Intervention de Patrice Paoli

Réunion du 7 mars 2016 à 14h45
Commission d'enquête relative aux moyens mis en œuvre par l'État pour lutter contre le terrorisme depuis le 7 janvier

Patrice Paoli, directeur de la cellule interministérielle d'aide aux victimes, CIAV :

Je précise que je suis un directeur intermittent puisque la CIAV ne fonctionne pas en permanence ; elle est convoquée par le Premier ministre dans des circonstances particulières.

J'ai suivi avec une grande attention, sur le site internet de l'Assemblée nationale, les débats que vous avez menés jusqu'à présent, en particulier la table ronde consacrée aux victimes et aux associations qui les accompagnent. La douleur indicible des personnes et de leur famille nous incite à la plus grande modestie quand nous faisons face à des situations telles que celle que la France a connue ce 13 novembre 2015 et les jours suivants. Dans mon intervention, je vais évoquer ce que nous avons essayé de faire et les imperfections qui sont apparues lors de la mise en place du système.

Certains de mes collaborateurs m'accompagnent, signe de l'esprit d'équipe qui nous a animés. J'insiste sur ce mot d'équipe et sur cette notion de travail collectif au service de nos concitoyens. Je vous remercie de nous avoir conviés à cette réunion qui nous offre l'occasion de mieux nous connaître.

La CIAV était un objet inconnu ; elle ne s'était jamais réunie. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, elle a été créée par une instruction interministérielle signée le 12 novembre dernier. Elle a été activée pour la première fois le lendemain, à la demande du conseil des ministres, à la suite des attentats, c'est-à-dire le 13 novembre 2016. Cette cellule interministérielle, inventée dans l'urgence, rassemble des personnels de quatre ministères – justice, intérieur, santé et affaires étrangères –, les associations FENVAC et INAVEM, et aussi le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) qui en est un acteur indispensable.

La CIAV est issue des réflexions menées au niveau interministériel après les attentats de janvier 2015, qui ont abouti à la signature de cette instruction, le 12 novembre 2015. J'imagine que vous allez m'interroger sur les difficultés de sa mise en place, un thème abordé par toutes les personnes auditionnées. Au fil des heures, nous avons réussi à créer une équipe véritablement solidaire. C'est un organisme ad hoc qui dépersonnalise ceux qui y viennent : nous représentons la CIAV, quels que soient nos ministères ou organismes d'origine. La CIAV est l'objet que nous devions créer et je pense que nous avons réussi à lui donner vie.

À partir du moment où la réponse téléphonique a été localisée chez elle, la CIAV a reçu 11 300 appels – je ne compte pas les communications sortantes. Quelque 120 agents ont été mobilisés en permanence pendant environ quinze jours, et ce nombre a atteint 160 durant les derniers jours, lorsque nous avons été chargés de préparer la cérémonie d'hommage national qui a exprimé la solidarité de la nation avec les victimes et leurs familles.

La CIAV a fini par fonctionner, j'y insiste. Elle a trouvé peu à peu son rythme, car il y avait des précédents sur lesquels nous pouvions nous appuyer : d'une part, les retours d'expérience des heures douloureuses que nous avons connues lors des attentats du mois de janvier ; d'autre part, les habitudes de travail acquises, souvent dans un cadre interministériel, lors des crises internationales dans lesquelles nous assurons précisément le soutien aux victimes. En cas d'attentats, nous sommes exclusivement chargés de l'assistance aux victimes, et nous n'intervenons pas dans les enquêtes ou le travail technique qui a été décrit par plusieurs des personnes que vous avez déjà auditionnées.

L'un des principes à établir rapidement – qui a été conforté dès la visite du Premier ministre au CDCS – est celui des trois unités : de lieu, de direction et d'équipe. Cependant, nous avons été confrontés d'emblée à la nécessité de rompre avec ce principe prévu par la circulaire interministérielle, pour nous adapter aux circonstances, aux besoins du moment, en ouvrant un centre d'accueil physique à l'École militaire et un dispositif d'accueil et d'accompagnement des familles à l'institut médico-légal de Paris. La CIAV a coordonné ces dispositifs qui n'étaient pas prévus au départ. Les premières heures ont été occupées par la mise en place du dispositif, par la constitution d'équipes capables de le faire fonctionner, afin de répondre à l'attente des familles. Dès le samedi 14 novembre, nous avons pu essayer d'accomplir au mieux les missions qui nous étaient dévolues : centralisation des informations concernant l'état des victimes ; information et accompagnement des proches ; coordination de l'action des ministères intervenant en relation avec les associations et avec le parquet ; préparation de la cérémonie d'hommage.

En ce qui concerne l'accompagnement, j'ai pu constater que les victimes et leurs proches demandent du soutien psychologique et une assistance pour accéder à leurs droits, notamment en matière d'indemnisations. Ils demandent aussi à être épaulés dans les démarches administratives, notamment celles qui sont liées à un décès.

Pour fonctionner, la CIAV a besoin d'un carburant : les coordonnées des victimes et de leurs proches. C'est précisément ce qui a été un angle mort pendant les premières heures. La contribution des hôpitaux est décisive. Il a fallu créer une culture commune avec des agents de l'État, des personnels hospitaliers de toutes provenances, qui n'avaient pas l'habitude de ce travail en commun ni des procédures nouvelles qui ont été adaptées dans l'urgence.

