Intervention de Bernard Cazeneuve

Réunion du 7 mars 2016 à 14h45
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur :

Merci beaucoup, monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, de me donner l'occasion de m'exprimer devant votre commission d'enquête. Je suis moi-même très désireux, sur ce sujet et sur l'ensemble de ceux qui relèvent de la compétence de mon ministère, de pouvoir à tout moment répondre devant les parlementaires de l'action que je conduis, a fortiori sur une question aussi tragique que celle qui est l'objet de votre commission d'enquête. Je me trouve cependant contraint par un certain nombre de principes de droit, qui m'empêchent de révéler ici des éléments qui seraient couverts par le secret de l'instruction, par nature, puisque je n'en ai pas connaissance, ou qui seraient couverts par le secret de la défense nationale, mais votre commission a la possibilité de demander l'ensemble des documents nécessaires à son travail d'investigation. Pour ma part, j'ai toujours été très favorable à ce que l'on donne au Parlement, sur ces sujets, la totalité des éléments dont il souhaite disposer. Ayant, en d'autres temps, été moi-même rapporteur de missions d'information pour lesquelles il était fort difficile d'obtenir les éléments demandés, je garde un tel souvenir de ces périodes compliquées que je me fais un devoir de vous communiquer tout ce dont vous aurez besoin.

Notre pays est aujourd'hui confronté à une menace terroriste d'une gravité extrême, sans précédent. Au mois de janvier 2015 et au mois de novembre dernier, nous avons dû faire face à deux campagnes d'attentats perpétrés en plein coeur de Paris et dans sa proche banlieue. Entre ces deux événements et depuis lors, d'autres attaques à caractère terroriste ont été commises en différents points du territoire national, et d'autres attentats ont été déjoués par nos services. Jusqu'alors, jamais nous n'avions connu une menace d'une telle nature ni d'une telle ampleur en France.

Au cours de l'année passée, 149 victimes innocentes, frappées par la barbarie djihadiste, ont perdu la vie, tandis que des centaines d'autres resteront encore longtemps marquées dans leur chair, parfois même pour le restant de leurs jours, et que des familles entières ont été brisées à jamais. En janvier comme en novembre, je me suis moi-même rendu sur les lieux des attentats, et, chaque fois, j'ai vu une horreur sans nom et une désolation que je n'oublierai jamais.

Je sais que plusieurs victimes, ainsi que certains de leurs proches, ont d'ores et déjà apporté leur témoignage auprès de votre commission d'enquête. Malgré le traumatisme que ces personnes ont subi, malgré le chagrin et la douleur du deuil qui les habite, elles ont pris la parole avec dignité, et il est important que vous ayez commencé par les écouter. Je souhaite tout d'abord leur exprimer, ainsi qu'à leurs familles, ma profonde compassion, comme je pense également avec une très forte émotion à toutes celles et ceux à qui les terroristes ont brutalement pris la vie.

Je sais aussi qu'après moi, dans les jours et les semaines qui viennent, vous allez également, comme il est normal, auditionner plusieurs responsables des forces de sécurité. Dès à présent, je veux souligner le sang-froid et la très grande réactivité dont ils ont fait preuve dans les épreuves exceptionnelles que nous avons traversées. Au coeur de la tragédie, ils ont accompli leur mission avec un professionnalisme et un admirable sens du devoir qu'ils partagent avec les femmes et les hommes qui sont alors intervenus sous leur autorité, dans des circonstances que nul d'entre nous ne peut vraiment imaginer. Il convient de ne pas oublier ce qu'a été à ce moment-là leur investissement.

Depuis les crimes commis par Mohammed Merah à Toulouse et à Montauban au mois de mars 2012, qui étaient des crimes à caractère terroriste, nous sommes confrontés sur notre sol à la menace djihadiste, qui avait auparavant frappé les États-Unis, l'Espagne, puis le Royaume-Uni, et qui a par ailleurs muté au cours de ces dix dernières années. En effet, nos adversaires recrutent désormais une partie de leurs activistes au sein même des sociétés occidentales qu'ils prennent pour cible et les terroristes utilisent internet et les réseaux sociaux pour diffuser leur propagande mortifère.

