Intervention de Nicole Bricq

Séance en hémicycle du 23 janvier 2013 à 15h00
Débat sur les politiques industrielle et commerciale européennes

Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur :

Votre question est à tiroirs puisque vous êtes parti des briquets pour arriver à la responsabilité sociale et environnementale. De même, en partant de Bic et en passant par le granit, je vais m'attacher à parler de la responsabilité sociale et environnementale.

La Commission européenne n'a pas reconduit les droits antidumping dont Bic bénéficiait depuis 1991. Avec Arnaud Montebourg, j'étais intervenue au mois de novembre auprès du commissaire de Gucht. J'avais pu voir le commissaire en aparté à l'occasion du conseil des ministres européens du commerce, le 29 novembre. J'étais intervenue sur le sujet devant mes collègues, du reste, pas pendant le conseil puisque ce n'était pas à l'ordre du jour, mais lors d'une réunion informelle avec l'ensemble des ministres.

Ces interventions n'ont pas été infructueuses. Alors que le commissaire ne voulait rien entendre, la direction de Bic discute désormais avec les membres de la direction du commerce de la Commission européenne.

L'entreprise fait passer des messages dans les journaux et à l'État français. Elle défend sa position. Je crois que le fait que cette discussion ait lieu est en soi positif.

Vous avez utilisé l'expression « fragmentation de la production », je n'emploierai pas ces termes.

Je veux vous rappeler aussi qu'il faut toujours s'inquiéter, comme le fait notamment l'OMC, du lieu où se crée la valeur ajoutée. Dans le cas d'Airbus par exemple, je sais que les commandes de la Chine vont être importantes et porter désormais sur les gros-porteurs. D'abord, Airbus est européen. Il faut aussi savoir que des composants sont fabriqués dans les pays auxquels nous vendons des Airbus parce qu'ils veulent se doter à terme d'une industrie aéronautique. Pour obtenir des pays d'accueil que leurs marchés soient moins fermés, il faut accepter aujourd'hui – je l'ai dit précédemment – qu'ils deviennent, s'ils en ont la capacité, des concurrents alors qu'ils sont des partenaires industriels. C'est le cas de la Chine dans l'aéronautique : elle deviendra notre concurrent parce qu'elle voudra elle-même se doter d'une industrie aéronautique. J'étais en Turquie la semaine dernière, les Turcs nous disent : « on vous achète des Airbus mais à un moment donné on voudra avoir aussi notre propre avion ». Cela n'arrivera pas tout de suite parce qu'avant de fabriquer un très gros porteur, un A380 par exemple, il faut quelques années… L'essentiel est de conserver une avance en matière de création de valeur ajoutée. Si on introduisait le critère de la valeur ajoutée dans notre commerce extérieur, nous n'aurions pas tout à fait les mêmes résultats qu'avec la simple balance des produits.

Vous avez évoqué un sujet extrêmement important, la loyauté des échanges au travers des critères sociaux et environnementaux. C'est essentiel. Je l'ai dit, c'est l'une des exigences de la France que de fixer certains critères pour accepter la signature d'accords au niveau européen. Parmi ces critères, figure la haute exigence environnementale et sociale dans le commerce international. Aujourd'hui, la Banque mondiale est en train de réviser les critères fixés dans son code des marchés publics. Il s'agit d'un enjeu important parce que le taux de retour des seuls marchés publics passés par la Banque mondiale est faible et que ce code sert de modèle à de nombreux pays en voie de développement. C'est la raison pour laquelle j'ai demandé à Pierre Moscovici qui représente la France au board de la Banque mondiale de faire en sorte que les marchés passés par elle intègrent les critères d'exigence environnementale et sociale.

Je veux dire que la responsabilité sociale et environnementale que nous commençons à prendre en compte fortement en Europe, particulièrement en France qui en a été à l'initiative, est un atout en matière de compétitivité plutôt qu'un handicap. C'est aussi un moyen d'obtenir dans les pays tiers, je pense à l'Afrique, que les marchés d'infrastructures passés grâce à l'aide publique au développement ne soient pas systématiquement attribués à ceux qui disposent de la puissance de feu financière – je ne citerai pas d'États – sans qu'ils subissent les contraintes que représente le contrôle des aides d'État pour l'Union européenne. Cela leur permet d'être le moins disant et d'utiliser des critères environnementaux et sociaux qui ne correspondent pas aux standards européens. La prise en compte de la dimension sociale et environnementale dans les financements à l'export doit vraiment retenir notre attention. C'est déjà le cas dans la garantie qu'apporte la COFACE, dans le FASEP, le fonds d'étude et d'aide au secteur privé, c'est-à-dire les aides aux projets fournies par la direction du Trésor à Bercy, et dans le mécanisme de réserve pour les pays émergents. Ce dernier est une aide liée : en contrepartie de l'accès pour un pays à cette réserve, une offre française doit obtenir 70 % du marché passé. Là aussi, nous introduisons petit à petit les critères sociaux et environnementaux. Nous ne sommes donc pas dépourvus.

Je me rendrai bientôt au Danemark. Ce pays est très libéral, donc rarement de notre côté dans les négociations de libre-échange. En revanche, il est très attaché aux critères environnementaux. J'aurai donc un allié qui ne sera pour une fois ni un pays d'Europe du Sud ni un pays d'Europe orientale. L'Angleterre, qui est aussi très libérale mais très allante sur la question environnementale, sera également un allié. Je disais précédemment qu'il faut savoir trouver des alliés en fonction des situations, donc savoir avancer avec eux pour faire basculer les autres : on n'est jamais majoritaire tout seul.

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