Intervention de François Villeroy de Galhau

Réunion du 2 mars 2016 à 9h00
Commission des finances, de l'économie générale et du contrôle budgétaire

François Villeroy de Galhau, gouverneur de la Banque de France :

Monsieur le président, madame la rapporteure générale, mesdames et messieurs les députés, je vous remercie de m'accueillir aujourd'hui, quelques mois après m'avoir accordé votre confiance. Je viens donc, pour la première fois – en ce qui me concerne, mais vous aviez auditionné mon prédécesseur –, évoquer les sujets essentiels du point de vue de la Banque de France ; j'attache à ces échanges réguliers une grande importance. Je détaillerai avant tout les deux sujets que vous avez évoqués, monsieur le président : l'environnement économique et monétaire et la situation des banques françaises.

L'environnement économique et monétaire est évidemment la question la plus importante aujourd'hui.

En termes de croissance, 2015 a été une meilleure année pour la France que 2014 : le PIB a progressé de 1,1 %, alors qu'il n'avait augmenté que de 0,2 % l'année précédente. En zone euro, la croissance a été supérieure : 1,5 %.

En ce début d'année 2016, la demande intérieure est résiliente, mais de nombreuses incertitudes extérieures ont pesé : la forte baisse des prix du pétrole ; la dégradation de la situation de certains pays émergents ; le ralentissement de la Chine ; des interrogations sur la situation de l'économie américaine ou les défis politiques en Europe. Si les risques sur la croissance mondiale se sont incontestablement accrus, la volatilité des marchés depuis le début de l'année est cependant jugée excessive. Ce double constat a dominé la réunion des ministres des finances et des banquiers centraux du G20 à Shanghai, le week-end dernier. Le communiqué publié marque l'engagement des pays membres à utiliser les différents leviers de la politique économique, pour soutenir à la fois – j'y insiste, car c'est l'un des messages importants de ce G20 – la demande et l'offre. Cela vaut en particulier pour la politique monétaire, sur laquelle le G20 a marqué un large consensus, Fonds monétaire international (FMI) en tête : « Les politiques monétaires continueront à soutenir l'activité économique et à assurer la stabilité des prix, en cohérence avec le mandat des Banques centrales ; mais la politique monétaire seule ne peut pas entraîner une croissance équilibrée. »

La nécessité de politiques monétaires actives vaut naturellement pour la zone euro. Les mesures non conventionnelles mises en oeuvre depuis juin 2014 sont efficaces : selon les estimations de l'Eurosystème, elles auront pour effet 1 % d'inflation supplémentaire cumulée sur la période 2015-2017, et stimuleront la croissance dans une proportion voisine. L'inflation en zone euro reste cependant trop basse, puisque l'indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH) est redevenu négatif – - 0,2 %, en février 2016 – et que l'inflation « de base », hors énergie et alimentation, n'est que de + 0,7 %. Je cite là les premières données disponibles, dites « flash », pour le mois de février, qui ont légitimement attiré l'attention des observateurs.

Je voudrais apporter deux précisions.

Premièrement, une inflation temporairement négative n'est pas la déflation. Celle-ci se définit comme un processus cumulatif de diminution des prix, y compris ceux des actifs, voire des salaires et de la production, comme en ont connu l'économie mondiale dans les années 1930 ou, partiellement, le Japon dans les années 1990. Aujourd'hui, nous retrouvons ce que nous avions connu au début de l'année 2015 : un épisode de quelques mois d'indices d'inflation négative, effet mécanique de la chute du prix du pétrole. Le parallélisme entre la courbe de l'inflation et celle du prix du pétrole est net, et, compte tenu de la nouvelle baisse de ce dernier, nous connaissons, ce mois de février, un nouvel épisode d'inflation négative : - 0,1 % pour la France, - 0,2 % pour l'ensemble de la zone euro. Dès lors que le prix du pétrole se stabilise, nous devrions retrouver une inflation légèrement positive dans la seconde moitié de cette année.

Deuxièmement, les responsables monétaires doivent examiner attentivement cette situation. La baisse du prix du pétrole peut, au-delà de ses effets mécaniques et temporaires, avoir des effets d'entraînement plus durables, sur le prix des autres biens et services – l'inflation « de base », sous-jacente, est elle-même trop basse – comme sur l'évolution des salaires, ce que les économistes appellent des « effets de second tour ». Ce sont surtout ceux-ci qu'il nous revient de scruter, dans les prévisions de l'Eurosystème qui seront publiées le 10 mars. Nous ne sommes pas en déflation, mais il faut éviter que les anticipations sur l'inflation future ne deviennent trop pessimistes. C'est l'enjeu de la bataille menée par la BCE, une bataille menée avec détermination et efficacité, mais qui n'est pas terminée.

Dans cet environnement, la crédibilité de notre politique monétaire passe par trois conditions, qui touchent à son objectif, ses instruments et ses éventuels effets secondaires.

