Intervention de Colonel Patrick Valentini

Réunion du 17 février 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Colonel Patrick Valentini, commandant en second de la gendarmerie outre-mer :

'interviens avec les éléments de langage du commandement de la gendarmerie de Guyane, que je prendrai à l'été.

Nous sommes totalement d'accord sur les enjeux. D'abord, cette mission revêt un caractère dimensionnant pour les acteurs étatiques et pour la gendarmerie en particulier, en termes d'effectifs, de moyens logistiques, de formations, mais aussi de sécurité. Après l'opération à Dorlin, nous avons dû déplorer deux blessés graves, dont l'un restera en chaise roulante pour le restant de ses jours. Ensuite, cette mission est très « identifiante » pour le COMGEND de Guyane et pour la gendarmerie : d'une part, nous menions des actions de lutte contre l'orpaillage illégal avant l'opération HARPIE – c'étaient les opérations Anaconda ; d'autre part, même nos unités qui n'y sont pas dédiées y participent, puisque toute la gendarmerie mobile passe à tour de rôle dans ces missions. Le nom de Papaïchton est connu dans toute la gendarmerie française, y compris en Polynésie française où j'ai été commandant…

La lutte contre l'orpaillage illégal comprend des leviers d'action de plusieurs ordres : préventif, diplomatique, économique et répressif.

L'opération HARPIE, mise en place en 2008 et qui a regroupé un nombre d'acteurs plus large, ne constitue que le volet répressif. Il s'agit d'une mission de police administrative, souvent de police judiciaire, conduite avec des moyens militaires et civils, parfois avec des modes d'action militaires, avec toutes les règles qui prévalent en la matière. Le pilotage stratégique d'HARPIE est assuré par le préfet et le procureur de la République. La planification et la conduite des opérations sont assurées par la gendarmerie, d'une part, et les forces armées, d'autre part, mais le général Lucas, l'actuel COMGEND, et le général Adam ont choisi à l'époque d'accoler les deux états-majors pour permettre le partage total des informations notamment en termes de renseignements. Cette planification et cette conduite des opérations agrègent de nombreux autres partenaires : l'Office national des forêts (ONF), la direction de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL), la police de l'air et des frontières (PAF), la Douane, le Parc amazonien de Guyane (PAG). Plus de 500 personnes travaillent ainsi au quotidien, dans des conditions extrêmement difficiles pour celles qui sont sur le terrain.

Au sein de la gendarmerie, l'opération HARPIE mobilise 120 militaires au quotidien, un centre de conduite des opérations, deux escadrons déplacés de métropole et le renfort possible de trois autres, à la demande. Les unités territoriales sont installées sur les deux fleuves. Depuis 2014, un réseau d'investigation est spécifiquement dédié à la lutte contre l'orpaillage illégal sous son angle judiciaire. La section de recherche, basée à Cayenne, est chargée d'investiguer sur les crimes en forêt – malheureusement assez nombreux – et sur les affaires complexes, qui concernent notamment les réseaux étrangers de ravitaillement ou d'aide au séjour irrégulier. Enfin, le groupe des pelotons d'intervention, unité de cinquante hommes plus particulièrement entraînés, intervient avec les forces armées sur les opérations les plus pointues dans des conditions extrêmement difficiles – comme à Dorlin, où nous avons été accueillis par des fusils d'assaut.

Face à un adversaire résilient et adaptable, nous avons capitalisé nos expériences depuis 2008, parfois malheureuses, ce qui nous a amenés à diversifier nos modes d'action. Lorsque nous pouvons nous assurer la supériorité numérique, c'est-à-dire lorsque nous avons toutes les unités disponibles, nous sommes capables de mener des opérations d'envergure, comme l'opération Yawasisi fin 2015, au cours de laquelle 516 militaires et gendarmes ont été engagées durant neuf semaines dans la forêt amazonienne ; cinquante tonnes de fret ont été transportées par hélicoptère et en pirogue ; au total, 250 heures de potentiel aérien ont été utilisées. Nous avons installé des postes permanents très profondément sur le territoire, y compris dans des sites qui avaient déjà été utilisés. Nous avons des points de contrôle terrestres et fluviaux. Nous menons enfin des patrouilles permanentes : 1 269 pour l'année 2015, ce qui représente 2 744 jours passés en forêt, contre 1 369 l'année précédente. L'actuel commandant de la gendarmerie a décidé, en liaison avec le procureur de la République, de faire porter l'effort sur les investigations judiciaires et sur les sanctions qui pourraient peser sur les principaux responsables des filières. Nous mobilisons toutes les techniques d'investigation utilisées en métropole : écoutes, observations, police technique.

Les résultats sont tangibles. Pour l'année 2015, nous enregistrons un équivalent de saisies-destructions de 16 millions d'euros, contre 11 millions en 2014 ; une baisse du nombre de sites actifs, qui sont passés de 500 en décembre 2013 à 204 en décembre 2015 ; l'atomisation des sites, la dispersion, la dissimulation – autant de gênes pour les orpailleurs illégaux – ; la décorrélation des lieux de production et des lieux de vie, qui entraîne une baisse globale de la qualité de vie des garimpeiros ; une baisse globale de la population des garimpeiros depuis deux ans.

Pour autant, nous ne faisons pas de triomphalisme, car ces résultats sont fragiles. Pour commencer, les sites sont, après leur destruction, très souvent réinvestis par les garimpeiros, qui, je l'ai dit, sont des adversaires adaptables et résilients. Ensuite, parce que nous sommes, sur le territoire français, les « mieux-disants » en termes de droit et d'éthique – c'est la fierté de la gendarmerie française, mais cela nous rend moins « compétitifs » que les autres pays. Enfin, nous rencontrons des difficultés pratiques à éloigner les garimpeiros, ceux en situation irrégulière étant le plus souvent maintenus dans la forêt ou à proximité – il faudrait les transporter par avion, ou par hélicoptère puis par avion, ce qui est d'une très grande complexité, or je doute que vous puissiez nous aider à obtenir des moyens supplémentaires en la matière…

L'avenir ? J'ai bien l'intention de poursuivre l'action du général Lucas, c'est-à-dire le travail en commun grâce à des constats partagés et des échanges de renseignements. À défaut d'être augmentés, nos moyens devront être stabilisés pour faire face à tous les enjeux – car nous n'oublions pas la sécurité du Centre spatial ni la sécurité publique en Guyane. Nous devrons faire preuve d'une grande créativité pour devancer les capacités d'adaptation des garimpeiros – et nous ne sommes pas au bout de nos peines. Une judiciarisation accrue nous semble pertinente, et je suis très satisfait que le Parc amazonien de Guyane travaille comme nous sur un axe commun de progrès – je ne sais si cela devra passer par la voie législative, ou par une adaptation des directives des autorités judiciaires. L'extension du pouvoir de saisies-destructions aux agents de police judiciaire (APJ) pourrait augmenter nos capacités. L'incrimination spécifique pour les ravitailleurs serait plus efficace que la complicité d'orpaillage illégal pour démontrer l'infraction principale. La traçabilité de l'or est également une piste à travailler, tout comme l'éloignement des garimpeiros. Enfin, je n'oublie pas la nécessité d'une coopération internationale efficace, mais aussi – le général Lucas y tient – un développement qui permette l'occupation légale des sites et l'exploitation des ressources de la manière la plus acceptable sur le plan environnemental.

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