Intervention de Nicole Bricq

Séance en hémicycle du 23 janvier 2013 à 15h00
Débat sur les politiques industrielle et commerciale européennes

Nicole Bricq, ministre du commerce extérieur :

Nos politiques commerciales se décident aujourd'hui, pour beaucoup, au niveau des vingt-sept partenaires de l'Union européenne. Le 17 janvier, le commissaire européen pour le commerce extérieur, M. De Gucht, est venu prendre la parole devant la commission des affaires européennes de votre assemblée. J'étais en Turquie mais j'ai lu le compte rendu ainsi que la dépêche qui s'en sont suivis, et je partage certains points de son intervention. Le commerce contribue indéniablement à la croissance et à l'emploi. C'est évidemment vrai en Allemagne, et cela doit être pour nous une priorité. Je rappelle que 1 milliard réalisé à l'export représente 10 000 emplois en France, et qu'en 2012, le commerce extérieur a contribué à la croissance française à hauteur de 0,6 point.

Dans les années à venir, la croissance mondiale sera concentrée à 90 % en dehors de l'Europe. Il faut avoir ce chiffre en tête. J'ai publié à ce sujet une tribune dans un journal économique, la semaine dernière : le protectionnisme est une impasse historique, et il faut trouver notre place dans la mondialisation ; c'est mon travail et celui de tout le Gouvernement.

Dans dix ans, quarante-sept pays, dont j'ai fait la priorité de mon action, concentreront 80 % de la demande mondiale. Parmi eux se trouvent de nouvelles terres de croissance : je pense aux grands émergents, regroupés sous l'acronyme BRICS, aux émergents intermédiaires, les CIVETS, mais aussi à d'autres qui émergent à peine, en Asie du sud-est comme en Afrique, terre de toutes les potentialités. Ma mission, au commerce extérieur, est d'aider les entreprises qui ont l'esprit de conquête à gagner dans la mondialisation, à faire progresser leur place dans un monde ouvert.

Le commissaire De Gucht évoquait devant vous la réciprocité positive, une réciprocité qui amènerait nos partenaires à notre niveau d'ouverture. Dès lors que l'on qualifie un substantif, il faut regarder de quoi il retourne, dans la volonté exprimée par le commissaire européen.

Ce matin, je suis rentrée de Chine, premier exportateur et deuxième puissance mondiale. La Chine est un partenaire stratégique dans deux de nos domaines d'excellence, l'aéronautique et le nucléaire. Ces grands contrats, comme on les appelle, ne sont pas déterminants dans le commerce extérieur de la France, en valeur absolue – ils représentaient en 2011 une trentaine de milliards sur les 430 milliards de l'ensemble du commerce extérieur français –, mais ils assurent beaucoup d'activité et revêtent une grande importance en termes d'image pour la marque France.

Nous devons aussi nous occuper du commerce courant. En Chine, où les besoins agroalimentaires sont phénoménaux, en tout cas exponentiels, j'étais accompagnée d'entreprises de ce secteur, du champ à l'assiette. C'est une de mes familles prioritaires : nous avons de belles espérances dans ce secteur, comme nous en avons, dans tous les grands émergents, autour du concept de ville durable, une autre de mes priorités.

Je veux dire un mot de la réciprocité. Il faut comprendre que l'accès à ces marchés porteurs a sa contrepartie, à savoir l'internationalisation des entreprises françaises, ce qui nécessite des implantations dans les pays d'accueil.

L'Union européenne, ces dernières années, a beaucoup, et peut-être trop rapidement, ouvert ses marchés, sans suffisamment s'appuyer dans la négociation sur la force qu'elle représente. J'ai l'habitude de le dire et je vous le redis, mesdames et messieurs les députés : l'Europe est le premier marché du monde, le deuxième étant les États-Unis, la Chine ne venant qu'ensuite.

Le traité de Rome comportait l'objectif de contribuer, grâce à une politique commerciale commune, à la suppression progressive des restrictions aux échanges mondiaux. Où en est-on au terme de cinquante ans d'abaissement de nos barrières tarifaires ? Le marché européen est plus ouvert que celui des autres pays, dont certains, lorsqu'ils ont adhéré à l'OMC, n'ont pas pris sur l'ouverture les mêmes engagements que l'Union européenne.

Surtout, nous n'avons pas, au niveau européen, suffisamment veillé, dans la négociation des accords de libre-échange, à la suppression en parallèle des barrières non tarifaires. Quand, sur les accords de libre-échange récents ou en cours de négociation, nous avons donné mandat au commissaire De Gucht, nous avons réussi à obtenir que la discussion de la baisse des tarifs douaniers s'accompagne des « prérequis » de la baisse des barrières non tarifaires. J'y reviendrai.

Le système multilatéral, qui a connu son heure de gloire au début des années quatre-vingt-dix, s'étant aujourd'hui enlisé, les accords bilatéraux de libre-échange se sont multipliés dans la dernière période. Ces négociations bilatérales, il fallait bien sûr en être, mais en étant plus vigilant quant au mandat de négociation donné à la Commission européenne. Le traité de Lisbonne, entré en vigueur fin 2010-début 2011, donne des moyens au Parlement européen, lequel se révèle, comme nous l'avons vu avec le Japon, un précieux allié des États, dans leurs demandes.