Ce terrorisme de proximité, à la fois endogène et exogène, nous commande donc de prendre les précautions qui s'imposent sur l'ensemble du territoire national. Chacun doit avoir conscience que, pour des organisations telles que Daech ou bien AQMI, la France constitue aujourd'hui comme hier une cible prioritaire.

Face à l'existence d'une telle menace et après les traumatismes collectifs que nous avons vécus l'année dernière, je crois qu'il était à la fois normal, sain et nécessaire que le Parlement pût examiner dans le détail l'action des pouvoirs publics lors des événements de 2015 et dans le temps long de la lutte antiterroriste. Aussi, je veux remercier les membres de la commission d'enquête, tout particulièrement son président, Georges Fenech, et son rapporteur, Sébastien Pietrasanta, pour les travaux importants qu'ils conduisent.

Je rappelle en effet qu'en matière de lutte antiterroriste, le Gouvernement s'est toujours efforcé de faire preuve de la plus grande transparence possible. Pour ma part, je n'ai jamais refusé de répondre à aucune sollicitation ni aux interrogations des parlementaires ; c'est bien normal, c'est même un devoir dans la fonction qui est la mienne. Par trois fois depuis que je suis à la tête du ministère de l'Intérieur, j'ai été auditionné par des commissions d'enquête portant sur la lutte que nous menons contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Par ailleurs, de nombreux débats ont eu lieu en séance et en commission des lois à l'occasion de l'examen des différentes lois proposées par le Gouvernement. Je pense tout particulièrement au grand débat qui a précédé l'adoption de la loi du 24 juillet 2015 relative à notre politique publique du renseignement, rompant ainsi avec ce qu'il faut bien appeler la « culture du secret » qui, sur ce sujet, avait longtemps prévalu en France.

Enfin, après les attentats du 13 novembre dernier, nous n'avons pas hésité à mettre en place des procédures de contrôle inédites des mesures que nous prenons dans le cadre de l'état d'urgence, notamment des procédures de contrôle parlementaire. À mes yeux, l'exercice qui nous réunit aujourd'hui s'inscrit donc dans cette même logique vertueuse. Je suis moi-même convaincu que la démocratie ne peut que sortir renforcée d'une telle démarche, dès lors que celle-ci est conduite avec toute la rigueur nécessaire.

Je l'ai dit : jamais la menace n'a été aussi élevée qu'aujourd'hui. Mais, dans le même temps, jamais la réponse de l'État n'a été aussi forte. Tel est le sens du message que je veux délivrer aujourd'hui devant vous, sans pour autant ignorer que le risque zéro n'existe pas. Je commencerai par évoquer la réponse opérationnelle que nous avons opposée aux attentats de 2015, avant d'en venir à notre politique de lutte antiterroriste et aux moyens que nous mettons en oeuvre sur le long terme pour empêcher la commission de nouvelles attaques.

Parce que le risque zéro, je le redis, n'existe pas face à la menace terroriste, les pouvoirs publics ont l'obligation de se préparer au pire, de prévoir à l'avance les moyens de réagir face à une séquence d'attentats de haute intensité.

C'est dans cet esprit d'anticipation que les services du ministère de l'intérieur ont travaillé au cours des dernières années. Et c'est pourquoi la qualité du retour d'expérience auquel nous avons procédé présente une grande importance. Comment les services du ministère de l'intérieur, et plus largement l'appareil d'État, ont-ils réagi face aux deux vagues d'attentats de janvier et novembre 2015 ? Étaient-ils convenablement organisés et suffisamment préparés à cette mission ? Et quelles leçons doivent être tirées pour l'avenir de ces événements tragiques ?

Ces questions sont extraordinairement complexes, en raison du très grand nombre de services et de personnels qui ont été mobilisés dans les heures qui ont suivi les attentats, et de la multitude des tâches qu'il leur aura fallu accomplir dans l'urgence. Pour la clarté de l'exposé, je me propose donc de distinguer quatre sujets de réflexion principaux, tout en sachant que nous aurons l'occasion d'y revenir aussi longuement que vous le souhaiterez dans le cadre des questions qui suivront cet exposé liminaire : la coordination générale des moyens engagés ; la mobilisation des forces d'intervention ; les procédures d'enquête ; les opérations de secours aux victimes.

Voyons, tout d'abord, la coordination générale des moyens engagés.

