Intervention de Rémi Pauvros

Séance en hémicycle du 9 mars 2016 à 15h00
Transports collectifs de voyageurs — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRémi Pauvros, suppléant M Gilles Savary, rapporteur de la commission mixte paritaire :

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État chargé des transports, mes chers collègues, vous comprendrez que seules des raisons supérieures peuvent expliquer l’absence de Gilles Savary pour la présentation du rapport de la commission mixte paritaire, tant il s’est engagé dans ce travail, auquel il a apporté une importante contribution, jusque dans ses conclusions. Je tiens à lui adresser de cette tribune un message très amical.

J’ai donc l’honneur de vous faire part des réflexions du rapporteur pour présenter le texte qui nous occupe aujourd’hui.

Ardemment souhaitée par nos deux grands opérateurs publics de mobilité, la SNCF et la RATP, cette proposition de loi, initialement axée sur la lutte contre la fraude dans les transports publics, a été rattrapée par l’effroi de l’attentat manqué du Thalys Amsterdam-Paris du 21 août 2015.

Son texte final, qui compte quinze articles contre neuf initialement, témoigne de son inflexion en faveur de la lutte contre les atteintes à la sécurité publique et contre les actes terroristes dans les transports collectifs de voyageurs. Alors qu’elle avait été déposée tardivement sur le bureau de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2015 à partir d’un travail engagé sur le fond à compter d’avril 2015, cette proposition de loi a connu un parcours législatif remarquablement véloce. Il a été opportunément enrichi par la collaboration étroite du rapporteur avec les ministères concernés ; celui de l’intérieur, chef de file, mais aussi ceux des transports et de la justice, avec le concours vigilant de Matignon. Elle a bénéficié de l’apport inestimable de l’expertise juridique de la commission des lois de l’Assemblée nationale pour avis et de celle du Sénat au fond.

Je voudrais ici, au nom du rapporteur, exprimer ma très profonde reconnaissance à M. le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve pour son engagement et celui de ses équipes dans l’élaboration de ce texte, et saluer le concours constant qu’y ont apporté le secrétaire d’État chargé des transports Alain Vidalies et son administration. J’aimerais également remercier tout particulièrement, toujours au nom de M. Savary, notre collègue Sébastien Pietrasanta, rapporteur pour avis de la commission des lois, qui a contribué à dénouer les difficultés juridiques redoutables en portant une scrupuleuse attention à la préservation des libertés publiques, notamment la liberté imprescriptible d’aller et venir. Il a évidemment trouvé dans nos collègues de la commission des lois du Sénat, MM. François Bonhomme et Alain Fouché, de remarquables contributeurs à la rédaction finale par l’ajout de dispositions majeures et de précisions rédactionnelles particulièrement opportunes.

Je ne voudrais pas oublier l’apport singulier et tenace de Marie Le Vern en matière d’implication des exploitants de transports publics de voyageurs dans la prévention des agressions sexistes dont les femmes se déclarent victimes à 100 % dans les enquêtes auprès des usagers.

Ce texte aura donc été débattu et amendé en commission des lois de l’Assemblée nationale sous la haute et diligente présidence de Jean-Jacques Urvoas le 8 décembre 2015, pour être adopté le même jour en commission du développement durable et de l’aménagement du territoire sous la présidence de Jean-Paul Chanteguet, retenu en ce moment par la discussion du projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages. L’année parlementaire civile de 2015 s’est close par son adoption en première lecture de l’Assemblée nationale le 16 décembre 2015. Le Sénat n’a pas été moins prompt que l’Assemblée. Dans le cadre de la procédure accélérée engagée par le Gouvernement, ce texte a été adopté par la commission des lois le 20 janvier dernier, puis en séance le 28 janvier à l’issue d’un débat qui l’a très significativement enrichi. Ce travail conjoint des députés et des sénateurs, bien qu’il ait été mené à marche forcée, a trouvé son aboutissement dans une commission mixte paritaire conclusive, réunie au Sénat le 10 février sous la présidence du sénateur Philippe Bas. Il nous appartient donc aujourd’hui d’adopter définitivement, à l’Assemblée nationale, le texte issu de la commission mixte paritaire adopté par le Sénat le 2 mars.

Finalement, cette grande loi de sécurité dans les transports publics, née d’une ambition législative qui visait plus modestement à améliorer notre arsenal juridique contre la fraude, a été initiée, élaborée, écrite, débattue, adoptée par les deux chambres en moins d’un an ; six mois seulement se sont écoulés depuis son enregistrement officiel à l’Assemblée nationale. Je crois que c’est un travail qui honore notre Parlement et dont il faut féliciter tous ceux qui, parlementaires, administrateurs, conseillers ministériels, collaborateurs, y ont participé, sans oublier le rapporteur M. Gilles Savary, bien évidemment.

