Intervention de Patrick Bloche

Réunion du 2 mars 2016 à 9h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Bloche, rapporteur, président :

Ma réponse sera globale. L'examen des amendements sera l'occasion de revenir plus précisément sur chacun des sujets que vous avez abordés. Je remercie ceux qui ont pris part à ces échanges d'une grande richesse. Je relève d'ailleurs combien je suis surpris, et enchanté, d'être dépassé par la gauche par les propositions de M. de Mazières.

En tant que législateurs, nous devons toujours veiller à nous inscrire dans une filiation, à tout le moins une continuité. Cette proposition de loi n'est pas dictée par des circonstances particulières mais par la volonté de poursuivre le travail que nous avons engagé au travers de la loi du 15 novembre 2013. Nous avons souhaité rendre son indépendance totale à l'audiovisuel public notamment en restituant au CSA, très décrié ce matin, le pouvoir de nomination des présidents de l'audiovisuel public qu'il détenait avant que Nicolas Sarkozy ne se l'arroge.

Une autre forme d'indépendance a été conquise, non sans difficultés, dans le budget 2016, pour la première fois depuis sept ans : l'indépendance budgétaire de France Télévisions et des autres organismes de l'audiovisuel public à l'égard du budget de l'État. Cette indépendance vaut, j'en suis convaincu, celle qui s'attache à la nomination de leur président.

Je le rappelle, la loi de 2013 a permis d'assurer l'indépendance de l'audiovisuel public mais aussi du CSA, dont la crédibilité avait été mise à mal par sa composition monocolore et l'acceptation enthousiaste à l'époque par ses membres de la suppression en 2009 de son pouvoir de nomination des présidents de l'audiovisuel public.

Cette loi comporte une disposition essentielle, qui change tout, et que nous avons mise en oeuvre de manière consensuelle et responsable : chaque membre du collège du CSA – ils étaient neuf, ils seront bientôt sept – doit désormais voir sa candidature approuvée à une majorité des trois cinquièmes des commissions compétentes du Parlement, ce qui suppose un consensus entre la majorité et l'opposition. Nous avons ainsi validé à l'unanimité la candidature de Mme Nathalie Sonnac en janvier 2015. Je réponds là à un certain nombre de critiques formulées sur l'impartialité du CSA et sa crédibilité, au vu des missions qui lui sont confiées par l'article 2 de la proposition de loi.

Quoi de plus normal donc pour cette majorité que de considérer que tous les médias doivent pouvoir bénéficier de l'indépendance et du renforcement du pluralisme et de l'honnêteté de l'information et des programmes ?

Je m'étonne des critiques sur l'article 1er, qui se borne pourtant à étendre à tous les journalistes une disposition déjà inscrite dans la loi. Pourquoi la notion d'intime conviction professionnelle serait-elle trop floue pour s'appliquer à tous les journalistes alors que, j'insiste, la majorité précédente, avec le soutien de l'opposition d'alors, ne s'était pas embarrassée de cet argument pour conférer en 2009 une valeur législative à la disposition conventionnelle, applicable aux journalistes de l'audiovisuel public depuis 1983 ? Je suis étonné que l'opposition d'aujourd'hui refuse de faire bénéficier l'ensemble des journalistes d'un droit qu'elle avait elle-même gravé dans le marbre de la loi pour les journalistes de l'audiovisuel public.

Pour répondre à Mme Nachury, cette disposition a été appliquée. Elle a fait la preuve de son caractère dissuasif – c'est aussi la vertu première de ce texte – et elle n'a donné lieu à aucun contentieux en plus de trente ans.

Je le précise d'emblée, l'intime conviction professionnelle ne peut se former légitimement que sur des fondements déontologiques. Vous avez été plusieurs à faire référence aux chartes d'éthique. Je souhaite en ce domaine aller plus loin avec vous. Ne me reprochez pas en parallèle, et de manière contradictoire, de ne pas annexer à cet article une échelle de sanctions. Comme je l'ai expliqué, il reviendra naturellement, pour tous les journalistes, au juge du travail de veiller au respect de ces dispositions si, d'aventure, des directions sanctionnaient les journalistes qui useraient de leur droit d'opposition. Il est de notre responsabilité que les dispositions que nous votons s'appliquent, sinon elles demeurent des pétitions de principe, et tel est bien le cas ici.