Face à des événements exceptionnels, qui amènent à prendre des décisions dans l'urgence et à mobiliser des effectifs considérables, la question de la coordination générale des moyens de l'État est bien entendu cruciale. Toutefois, elle me semble s'être posée de façon différente en janvier et en novembre.

En janvier en effet, l'action des forces de sécurité s'est d'abord concentrée sur la traque des frères Kouachi, après que ceux-ci ont réussi à quitter la capitale. Tous les services et toutes les forces de sécurité se sont donc trouvés mobilisés : préfecture de police, direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), direction générale de la police nationale (DGPN), direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN). Il est très vite apparu qu'il fallait renforcer leur coordination et assurer entre eux un partage plus fluide de l'information. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à ce que les responsables de ces grandes directions se réunissent en permanence dans le salon du ministère de l'intérieur dit « le fumoir ». Cet outil de pilotage opérationnel a fait la preuve de son efficacité toute au long de la gestion de la crise des 7 et 9 janvier 2015, puisqu'il a permis un pilotage totalement intégré jusqu'à la neutralisation des terroristes.

La situation a été très différente le 13 novembre dernier. En effet, la préfecture de police avait cette fois naturellement vocation à assurer le pilotage opérationnel du dispositif, à Paris comme à Saint-Denis, mais il lui fallait coordonner des moyens bien plus nombreux pour répondre aux circonstances inédites de cet attentat : pluralité des sites, usage de ceintures d'explosifs par les terroristes, absence de ciblage et nombre élevé des victimes. En l'espace de quelques heures, nos services ont d'abord dû intervenir, à la fois, pour mettre hors d'état de nuire les terroristes demeurés sur place, notamment au Bataclan, pour sécuriser les sites et prévenir le risque de surattentat, secourir les victimes et procéder au recueil des données utiles aux enquêtes. Dans un deuxième temps, il leur aura fallu réaliser l'enquête judiciaire et assurer le suivi des victimes, des familles et de leurs proches, tout cela sans oublier, ni les échanges d'information et la coordination avec les services étrangers, ni l'action de cyberdéfense, ni l'information du grand public.

Globalement, le pilotage opérationnel par la préfecture de police de ces moyens et missions complexes peut être jugé comme ayant été, dans un contexte extrêmement difficile, optimal. La réactivité des forces de sécurité a permis de mobiliser les personnels nécessaires à la sécurisation des sites, à la conduite des enquêtes et au secours des victimes dans les délais les plus brefs possibles. Sur le plan opérationnel, nous devons cependant tirer certains enseignements concernant l'organisation du commandement, la répartition des personnels sur les différents sites et l'intégration dans notre dispositif des personnes qui offrent spontanément leurs concours – je pense aux militaires de la force Sentinelle, aux médecins civils et aux riverains.

Enfin je rappelle qu'au-delà de la coordination opérationnelle, il existe un dispositif de coordination interministérielle, la cellule interministérielle de crise (CIC), qui a été activée par le Premier ministre en janvier comme en novembre 2015 et qui a été placée sous ma responsabilité. La CIC a notamment joué un rôle très utile pour partager en continu les informations entre administrations, pour mobiliser, au profit du préfet de police, des renforts nationaux et, en novembre, pour assurer la mise en oeuvre rapide des mesures prises au titre de l'état d'urgence et du rétablissement des contrôles aux frontières.

La mobilisation des forces d'intervention – GIGN, RAID et BRI – constitue un deuxième aspect fondamental de notre dispositif en cas d'attaque terroriste, en particulier dès lors que nous sommes confrontés, comme c'est le cas avec les terroristes de Daech, à un ennemi résolu à frapper au hasard et parfois à mourir pour faire le plus grand nombre possible de victimes.

Après les crimes de Mohammed Merah, le RAID et le GIGN ont ainsi dû faire évoluer leurs doctrines d'emploi, ainsi que leurs schémas tactiques et opérationnels d'intervention. Leurs hommes doivent être préparés à agir vite pour sauver des victimes, empêcher les agresseurs d'initier des charges explosives et ne pas leur laisser l'opportunité de communiquer sur les médias d'information continue et les réseaux sociaux.