L'Europe, je l'ai dit, est le premier marché du monde – 500 millions de consommateurs –, le premier importateur, mais aussi le premier exportateur. Si elle se fait respecter dans les négociations, personne ne s'en étonnera donc : c'est la première puissance commerciale du monde. Tous les pays veulent un accord de libre-échange avec elle. Il faut s'appuyer sur cette force ; c'est un levier dans les négociations, et c'est pourquoi j'ai entamé une tournée des capitales européennes pour trouver des alliés de la réciprocité. J'ai envoyé à certains de mes collègues un courrier à signer en commun pour l'adresser à la Commission, au nom de cette réciprocité.

La France n'est pas seule : elle ne peut pas tout, mais c'est un pays qui compte en Europe. Sa voix est entendue, mais nous devons convaincre, car rien n'est pire que l'isolement dans une négociation. Des échéances nous attendent, et il ne faut pas les manquer.

Nous nous battons pour voir adopter rapidement le projet de règlement sur l'accès aux marchés publics dans les pays tiers, qui devront s'ouvrir sous peine des mesures restrictives dont seront victimes leurs entreprises dans nos propres marchés. Un progrès est visible, puisque, le 18 décembre 2012, grâce au travail accompli au sein du Conseil de compétitivité, la commission marché intérieur du Parlement européen a réintroduit, dans le paquet de révisions des directives de 2004, le principe de réciprocité. S'agissant du paquet de modernisation des marchés publics, actuellement en discussion au Parlement, nous sommes en bonne voie. Nous pourrons ainsi obtenir ce que nous n'avons pas encore obtenu dans le domaine du règlement, en raison d'un blocage de l'Allemagne. Le vote en séance plénière est prévu pour avril 2013 : ce sera un pas important. Je remercie à ce propos Mmes les députées Seybah Dagoma et Marie-Louise Fort, qui ont fait voter mardi par la commission des affaires européennes une résolution en faveur de l'adoption rapide du projet de règlement – la commission des affaires européennes du Sénat avait adopté une proposition de résolution avant la fin de l'année dernière.

Par ailleurs, tous les pays ne sont pas identiques du point de vue de la politique commerciale. Notre approche des négociations avec le Japon ou les États-Unis ne peut pas être la même qu'avec le Maroc, l'Algérie, le Kenya ou la Côte d'Ivoire. Entre l'Union européenne et les pays d'Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, des accords de partenariat économique sont en cours de négociation. Le Président de la République a plaidé pour que leur signature, d'abord prévue en 2014, soit repoussée, et que ces accords soient renégociés. Tel est également le voeu du Parlement européen. Ce délai est nécessaire pour consolider la confiance et reprendre la négociation sur d'autres bases. Ces pays en effet sont fragiles – l'intervention au Mali nous le rappelle : ils doivent être soutenus et accompagnés.

S'agissant des marchés développés comparables aux nôtres, nous devons parvenir à trouver des compromis qui soient bénéfiques à l'emploi et à la croissance dans notre pays. Tel est le sens de mon action lors du Conseil des affaires étrangères européen en format Commerce, qui a décidé de l'ouverture des négociations avec le Japon. J'ai obtenu des avancées, avec l'appui des alliés que j'avais su trouver au sein de ce Conseil. Ainsi le mandat de négociation exige que le Japon abaisse aussi ses barrières non tarifaires et le secteur automobile est classé comme secteur sensible.

La négociation relative à cette clause de surveillance sera suivie de très près. La fermeté a porté ses fruits, puisque, après douze années de fermeture, le marché japonais va enfin s'ouvrir à notre viande bovine – la décision devrait être prise officiellement la semaine prochaine. Les marchés publics japonais également sont particulièrement fermés, notamment le marché ferroviaire – j'en veux pour preuve que nous n'avons pas obtenu un seul contrat depuis 1999 et qu'en Europe, seule l'entreprise Siemens en a bénéficié –, mais il devrait s'ouvrir bientôt.

Les exigences que j'ai vis-à-vis du Japon seront les mêmes vis-à-vis des États-Unis, notamment au sujet de l'exception culturelle. À cet égard, la présidence irlandaise a donné son calendrier : elle veut aller vite et souhaite qu'en juin 2013, le mandat de négociation soit donné à la Commission. Les discussions avec le Canada ne sont pas terminées : la Commission a repoussé la date de conclusion au mois de février, alors qu'elle devait avoir lieu en décembre. Son approche est très ferme : je la soutiens, car un accord en l'état nous affaiblirait dans le cadre de nos négociations avec les États-Unis. Or, je prête une attention particulière au secteur agricole et aux services de l'audiovisuel.

Nous avons avec ces pays, comme avec d'autres États, des intérêts à la fois offensifs et défensifs. Cela nous interdit les postures de refus, les déclarations péremptoires ou les positions de principe : il faut trouver des compromis favorables à nos intérêts, tout en comprenant ceux de nos partenaires. Voilà qui exige un patient travail de conviction. Le bon point de compromis n'est pas facile à trouver, mais nous pouvons bâtir des échanges commerciaux plus justes et favoriser le développement de nos entreprises dans le monde. Celles-ci ont des cartes à jouer, elles ont des atouts, mais elles ont également besoin de disposer d'armes égales – notamment en matière de financement à l'exportation – et d'organisations plus performantes. Tels sont mes objectifs et ceux du Gouvernement.

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