Tout d'abord, il faut faire preuve d'une grande constance en ce qui concerne notre objectif : viser à moyen terme un taux d'inflation proche de – et inférieur à – 2 %. C'est essentiel pour que les ménages et les entreprises puissent, par-delà la volatilité de court terme des marchés, ancrer leurs anticipations d'inflation.

Ensuite, il faut utiliser notre palette d'instruments, si nécessaire dès le prochain Conseil des gouverneurs. Je voudrais souligner à cet égard que les taux d'intérêt négatifs, qui suscitent beaucoup de questions, ne sont naturellement pas une fin en soi. L'Eurosystème dispose d'une palette d'autres instruments « non conventionnels » : des financements à moyen terme des banques en échange de leurs engagements de crédit, avec les targeted longer-term refinancing operations (TLTRO), mis en oeuvre en 2014 ; des achats de titres, avec le quantitative easing (QE) ; des indications sur l'évolution à venir des taux directeurs et de la fourniture de liquidités, ce qu'on appelle la forward guidance.

Troisième condition, il faut surveiller les éventuels effets secondaires de notre politique monétaire. Aujourd'hui, soyons clairs, nous ne voyons pas de bulle financière, mais nous sommes prêts à agir si nécessaire en prenant des mesures macroprudentielles, notamment dans le cadre du Haut Conseil de stabilité financière (HCSF), que vous avez créé par la loi de séparation et de régulation des activités bancaires du 26 juillet 2013.

Cependant, comme l'indiquait donc le communiqué du G20, si la politique monétaire fait beaucoup, elle ne peut pas tout. Pour assurer la croissance dans la durée, il faut poursuivre résolument les réformes nationales, autour de la priorité à l'emploi et en s'inspirant des succès de certains de nos voisins européens. Il faut également, parallèlement à ces réformes nationales, des réformes européennes pour une meilleure coordination des politiques économiques ; si nous n'optimisons pas la gouvernance de la zone euro, nous n'optimiserons pas sa croissance.

J'en viens à la situation des banques françaises.

Vous y faisiez allusion, monsieur le président : les marchés financiers ont manifesté récemment des inquiétudes pour la santé des banques, en particulier des banques européennes. Cela a également affecté les cours des banques françaises, sans qu'aucune interrogation spécifique l'explique. La réalité est que celles-ci sont aujourd'hui très solides, bien plus qu'avant la crise de 2007-2008. Leur ratio de solvabilité common equity tier 1 (CET1), défini comme le rapport entre leurs fonds propres les plus « durs » et leurs risques, a doublé entre 2008 et 2015, et ce n'est pas le fruit du hasard, c'est le résultat des diverses régulations adoptées à l'échelle internationale, européenne et française. Pour l'ensemble des banques françaises, ce ratio est passé de 5,8 % à 12 %, soit un peu plus que la moyenne internationale ; cela représente un montant supplémentaire de 132 milliards d'euros. En outre, les résultats des banques françaises restent solides, avec une progression de 8,2 %, hors éléments exceptionnels, entre 2014 et 2015. Par ailleurs, la situation de liquidité est totalement différente de celle de 2008 – le crédit interbancaire était alors presque arrêté. Grâce à l'action monétaire de l'Eurosystème, les banques ont, globalement, un excédent de liquidités de 690 milliards d'euros. De ce fait, elles continuent, c'est important, de financer l'économie réelle : les crédits bancaires aux entreprises restent très dynamiques en France, avec un rythme de croissance annuel de 4,1 % à la fin de l'année 2015 – le plus élevé de la zone euro. Cela n'empêche pas d'accorder une attention particulière aux très petites entreprises (TPE). J'ai ainsi annoncé la mise en place, dans chaque succursale de la Banque de France, d'un correspondant TPE pour faciliter leur financement.

Face aux incertitudes sur les banques, la priorité, en matière de réglementation, est aujourd'hui de finaliser rapidement – d'ici à la fin de l'année – les normes dites « Bâle III », sans accroître significativement les exigences qui pèsent globalement sur les banques européennes en termes de fonds propres. Il s'agit bien de terminer Bâle III, non de lancer un hypothétique « Bâle IV ».

Je termine par quelques mots sur la Banque de France elle-même. Lors de mon audition du 29 septembre dernier, j'avais été amené à vous présenter ma vision de ses missions, autour de trois grands objectifs : la stratégie monétaire d'abord, puisque nous sommes partie prenante d'un Eurosystème fédéral ; la stabilité financière ensuite, puisque nous assurons notamment, avec l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), la surveillance des banques et des compagnies d'assurances ; le service économique que notre réseau sur le terrain fournit aux ménages – avec le traitement du surendettement et le droit au compte – et aux PME et TPE. Je me suis déjà rendu dans quatre régions, conformément à l'engagement que j'avais pris devant vous. Je crois profondément à ces missions sur le terrain et en leur avenir. C'est pourquoi il est impératif de les mener de la façon la plus performante et la plus efficace possible. Notre ambition, avec l'équipe de direction et les hommes et femmes de la Banque de France, est vraiment d'être un service public exemplaire, encore plus productif, plus innovant, plus visible en France et en Europe.

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