et 500 effectifs supplémentaires – 350 policiers et 150 gendarmes – sont venus renforcer le service central du renseignement territorial (SCRT), tandis que 100 effectifs nouveaux ont été alloués à la direction du renseignement de la préfecture de police. Enfin, les autres services contribuant d'une façon ou d'une autre à la lutte antiterroriste et appuyant l'action des services de renseignement ont quant à eux été renforcés par l'arrivée de plus de 300 agents. Un tel effort vient bien sûr s'ajouter à la mobilisation des forces de police, de gendarmerie et des militaires dans le cadre du plan Vigipirate.

Pour autant, s'il est indispensable d'accorder davantage de moyens à nos services, un tel effort resterait insuffisant si nous ne réformions pas en parallèle la façon dont ils coordonnent leur action. Pour mieux prendre en compte le caractère diffus de la menace, ainsi que les phénomènes de porosité entre délinquance et terrorisme, priorité a été donnée à la coopération et au partage de l'information entre les différents services concernés. Nous avons consolidé l'articulation entre le « premier cercle » du renseignement, c'est-à-dire la DGSI et ses partenaires de la communauté du renseignement, et le « deuxième cercle », c'est-à-dire le SCRT et les services d'investigation. À cet égard, l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (UCLAT) joue bien sûr un rôle décisif. Des « cellules de coordination » ont été mises en place, qui rassemblent l'ensemble des services de renseignement dans une organisation réactive et fluide. Enfin, nous renforçons les liens entre les renseignements intérieur et extérieur, et une équipe de la DGSE est désormais présente dans les locaux de la DGSI. Nous progressons donc, et je dois à la vérité de dire que ces rapprochements n'ont suscité aucune réserve, tant la menace est globale et que la réponse, pour être efficace, se doit d'être collective.

Pour mieux détecter en amont les signaux faibles de radicalisation, nous avons également réformé et renforcé le positionnement du SCRT. Ses attributions ont ainsi été clairement élargies pour lui permettre de contribuer à la prévention du terrorisme, notamment par la détection des signaux faibles de radicalisation. C'est la raison pour laquelle son maillage, en métropole comme outre-mer, a été renforcé pour mieux territorialiser son action et densifier le réseau de ses capteurs. De même, nous avons décidé de développer des relais du renseignement territorial dans les compagnies ou les brigades de gendarmerie, ainsi que dans les commissariats de police, à chaque fois que cela s'est révélé nécessaire. Une telle proximité est absolument indispensable. À Lunel, par exemple, dans l'Hérault – où nous avons, le 27 janvier 2015, procédé à plusieurs interpellations et perquisitions dans les milieux islamistes locaux –, l'implantation de la gendarmerie au plus près de la population a permis de recueillir les renseignements qui ont contribué au démantèlement d'une filière de recrutement djihadiste.

Enfin, avec la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement, nous avons élaboré un cadre légal moderne et cohérent pour l'activité de nos services, adapté aux nouvelles menaces, aux mutations technologiques les plus récentes et à l'évolution du droit national et international. Ce cadre fixe des règles d'emploi claires des techniques de renseignement afin de protéger les agents qui y ont recours tout en garantissant le respect des libertés individuelles. La loi renforce ainsi les indispensables dispositifs d'évaluation de l'action des services. Un triple niveau de contrôle a été instauré – administratif, juridictionnel et parlementaire – et la loi du mois de juillet en a résulté.

Nous avons souhaité aussi des effectifs et des moyens renforcés pour les forces de l'ordre. La volonté de renforcer les effectifs et les moyens dont disposent les forces de sécurité n'a pas seulement concerné les services de renseignement. En raison de l'ampleur de la menace, il était en effet absolument indispensable qu'un tel mouvement affecte l'ensemble des forces de sécurité intérieure.

Je vous rappelle que, d'une manière générale, le Gouvernement a consenti, depuis 2012, un effort national important sur le plan des recrutements au sein de la police et de la gendarmerie nationales. Nous avons ainsi mis un terme aux coupes claires qui avaient considérablement réduit les effectifs des forces de sécurité dans une période antérieure. Nous avons remplacé tous les départs à la retraite, et nous avons créé près de 500 emplois nouveaux par an dans les deux forces. Cet effort a bien évidemment un impact positif sur notre dispositif antiterroriste : nous avons notamment pu le constater quand, après les attentats de janvier 2015, il a fallu déployer dans l'urgence 120 000 femmes et hommes, toutes unités et tous services confondus, pour assurer la protection de nos concitoyens et garantir l'efficacité du plan Vigipirate.

À cette politique de fond, nous avons ajouté, après les attentats de 2015, deux plans pluriannuels d'une ampleur sans précédent : plus de 1 400 créations nettes d'emplois au titre du plan antiterroriste (PLAT) décidé par le Premier ministre en janvier 2015 ; 5 000 emplois au titre du Pacte de sécurité annoncé par le Président de la République devant le Congrès le 16 novembre dernier, au lendemain des attentats de Paris et de Saint-Denis. Il faut y ajouter les 900 postes supplémentaires dans le cadre de la loi de finances pour 2016 pour lutter contre l'immigration irrégulière. D'ici à la fin de quinquennat, ce sont donc 9 000 emplois en tout qui auront été créés dans la police et la gendarmerie.