Ce texte, tel qu’il vous est proposé, chers collègues, repose sur deux principes essentiels. Le premier est de renforcer et de sécuriser les bases juridiques qui permettent aux agents de sûreté des transports publics à la fois de prévenir des risques d’atteinte grave à l’ordre public et à la sécurité des usagers dans les transports et de mieux lutter contre la fraude comportementale en renforçant très significativement les moyens de la confondre et de la sanctionner. Le second est certes d’étendre leurs moyens d’interpellation, d’alourdir les sanctions, et de conforter leurs moyens de recouvrement des amendes, mais en veillant à ne jamais franchir les limites qui distinguent leurs prérogatives de sûreté de celles de la force publique placées sous le contrôle de la police judiciaire, c’est-à-dire du procureur de la République.

Dans ces strictes limites, deux problèmes cruciaux et particulièrement sensibles ont finalement été résolus. Le premier concerne le contrôle de l’identité : les agents de sûreté ne peuvent procéder qu’à des relevés d’identité non coercitifs, et sont aujourd’hui dans l’impossibilité juridique de maintenir un contrevenant s’y refusant et donc de le tenir à disposition d’un agent de police ou de gendarmerie le temps de le requérir. Nous n’avons pas souhaité transformer les agents de sûreté en officiers de police judiciaire, mais l’article 8 bis, adopté à l’initiative de Sébastien Pietrasanta, et qui introduit le délit de tentative de soustraction à un relevé d’identité, leur permet désormais de maintenir une personne récalcitrante le temps nécessaire à sa prise en charge par un officier de police judiciaire, seul habilité à procéder à un contrôle ou à une vérification d’identité.

Le second problème concerne les possibilités de vérification d’une domiciliation afin de pouvoir poursuivre un contrevenant et de l’obliger à acquitter une contravention constatée par un agent vérificateur. Désormais, un centre d’interrogation, indépendant et assermenté, placé sous le contrôle de la CNIL – la Commission nationale de l’informatique et des libertés –, pourra transmettre aux agents de recouvrement d’un exploitant ses coordonnées après vérification sur des fichiers qui leur seront inaccessibles directement. Cette disposition de l’article 9 devrait permettre d’améliorer très significativement le taux de recouvrement des amendes, qui se situe actuellement autour de 10 % tant pour la SNCF que pour la RATP.

À des fins de lutte contre la fraude comme de protection des risques de trouble à l’ordre public ou d’attaque terroriste, ce texte étend les prérogatives d’investigation des agents de sûreté. Il leur permet désormais de procéder à des inspections visuelles de bagages, à des fouilles, voire à des palpations de sécurité, sous des conditions de durée et de lieu très strictement encadrées par l’autorité administrative et judiciaire. Pour autant, ils ne disposent pas, comme les forces de l’ordre, de la faculté de coercition ; en revanche, ils peuvent refuser l’accès aux transports aux personnes qui n’y consentent pas, au même titre que les stadiers ou les agents de sûreté de certaines grandes enseignes commerciales. Les agents de sûreté retrouvent également la faculté d’agir en civil, à la condition de porter un brassard distinctif dans le cadre d’une opération ponctuelle et de devoir exciper de leur carte d’identification professionnelle à la demande de tout usager.

Sur proposition du Sénat, ils peuvent, à titre expérimental, pendant deux ans après la promulgation de la présente loi, intervenir avec une caméra-piéton identifiée. La proposition de loi dispose en outre qu’à l’initiative d’un exploitant ou d’une autorité organisatrice de transports, les forces de l’ordre peuvent filmer, à l’aide de caméras fixes, un site de transport, emprise ou véhicule de transport, menacés d’atteintes graves à la sécurité des biens et des personnes – article 6 bis AA – sous couvert d’une convention conclue entre l’exploitant et le représentant de l’État dans le département ou le préfet de police en région parisienne. Enfin, le procureur de la République peut autoriser les forces de l’ordre à procéder à des inspections visuelles de bagages et fouilles de véhicules individuels ou de transport collectif, sur la voie publique ou dans les emprises de transports collectifs, sous des conditions strictes de durée et de présence des occupants ou propriétaires des véhicules concernés.