Après la cérémonie d'hommage aux Invalides, nous avons passé le relais au comité de suivi des victimes, qui a été mis en place dès le 27 novembre. Installé au ministère de la justice, ce comité est placé sous l'autorité de Mme Juliette Méadel, secrétaire d'État chargée de l'aide aux victimes.

J'en viens à quelques éléments de bilan pour introduire notre débat. L'unité de direction, d'équipe et de lieu a été consacrée au cours des réunions organisées sous l'autorité du Premier ministre. Le 11 décembre, nous avons procédé à un premier retour d'expérience pour confirmer que la CIAV devait bien être hébergée et pilotée par l'équipe en place au CDCS.

Deuxième enseignement : le recueil des informations nécessaires doit être centralisé. Selon l'instruction qui est en cours de révision et qui devrait être prochainement signée, la réponse téléphonique, qui a été un peu hoquetante au départ, doit être localisée directement à la CIAV. Si, par malheur, des nouveaux actes terroristes devaient survenir sur notre territoire, la réponse téléphonique serait immédiatement confiée à la CIAV.

Un autre problème a été soulevé, à juste titre, par les victimes : le choix d'un numéro en 800 ne permettait pas l'accès des appelants de l'étranger. Nous avons donc mis en place, aussi vite que possible, un numéro dédié qui permettra de recevoir les appels de l'étranger à l'avenir. Nous ne souhaitons pas avoir à l'utiliser mais, si de telles occurrences devaient se reproduire, un numéro ordinaire permettrait à tout le monde d'avoir directement accès à la cellule.

La prochaine instruction va consacrer l'École militaire comme lieu d'accueil pour les victimes à Paris, placé sous l'autorité de la CIAV et coordonné par elle. Le dispositif de l'École militaire, créé dès le samedi 14 novembre, avait été annoncé avant sa mise en place. Des familles ont alors afflué vers un centre qui n'était pas encore opérationnel, ce qui a causé des difficultés. De même, la CIAV structurera l'accueil des familles à l'Institut médico-légal de Paris ou des autres instituts médicaux qui seraient chargés de l'identification afin de gagner du temps.

Une autre question se pose, même si elle ne relève pas de la CIAV : les moyens du FGTI à terme. Si le FGTI est appelé à indemniser un nombre de croissant de personnes, il faudra qu'il puisse faire face à ces exigences.

Les réflexions sur l'adaptation du dispositif ont aussi conduit à envisager l'hypothèse où des attentats surviendraient à la fois dans Paris et hors de Paris. L'idée, qui est arrivée à un stade de maturation avancé, est de désigner dans chaque préfecture une personne qui serait au fait des procédures. Ce correspondant pourrait prendre les premières dispositions, concernant les lieux d'accueil des familles et les instituts médico-légaux notamment, en attendant qu'une équipe de la CIAV arrive sur place dans un délai qui ne devrait pas excéder quelques heures.

L'hypothèse d'attentats concernant à la fois la France et des ressortissants Français à l'étranger a aussi été examinée. En fait, elle est concrète puisque, le 20 novembre dernier, un attentat a eu lieu dans un hôtel de Bamako où se trouvait de nombreux Français. Nous avons installé une cellule de crise dans nos salles pour traiter concomitamment cette attaque et les attentats du 13 novembre. Nous avons pu la désactiver rapidement car, chance inouïe, aucun Français n'a été victime de cette attaque. Nous devons néanmoins envisager le cas où des événements nécessiteraient une mobilisation importante dans différents théâtres d'intervention.

Les attaques qui ont conduit à l'activation de la CIAV sont d'une portée d'une ampleur nouvelle, inédite. Nous avons donc dû nous adapter. Personnellement, je trouve que la mobilisation – des hommes et des pouvoirs publics – a été exemplaire, même si elle n'a pas été parfaite, loin de là. Il n'était pas évident de réunir d'emblée toutes les compétences de l'État dans un organisme dont le fonctionnement est unique.

En guise de conclusion à ce propos liminaire, je vais un peu résumer notre travail post-attentat. Tout d'abord, nous tendons à adapter l'instruction interministérielle pour la rendre opérationnelle et corriger les imperfections décelées. Des retours d'expérience ont eu lieu dans les divers ministères. Pour notre part, nous avons participé à un retour d'expérience au ministère de la santé où j'ai rencontré M. Georges Salines, un président d'association avec lequel j'ai établi un contact. Dans les jours qui viennent, je vais présenter nos réflexions pour l'avenir à M. Salines et aux autres représentants d'association.

J'ai déjà dit un mot de la réflexion que nous conduisons sur le lien entre Paris et les autres villes. Nous voulons aussi qu'à l'intérieur de la CIAV, chacun connaisse mieux les cultures et les procédures des autres. Nous avons donc entamé un travail de connaissance systématique et pointilleux avec la police technique et scientifique de Lyon, avec la préfecture de police qui nous a rendu visite récemment et avec qui nous avons partagé nos expériences, avec les associations. L'objectif est de limiter les incertitudes. Pour cela, outre le travail de conceptualisation et d'adaptation de l'outil, nous devons faire des exercices sur le plan interministériel. Avant que ne soit consacrée totalement la nouvelle instruction interministérielle, nous devons avoir testé et vérifié le bon fonctionnement de la CIAV.

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