Je précise qu'actuellement, aux côtés de nos forces armées de l'opération Sentinelle, de nombreux effectifs des forces de l'ordre sont mobilisés pour la surveillance et la protection de 5 700 lieux jugés sensibles, répartis sur l'ensemble du territoire national. Parmi eux, 882 font l'objet d'une garde statique, tandis que des dispositifs dynamiques sont mis en oeuvre pour les 4 818 restants. Les sites surveillés sont principalement des sites religieux : 3 713 sur 5 700, parmi lesquels 51 % de sites chrétiens, 27 % de sites musulmans et 21 % de sites juifs. Un tel dispositif de sécurisation implique lui aussi que nous disposions de forces de l'ordre en nombre suffisant.

Par ailleurs, les créations de postes que je viens d'évoquer se sont accompagnées au cours des derniers mois d'un renforcement sans précédent des moyens d'équipement, d'investissement et de fonctionnement du ministère de l'intérieur, à hauteur de 233 millions d'euros sur cinq ans. L'année dernière, 98 millions d'euros ont d'ores et déjà été progressivement alloués aux services concernés pour qu'ils puissent accomplir leurs missions de la façon la plus efficace possible. Un plan de modernisation des systèmes d'information et de communication au bénéfice des forces antiterroristes a également été lancé, à hauteur de 89 millions d'euros sur trois ans. Grâce à ces financements, nous modernisons le système CHEOPS pour la circulation des enregistrements de la police, ainsi que la plateforme PHAROS d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements.

L'accent a également été mis sur la protection et sur les nouveaux équipements – je pense aux véhicules et aux armements – des effectifs de police et de gendarmerie. En 2015, nous avons tenu nos engagements et, en 2016, cet effort sera massivement poursuivi. D'ores et déjà, le service de l'achat, des équipements et de la logistique de la sécurité intérieure (SAELSI) a commandé des matériels pour un montant de 55 millions d'euros.

C'est dans le même esprit que j'ai annoncé, le 29 octobre dernier, la mise en oeuvre, dès l'année 2016, d'un plan ambitieux et inédit de renforcement, sur l'ensemble du territoire national, des équipements des BAC de la police nationale et des pelotons de surveillance et d'intervention de la gendarmerie (PSIG). Ces unités jouent en effet un rôle indispensable pour protéger nos concitoyens, notamment en cas de tueries de masse. L'objectif du plan BAC-PSIG 2016 est donc d'apporter des moyens supplémentaires à des personnels mieux formés, dans le cadre d'une doctrine d'intervention adaptée à la réalité des menaces auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés, notamment à l'usage de plus en plus fréquent dans les milieux terroristes et délinquants d'armes de guerre. Qu'il s'agisse des armements, des moyens de protection ou des véhicules, sachez qu'une partie des équipements prévus dans le cadre du plan BAC-PSIG 2016 a d'ores et déjà été livrée ; d'ici à la fin du mois de juin, le reste arrivera progressivement dans les unités concernées.

Nous avons également souhaité doter nos forces d'un arsenal juridique renforcé.

Depuis 2012, nous avons fait en sorte de renforcer et d'adapter notre arsenal juridique à la réalité de la menace terroriste.

Tel fut d'abord l'enjeu de la loi du 21 décembre 2012 : grâce à elle, nous pouvons désormais poursuivre des Français ou des personnes résidant habituellement en France qui ont participé à des activités liées au terrorisme à l'extérieur de nos frontières, et non plus seulement sur notre sol.

La loi du 13 novembre 2014 nous a ensuite permis de nous doter de moyens de police administrative nouveaux pour prévenir et empêcher la commission d'actes terroristes. Au cours de ces derniers mois, après l'adoption de l'ensemble des décrets d'application, les innovations introduites dans notre législation ont été, comme vous le savez, appliquées avec la plus grande détermination. Je vous donne quelques chiffres. À ce jour, 294 interdictions de sortie du territoire, visant des ressortissants français soupçonnés de vouloir rejoindre les organisations actives au Moyen-Orient, ont été prononcées – et près de 80 sont en cours d'instruction –, 97 interdictions d'entrée et de séjour ont été prononcées contre des ressortissants étrangers soupçonnés d'être liés aux réseaux djihadistes, 54 prêcheurs de haine ont été expulsés du territoire français, car de tels individus – je le dis avec force – n'ont pas leur place dans notre pays. Depuis 2014, six individus qui s'étaient rendus coupables d'actes de nature terroriste ont également été déchus de la nationalité française. D'autre part, 83 adresses internet ont fait l'objet d'une mesure de blocage administratif et 355 adresses ont été déréférencées pour avoir diffusé de la propagande terroriste.

Enfin, j'ajoute que les autres dispositions prévues ou renforcées par la loi du 13 novembre 2014 sont tout aussi résolument appliquées, qu'il s'agisse du gel des avoirs terroristes ou des mesures spécifiques de sûreté imposées aux entreprises de transport aérien desservant le territoire national. Je pense également à l'extension de l'enquête sous pseudonyme ou à l'adaptation des modalités de perquisition informatique.

Enfin, quatrième objectif : consolider une politique offensive de prévention et de suivi de la radicalisation…

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