Intervention de Marisol Touraine

Réunion du 9 février 2016 à 16h30
Commission des affaires sociales

Marisol Touraine, ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes :

L'épidémie de Zika qui sévit en Amérique du Sud et en Amérique centrale depuis plusieurs mois est majeure. À ce stade, des cas ont été notifiés dans vingt-six pays et territoires de cette région. La France est directement concernée depuis que la Martinique et la Guyane sont entrées en phase épidémique ; quelques cas ont été détectés en Guadeloupe et à Saint-Martin, mais l'épidémie n'y est pas encore déclarée. Le niveau d'alerte est élevé et cette épidémie constitue selon l'Organisation mondiale de la santé (OMS) une « urgence de santé publique de portée internationale ».

Je rappelle que la maladie ne produit aucun symptôme dans 70 % à 80 % des cas, soit une écrasante majorité ; lorsque les symptômes existent, ils sont bénins. Nous sommes préoccupés par certains cas plus rares dans lesquels les effets du virus peuvent entraîner un syndrome de Guillain-Barré, c'est-à-dire des complications neurologiques sévères, ou bien provoquer, semble-t-il, des malformations foetales chez les femmes enceintes. Même si le lien entre le virus Zika et le développement de telles malformations n'est pas scientifiquement établi, il est fortement suspecté.

Ce virus est transmis par l'intermédiaire d'une piqûre de moustique du genre Aedes, mais des éléments nouveaux sont apparus la semaine dernière concernant quelques cas possibles de transmission sexuelle du Zika – j'y reviendrai.

Je me suis récemment entretenue avec les députés ultramarins et la ministre des outre-mer pour faire le point sur les préoccupations des personnes – notamment les femmes enceintes – résidant dans les départements français d'Amérique et m'assurer qu'elles étaient prises en compte.

Quelle est aujourd'hui l'étendue de l'épidémie en France ? Selon un dernier bilan effectué le 6 février dernier, il y avait 3 940 cas évocateurs en Martinique et 430 en Guyane ; dix-sept cas autochtones ont également été confirmés en Guadeloupe et un cas à Saint-Martin. Le prochain bilan sera établi en fin de semaine. À la même date, 23 femmes enceintes avaient été déclarées positives au virus Zika dans les départements français d'Amérique. Elles font désormais l'objet d'un suivi renforcé ; aucune malformation n'a été détectée à ce jour. D'autre part, deux cas de patients atteints du syndrome de Guillain-Barré sont suivis.

En métropole, dix-huit cas de Zika, tous importés, ont été pris en charge. L'un des porteurs, qui revenait en métropole après un séjour dans une zone touchée par le virus, présentait une forme neurologique de l'infection. J'insiste sur le fait que la saison hivernale actuelle n'est pas propice au développement des moustiques ; il n'y a donc pas lieu aujourd'hui de craindre une épidémie en métropole. Il faudra naturellement réévaluer les risques au terme de cette période, et nous prévoyons d'ores et déjà des actions de lutte antivectorielle, y compris sur le territoire métropolitain.

Face à cette épidémie, les pouvoirs publics se sont mobilisés : nous avons pris des mesures d'urgence dès l'apparition des premiers cas. C'est au mois de juillet 2015 que les agences régionales de santé (ARS) des départements français d'Amérique ont activé les systèmes de surveillance. Le 11 décembre dernier, un message a été adressé aux agences régionales de santé pour leur faire part du risque élevé de contamination et demander à chacune d'entre elles d'élaborer un plan d'action. Le 19 décembre 2015, les deux premiers cas autochtones de personnes contaminées par le virus ont été confirmés en Guyane et en Martinique. C'est le même jour que le ministère de la santé a envoyé des messages électroniques à l'ensemble des établissements et des professionnels de santé des territoires concernés pour leur indiquer la conduite à tenir face à l'épidémie en les appelant à une vigilance particulière à l'égard des femmes enceintes. Depuis cette date, des messages sont adressés très régulièrement afin d'actualiser les recommandations de suivi et de prise en charge.

La Martinique et la Guyane ont respectivement franchi le seuil épidémique les 20 et 22 janvier 2016. Dès le 22 janvier, le Haut Conseil de santé publique, que j'avais saisi, précisait les recommandations de suivi des femmes enceintes dans les territoires concernés par le virus. Il recommandait aux femmes enceintes ayant un projet de déplacement dans des territoires touchés de reporter leur voyage. J'ai moi-même formulé officiellement cette recommandation ce même jour et l'ai rappelée le 28 janvier dernier. Là encore, j'insiste sur le fait que les zones concernées ne se limitent évidemment pas aux seuls départements français d'Amérique ; la même recommandation vaut pour tous les pays d'Amérique latine dans lesquels sévit l'épidémie de Zika. D'autres pays ont émis la même recommandation à l'intention de leurs ressortissantes : les États-Unis, le Canada et l'Australie. Le Brésil lui-même recommande aux femmes enceintes de ne pas se rendre sur son territoire, en particulier à l'occasion des Jeux Olympiques.