En juillet 2014, le RAID a ainsi présenté sa nouvelle stratégie d'intervention sur les individus radicalisés ayant déjà tué, basée sur l'abandon dans ce cas précis de la négociation pour privilégier, si possible, un contact maîtrisé par les forces de l'ordre. Elle est complétée par une tactique dite de « non-réversibilité » c'est-à-dire un assaut rapide et continu, quelquefois doublé d'une technique consistant à offrir l'opérateur du RAID, protégé par un gilet lourd et un bouclier balistique, aux tirs ennemis, afin de détourner l'attention du tueur potentiel d'otages. Ces techniques ont été utilisées à Vincennes.

De son côté, le GIGN a mis en place une cellule de veille du phénomène terroriste et sur les modes opératoires des tueries planifiées. Quatre exercices spécifiques ont été programmés en 2015 dans le cadre de la préparation opérationnelle de l'unité.

Parallèlement, un travail de collaboration entre les chefs du RAID et du GIGN a abouti le 24 juillet 2014 à la rédaction d'une note commune organisant la coopération des deux unités en cas de crise grave. Ce dispositif a été mis en place en janvier 2015. De même, une collaboration étroite a été engagée entre le RAID et la BRI dans le cadre de la Force d'intervention de la police nationale (FIPN). Le 9 janvier 2015, pour la première fois depuis sa création, j'ai décidé de déclencher la FIPN, donnant ainsi le commandement du dispositif composé des deux forces au chef du RAID.

À la suite d'une autre de mes décisions, dans le courant de l'année 2015, le RAID a été doté de nouveaux équipements acquis sur financement antiterroriste, dont des blindés urbains permettant de s'approcher des zones de feu y compris dans les centres commerciaux. Ces véhicules ont été engagés pour évacuer en toute sécurité des blessés et des otages du Bataclan.

Une autre question essentielle, face à une menace terroriste qui n'est pas concentrée sur la région parisienne, porte sur les capacités de projection des forces d'intervention spécialisées. C'est pour répondre à ce défi que la décision a été prise en avril 2015 de faire des sept groupes d'intervention de la police nationale situés à Lille, Strasbourg, Lyon, Nice, Marseille, Bordeaux et Rennes des antennes du RAID, mises en capacité d'effectuer les mêmes interventions que l'échelon central. Ces antennes permettent ainsi au RAID de se projeter plus rapidement sur tout point du territoire national. Face à la même nécessité opérationnelle, le GIGN a mis au point un « plan d'assaut immédiat » reposant sur un départ immédiat du premier échelon – au moins quatre équipes de cinq pour le GIGN –, capable de quitter Satory en quinze à trente minutes, vingt-quatre heures sur vingt-quatre et trois cent soixante-cinq jours par an.

Enfin, j'ai moi-même demandé aux directions générales de la police et de la gendarmerie nationales, ainsi qu'au préfet de police d'actualiser le schéma national d'intervention spécialisée afin d'adapter les conditions d'interventions d'urgence de ces unités en cas d'attentat sur le territoire de la nation tout entière. Ce schéma est en cours de finalisation, il sera présenté dans les prochains jours.

J'en viens, troisième point, à la conduite des enquêtes.

Je ne m'étendrai pas, vous le comprendrez, sur un sujet qui relève d'abord de l'autorité judiciaire, mais je voudrais souligner l'importance du travail d'enquête effectué par les services du ministère de l'intérieur tout au long de ces crises.

En janvier 2015 et plus encore au mois de novembre, les services d'enquête ont dû faire face à un double défi, puisqu'il leur fallait à la fois procéder de manière coordonnée aux actes d'investigation sur plusieurs scènes d'attentats ayant fait un très grand nombre de victimes, et identifier les auteurs survivants et leurs complices éventuels afin de prévenir absolument la commission de nouveaux actes terroristes.

Dès le 13 novembre à 23 heures, le parquet de Paris a saisi conjointement la DGSI, la direction régionale de la police judiciaire (DRPJ) de Paris et la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) et a confié à la sous-direction antiterroriste (SDAT) de cette dernière la coordination, la centralisation et la direction de l'enquête. À 23 h 45 la SDAT déclenchait le « plan attentat », comme en janvier, permettant notamment la mise en place d'un PC de crise, l'activation du numéro d'urgence « 197 » et du site internet dédié pour recueillir les témoignages de la population, l'activation de la « main courante attentats » et la mobilisation de renforts des services territoriaux de la DCPJ (Versailles, Lille, Orléans, Rennes, Bordeaux et Ajaccio). Ce sont ces renforts qui ont rapidement permis de répartir entre le travail entre ces enquêteurs et ceux de la DRPJ de Paris les six scènes de crimes en vue d'établir les actes de constatation.