L'article 1er unifie le régime pour l'ensemble des journalistes en transférant des dispositions propres aux journalistes de l'audiovisuel public de la loi de 1986 dans la grande loi fondatrice de notre République et de notre démocratie qu'est la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, en les rendant applicables à l'ensemble des journalistes.

Mais nous devons ensuite tenir compte de mécanismes de régulation de nature différente. Pour l'audiovisuel, du fait de la rareté des fréquences et de la nécessité d'assurer le pluralisme compte tenu de l'audience importante de chaque média, il existe une autorité de régulation, ce qui n'est pas le cas ni pour la presse écrite ni pour internet. Pour ces derniers, les modes de régulation sont la loi, d'une part, et le juge, d'autre part. Vous ne pouvez pas me faire le reproche de ne pas avoir créé une autorité de régulation pour la presse écrite. Je devine les réactions que cela aurait provoquées, à juste raison…

Nous prenons en compte deux modes de régulation qui sont de nature différente. À partir de cet article 1er fondateur, nous faisons en sorte que les dispositions soient, pour l'audiovisuel, appliquées par le CSA, notamment par le biais des conventions qui lient chaque chaîne de télévision et de radio à l'institution en contrepartie de l'attribution gratuite d'une fréquence, faut-il le rappeler.

Parallèlement, pour la presse écrite, il me faut mentionner l'article 11, dont Mme Langlade a souligné l'importance pour la transparence de la presse, et je l'en remercie. Toutefois, cet article n'est pas innovant, il ne fait que poursuivre l'excellent travail entrepris par le président de la commission des Lois d'alors, M. Jean-Luc Warsmann, en 2011. Pour la presse écrite et en ligne, un amendement très opportun du groupe socialiste viendra en cohérence boucler le dispositif en permettant de sanctionner les entreprises qui ne respecteraient pas la transparence parachevée par la proposition de loi ou le droit d'opposition de l'article 1er.

Il ne s'agit ainsi ni d'une loi punitive, ni d'une loi de circonstance mais d'une loi pédagogique et dissuasive – ce qui est souvent la fonction de la loi.

L'article 7 ne crée pas les comités d'éthique. Ceux-ci existent déjà, mais de manière parcellaire et sans toujours toutes les garanties indispensables d'indépendance. La loi, parce qu'elle vise l'intérêt général, se veut ici aussi unificatrice, comme elle a offert une même protection à tous les journalistes, mettant fin aux inégalités entre médias.

Un sujet n'est pas abordé dans la proposition de loi, un sujet complémentaire et essentiel, celui de la protection du secret des sources des journalistes. Nous avons déjà eu ce débat en commission lorsque nous avions, le 7 décembre 2013, sur le rapport de M. Michel Pouzol, très substantiellement renforcé le projet de loi déposé par le Gouvernement. Le texte tel que nous l'avions alors amendé, qui figure dans une proposition de loi déposée par Marie-Georges Buffet, nous sera proposé dans deux amendements. Il est nécessaire que ce débat ait lieu de nouveau. Je souhaite que la proposition de loi que nous examinons intègre in fine les dispositions tant attendues sur la protection du secret des sources. Je signale toutefois deux difficultés : l'existence d'initiatives parallèles sur lequel travaille notamment le Gouvernement et l'absence de ce dernier aujourd'hui pour en débattre avec nous. Elles me conduiront à être prudent ce matin et plus volontaire en séance.

Parler de méfiance et de soupçon à l'égard de cette proposition de loi, qui ne remet absolument pas en cause la responsabilité pénale de chaque directeur de publication ou la ligne éditoriale, me paraît très excessif. Notre responsabilité collective est plutôt de faire en sorte d'atténuer la méfiance et le soupçon des citoyens à l'égard du traitement de l'information, de son honnêteté, et de son indépendance.

Historiquement, les lois sur les médias n'ont jamais été consensuelles. J'ai ainsi le souvenir des débats sur la « loi Fillioud » de 1982 ou sur la loi du 5 mars 2009 sur laquelle j'avais, avec l'opposition d'alors, mené un long combat pendant trois semaines et demie dans l'hémicycle. Je prends acte de cette propension mais cela ne m'empêchera pas d'être le plus ouvert possible dans l'examen des amendements. Car, en réponse à M. Kert, il me semble légitime de citer à mon tour Montesquieu : « C'est une expérience éternelle que tout homme qui a du pouvoir est porté à en abuser ». Face aux pouvoirs aujourd'hui très forts des éditeurs, il est indispensable de légiférer pour protéger l'indépendance de l'information.

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