Le principe selon lequel un usager sans titre de transport valide doit pouvoir justifier de son identité à un contrôleur vérificateur est sécurisé par la possibilité donnée à ce contrôleur de requérir le concours d’un agent de sûreté susceptible de le maintenir pour transmission à un officier de police judiciaire en vue d’un contrôle ou d’une vérification d’identité. En permettant aux exploitants de recouper l’identité d’un usager avec un titre de transport nominatif, la loi introduit donc dans les transports terrestres, essentiellement les trains à grande vitesse, en l’état actuel des choses, une disposition courante dans le transport aérien.

L’un des grands apports de la loi est de poser le principe selon lequel tous les exploitants de transports publics de personnes, notamment les réseaux de province, sont tenus d’assurer la sûreté des personnes et des biens, en recourant à trois solutions laissées à leur libre choix : celle de s’accorder le concours de sociétés de sécurité privées, placées sous le contrôle du Conseil national des activités privées de sécurité – CNAPS –, comme c’est le cas actuellement ; celle de créer leur propre service de sûreté interne, à l’identique de la SNCF et de la RATP, mais sous contrôle du cahier des charges du même conseil national ; celle de donner compétence de police, sur tout ou partie d’un réseau local, aux polices municipales sous contrôle du préfet de département.

Pour donner une cohérence d’ensemble à ces nouvelles dispositions, nous proposons que ces mesures soient mises en place sous une double garantie conventionnelle : entre l’autorité organisatrice de transport ou AOT et l’exploitant dans le cadre du cahier des charges élaboré par l’AOT d’une part, et, d’autre part, entre l’AOT opérant dans le même ressort départemental et le responsable de l’État dans le département, au travers d’un contrat d’objectif départemental de sûreté dans les transports élaboré sous la responsabilité de ce dernier.

L’un est un contrat de nature commerciale, juridiquement opposable entre autorités organisatrices de transports et exploitants. L’autre est un contrat d’objectif public visant à la coordination d’ensemble, dans le ressort territorial du département, de la politique de sûreté dans les transports publics de voyageurs. Ce dispositif inédit consiste à introduire les politiques de sûreté dans tous les transports collectifs et non uniquement à la SNCF et la RATP qui en sont déjà dotées par la loi.

Enfin, pour que le dispositif soit complet et adapté au contexte de notre époque, non seulement la proposition de loi aggrave les sanctions applicables au délit de fraude d’habitude – caractérisé à partir de cinq occurrences annuelles et non plus dix – et à la vente à la sauvette dans les emprises immobilières des transporteurs, mais crée de nouveaux délits sévèrement sanctionnés tels que le délit de mutuelle de fraudeurs et le délit de fraude collectivement organisée visant à prévenir les usagers des contrôles.

Sur ces derniers points, Gilles Savary souhaite éclairer nos intentions. Il s’agit là de viser plus particulièrement les applications numériques qui tendent à dépersonnaliser la sanction en assurant collectivement les sanctions pécuniaires punissant la fraude ou en permettant de se soustraire au contrôle, c’est-à-dire en encourageant la fraude individuelle par une forme de prise en charge collective. Quant aux mutuelles de fraudeurs, il s’agit de réprimer une modalité commerciale organisée d’encouragement à la fraude qui fait ostensiblement commerce de la fraude aux services publics aux dépens des autres usagers et du contribuable.

Mes chers collègues, cette proposition de loi est destinée à s’inscrire dans le champ juridique avec un objectif sans précédent, mais néanmoins limité et modeste : définir des bases juridiques permettant aux exploitants et aux AOT d’accentuer les pressions sur les fraudeurs et les fauteurs de troubles. Son efficacité dépendra donc des conditions de sa mise en oeuvre dans nos transports publics. La loi permet de réaliser bien des choses auparavant inaccessibles, mais à condition de déployer les moyens matériels, financiers et humains nécessaires. Certaines technologies en particulier, relatives à la billettique ou à la traçabilité des usagers, méritent que les exploitants et les AOT y investissent progressivement.

C’est la raison pour laquelle votre rapporteur a introduit, à des fins de bonne gouvernance et de transparence, un article 6 quinquies sollicitant du Gouvernement un rapport sur les conditions de financement de la sûreté dans les transports terrestres. À nouveau, en effet, il faudra choisir entre l’usager et le contribuable. Dans les transports aériens, le choix de l’usager a prévalu. Dans les transports terrestres, la France s’honorera, avec ce texte, d’être à l’avant-garde d’une problématique qui demeure, malgré l’exposition aux risques, totalement ignorée des instances internationales, en particulier de l’Union européenne. Gilles Savary vous invite donc à l’adopter définitivement.

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