Entre le 13 et le 24 novembre, les enquêteurs ont établi 5 300 procès-verbaux et confectionné plus de 4 000 scellés. Ce travail a notamment permis de réaliser les constations sur les six scènes de crimes, d'identifier les neuf terroristes abattus ou s'étant suicidés, de localiser deux lieux conspiratifs en banlieue parisienne et trois en Belgique, de procéder à 26 interpellations en France. L'activation du numéro d'appel à témoins « alerte attentat 107 » a notamment permis de recueillir trois informations décisives, dont celle qui a permis de localiser trois terroristes dans un appartement de Saint-Denis avant qu'ils ne puissent commettre de nouveaux attentats.

Enfin, je tiens à souligner l'importance de la coopération franco-belge, qui s'est notamment matérialisée par la mise en place d'une équipe commune d'enquêteurs, ainsi que l'apport de la police technique et scientifique, à la fois pour l'identité judiciaire, pour la documentation criminelle et pour l'exploitation des traces informatiques et technologiques. Les supports exploités par la sous-direction de la police technique et scientifique (SDPTS) à Écully ont ainsi permis de démontrer la préparation préalable des attentats et de retracer une partie des déplacements effectués par les terroristes dans les jours précédant le 13 novembre.

J'en viens, quatrième point, à ce qui concerne les secours aux victimes.

La prise en charge des victimes et de leurs proches a été pour l'État une préoccupation majeure, tout particulièrement en nombre compte tenu du nombre très élevé des victimes. Je rappelle qu'au matin du 14 novembre, le bilan provisoire était de 124 morts, 100 victimes en situation d'urgence absolue et 157 victimes en situation d'urgence relative.

Dans les heures et les jours qui ont suivi cet attentat, il a donc fallu à la fois porter le plus rapidement possible secours aux victimes et procéder à leur évacuation vers les structures hospitalières adaptées, mais aussi donner aux familles des éléments d'information fiables sur la situation de leurs proches. Et il a fallu ensuite accompagner dans la durée les victimes au plan médical, psychologique, juridique et financier.

Le soir du 13 novembre, les secours ont dû intervenir simultanément sur six sites, à Saint-Denis et à Paris. Ils l'ont fait avec une extrême réactivité, notamment grâce au maillage des centres de secours parisiens, en arrivant sur les lieux très rapidement. Pour la seule brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP), ce sont 125 engins d'incendie et de secours, 450 sapeurs-pompiers, 200 secouristes des associations agréées de sécurité civile, 21 équipes médicales, qui se sont portés au secours des victimes sur les différents sites.

Ce très haut niveau de réponse est le fruit d'un long travail de préparation interservices. Je m'étais rendu le 4 décembre 2014 à la caserne Champerret où m'avaient été présentées les modalités de réponse de la BSPP à un attentat multisites. Et un exercice conjoint entre la BSPP et le SAMU avait été organisé le matin même des attentats du 13 novembre.

Depuis novembre, j'ai donc souhaité que ce travail d'anticipation et d'entraînement se poursuive à l'échelle nationale, afin notamment de nous préparer aux enjeux de sécurité liés à l'Euro 2016. Le 16 mars, je réunirai les responsables de la sécurité et des secours de 16 grandes agglomérations et de villes accueillant l'Euro 2016, pour évoquer les enjeux post-attentats et l'adaptation des modes opératoires. Je me rendrai également à Nîmes le 17 mars pour un exercice simulant un attentat dans une « fan zone ».

Si personne ne conteste la réactivité, le professionnalisme et le dévouement dont ont fait preuve les services de secours, je sais que l'accompagnement par l'État des familles a suscité davantage d'interrogations. Les attentats de 2015 ont suscité de ce point de vue une évolution importante de la réponse de l'État.

Lors des attentats de janvier, le Premier ministre a en effet décidé de créer une structure ad hoc, placée directement sous sa responsabilité, pour assurer l'information et l'accompagnement des familles de victimes, abritée et armée par le centre de crise et de soutien du Quai d'Orsay, avec le concours, bien entendu, des différents ministères. Cette cellule interministérielle d'aide aux victimes a évidemment été fortement mobilisée en novembre. Je veux souligner l'apport majeur qui est le sien en situation de crise : elle offre un accompagnement permanent, assuré par des professionnels formés pour ce faire et expérimentés, qui sont dans la durée de véritables référents pour les familles de victimes.

Il reste que deux points ont concentré, à juste titre, les critiques. D'abord, de nombreuses familles ont indiqué avoir été dans l'incapacité de joindre le numéro vert mis en place par la préfecture de police, lequel a été destinataire de 93 000 appels en quelques heures, ce qui a entraîné sa saturation. Pareille situation ne doit plus se reproduire. Désormais, une nouvelle organisation sera mise en oeuvre en cas de nouvel attentat, en lien avec la CIAV, pour s'assurer que les appels des familles et des proches seront traités avec la plus grande célérité.

Ensuite, le nombre élevé de victimes décédées a très fortement mobilisé les équipes de la police judiciaire et de l'Institut médico-légal de Paris, en charge de leur identification. Celle-ci ne peut être faite que par une commission d'identification présidée par un magistrat, au terme d'une procédure rigoureuse cadrée par des protocoles Interpol. Cette procédure a entraîné des délais très longs, souvent même insupportables, avant que les familles plongées dans l'angoisse soient formellement informées. Le samedi 14 novembre au matin, plus de 1 700 personnes étaient ainsi restées sans réponse après s'être manifestées comme étant à la recherche d'un proche à travers la plateforme téléphonique de la CIAV.

À cet égard, je dois souligner que les services du ministère de l'intérieur ont accompli, en novembre comme en janvier, un travail éprouvant afin de procéder à l'identification des victimes, avec un très haut niveau d'engagement des services. La DCPJ a utilement pu bénéficier à cette occasion de renforts de l'institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN). Leur professionnalisme ne saurait être mis en cause mais il reste que des mesures devront être prises pour accélérer ce processus d'identification afin d'éviter aux familles de demeurer longtemps dans l'incertitude, ce naturellement sans remettre en cause l'exigence de rigueur, toute erreur pouvant entraîner des conséquences dramatiques.

Enfin, l'État doit bien évidemment accompagner dans la durée les victimes et leurs proches, aux plans médical, psychologique, juridique et financier. Lorsque la CIAV, structure de l'urgence, a fini son oeuvre, le relais est pris par un comité interministériel de suivi des victimes. La création du secrétariat d'État aux victimes devra permettre de s'assurer de la cohérence et de l'efficacité de ce suivi, mais je laisserai bien entendu ma collègue Juliette Méadel vous apporter de plus amples précisions sur ce sujet.

J'en viens à présent aux dispositions que nous avons prises sur le long terme pour empêcher la commission de nouveaux attentats. J'en viens donc à la question que vous avez posée, de façon réitérée, sur les décisions, les dispositions qui ont été prises depuis 2012 et, plus particulièrement, depuis le mois de janvier.

À cet égard, je souhaite faire une précision liminaire sur un point qui revêt à mes yeux une grande importance et auquel nul ne semble pourtant prêter attention : aujourd'hui, nous ne parlons pas des attentats qui n'ont pas eu lieu. Par définition, personne n'en parle jamais. Et par définition, on ne pose aucune question sur la façon dont nous les avons empêchés, alors que, bien sûr, de nombreuses interrogations seraient sur le métier aujourd'hui si ces attentats étaient survenus. En fait, souvent personne ne sait même que ces attentats ont été évités, et personne n'est informé de l'exacte activité des services.

Ainsi, depuis 2013, grâce au travail minutieux de nos services, pas moins de onze projets d'attentats ont été déjoués – dont six depuis le mois de janvier 2015.

J'ajoute qu'à ce jour, 325 individus impliqués d'une façon ou d'une autre dans des filières djihadistes ont été interpellés par la DGSI. Parmi eux, 201 ont été mis en examen, 155 ont été écroués et 46 ont été placés sous contrôle judiciaire. D'une manière générale, je rappelle que la DGSI est saisie, en propre ou avec la police judiciaire, du suivi de 236 dossiers judiciaires, concernant 1 088 individus pour leur implication dans des activités liées au terrorisme djihadiste.

Ces chiffres vous donnent ainsi une idée du nombre potentiel d'attaques ou d'attentats dont nous sommes jusqu'à présent parvenus à entraver la commission sur notre sol. Par là même, ils vous montrent à quel point l'action quotidienne des services, sous l'autorité de la justice, porte ses fruits. Et s'il est bien légitime que vous m'interrogiez sur les attentats de 2015, je considère qu'il serait regrettable que nous passions sous silence les résultats importants qui sont le fruit du travail sans discontinuité des services de renseignement ou des services de sécurité intérieure.

Le Gouvernement a très tôt pris la mesure du caractère inédit et protéiforme de la menace. Depuis 2012 et l'adoption de la loi relative à la sécurité et à la lutte contre le terrorisme, dite « loi Valls », nous n'avons cessé de renforcer notre dispositif antiterroriste et d'adapter notre arsenal juridique aux évolutions de la situation. Dès le mois d'avril 2014, nous avons ainsi mis en place un plan de lutte contre la radicalisation violente et les filières djihadistes, lequel a constitué la matrice de notre stratégie globale de prévention, de sécurisation et de répression du terrorisme. Depuis lors, cette action n'a cessé de monter en puissance pour nous donner les moyens d'agir sur les différentes composantes de la menace.

Car, s'il est avéré que les attentats du 13 novembre ont été planifiés depuis la Syrie et coordonnés en dehors de nos frontières – j'insiste sur ce point –, d'autres attaques ont, elles, été le fait de personnes radicalisées sur notre sol – parfois dans un délai extrêmement court et au contact d'un milieu propice à une telle dérive. Le plus souvent, ces individus ou ces petits groupes ont bénéficié d'une formation accélérée au maniement des armes en Syrie ou en Irak, avant de revenir sur notre sol pour se fondre dans notre tissu social et, le cas échéant, passer à l'acte très rapidement. D'autres, enfin, entendent répondre à un appel général au djihad lancé par Daech ou par toute autre organisation terroriste d'inspiration djihadiste, sans que l'on puisse parler, pour ce qui les concerne, d'une mission précise à remplir. Dans le même temps, les modes opératoires ont évolué : les exécutions isolées par arme de poing ou arme blanche se sont muées en attentats commis à l'arme de guerre et, pour la première fois le 13 novembre, au moyen de ceintures explosives. J'ajoute enfin que les cibles elles-mêmes des terroristes ont évolué. Si elles avaient été choisies, en janvier 2015, en raison de leur évidente portée symbolique – communauté juive, journalistes, policiers –, tel n'était plus le cas le 13 novembre : les assassins ont cette fois délibérément frappé au hasard. À travers ces meurtres de masse indiscriminés, c'était donc une cible plus globale qui était visée : notre mode de vie, les solidarités qui nous unissent, bref le moral et l'unité de notre nation.

À l'heure actuelle, nous savons qu'un peu plus de 1 850 Français ou résidents habituels sont impliqués, d'une façon ou d'une autre, dans les filières de recrutement djihadiste : 600 d'entre eux sont présents en Syrie et en Irak, ce n'est pas un chiffre faible, et 236 sont d'ores et déjà revenus sur le territoire national – nous faisons preuve à leur endroit de la plus grande vigilance. Parmi eux, 143 font l'objet d'un suivi judiciaire : 74 ont été incarcérés après avoir été placés en garde à vue, 13 sont sous contrôle judiciaire. Par ailleurs, 100 Français de retour de Syrie ou d'Irak sont actuellement surveillés par nos services de renseignement ; 67 d'entre eux ont d'ores et déjà fait l'objet d'entretiens administratifs avec la DGSI.

Notre premier objectif porte sur le renforcement des services de renseignement.

En raison du caractère diffus de la menace, le principal objectif que nous nous sommes fixé, dès 2012, a été de renforcer l'organisation, le cadre d'action et les moyens dont disposent nos services de renseignement, qu'ils soient chargés de la surveillance du haut du spectre, c'est le cas de la DGSI, ou bien de la détection des signaux faibles de radicalisation, c'est le cas du renseignement territorial. C'était là une nécessité absolue pour tirer les leçons des tueries de Toulouse et de Montauban et éviter que notre pays ne se retrouve dans une situation d'extrême vulnérabilité.

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