Aujourd'hui, notre système de santé et d'alerte sanitaire est pleinement mobilisé et poursuit trois objectifs : prévenir, renforcer le suivi des personnes à risque et anticiper. La prévention consiste avant tout à lutter contre les moustiques – ce que l'on appelle la lutte antivectorielle. C'est un domaine dans lequel nous possédons, hélas ! une riche expérience, puisque les départements français d'Amérique ont été touchés par des épidémies de dengue ou de chikungunya, qui sont également des virus transmissibles par les moustiques. Si un vaccin contre la dengue a été mis sur le marché depuis, il n'existe s'agissant du Zika ni vaccin ni traitement – d'où l'importance des mesures de prévention. En lien avec les services préfectoraux et les collectivités territoriales, dont je salue l'action, nous avons renforcé les mesures qui visent à limiter la prolifération des moustiques en détruisant leurs gîtes potentiels de reproduction et en intervenant autour et à l'intérieur du domicile de chaque personne dont la contamination par le Zika est confirmée.

Prévenir l'expansion de l'épidémie passe avant tout par une lutte permanente et déterminée contre les moustiques qui propagent la maladie. C'est une responsabilité tout à la fois collective et individuelle. J'entends donc renforcer davantage la lutte antivectorielle en mobilisant des moyens supplémentaires en lien, notamment, avec les experts de l'établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, l'EPRUS, et en mobilisant des volontaires du service civique. Avec le centre national d'expertise sur les vecteurs, nous avons également entamé une étude visant à améliorer les connaissances relatives à la résistance des moustiques aux traitements utilisés et, ainsi, à en optimiser l'utilisation.

La prévention passe ensuite par l'information de la population, qui a été renforcée dès l'apparition du premier cas de contamination pour que le grand public soit sensibilisé aux mesures de protection individuelle. J'ai par ailleurs saisi le conseil supérieur de l'audiovisuel pour que soient diffusés dans les médias locaux des messages radiophoniques puis télévisés.

Enfin, la prévention passe par les recommandations adressées aux personnes qui habitent dans les zones d'épidémie ou qui souhaitent s'y rendre. Je veux avant tout évoquer avec précision la situation des populations qui vivent dans les zones touchées, qui sont prioritaires. En ce qui concerne le risque de transmission, tout un chacun doit d'abord se protéger des piqûres de moustiques, principalement en portant des vêtements longs et amples et en utilisant des répulsifs ; les femmes enceintes doivent y être particulièrement attentives. J'insiste sur ces recommandations, qui pourront paraître toutes simples à beaucoup d'entre vous, car dans les territoires concernés, qui sont souvent touchés par des maladies épidémiques transmises par les moustiques, on sait qu'il est absolument essentiel de se protéger contre ce vecteur. Pour ceux qui se rendent dans ces territoires sans en avoir nécessairement conscience, nous redoublons ces recommandations de protection vestimentaire et d'utilisation de répulsifs.

Depuis la semaine dernière se pose la question de l'éventuelle transmission sexuelle du virus et des mesures de précaution qui doivent être proposées. C'est pourquoi, suite à l'évocation de tels cas, j'ai immédiatement saisi le Haut Conseil de la santé publique afin qu'il m'indique son avis et ses recommandations pour la France, en particulier concernant l'emploi du préservatif pour les couples exposés. Le Haut Conseil m'a remis son avis aujourd'hui même. Il estime « que la transmission sexuelle du virus Zika est probable même si, à ce jour, les données scientifiques sont trop peu nombreuses pour évaluer son importance dans la transmission » du virus. Aussi émet-il des recommandations de précaution pour la population. Il recommande notamment « aux femmes enceintes vivant dans des zones d'épidémie de Zika d'éviter tout rapport sexuel non protégé pendant la grossesse, aux femmes ayant un projet de grossesse ou en âge de procréer et vivant dans des zones d'épidémie de Zika d'envisager une contraception pendant la durée de l'épidémie dans la zone où elles vivent, aux femmes enceintes et aux femmes ayant un projet de grossesse ou en âge de procréer qui vivent dans une zone indemne de virus Zika d'éviter tout rapport sexuel non protégé avec un homme ayant pu être infecté par le virus, aux femmes enceintes qui envisagent un voyage dans une zone d'épidémie de Zika d'envisager, quel que soit le terme de la grossesse, un report de leur voyage et, à défaut, d'éviter tout rapport sexuel non protégé pendant le voyage, aux femmes ayant un projet de grossesse ou en âge de procréer qui prévoient un voyage dans une zone d'épidémie de Zika d'envisager de reporter leur projet de grossesse à leur retour de voyage ou de reporter leur voyage et, en cas de voyage, d'envisager une contraception pendant la durée du voyage ou, à défaut, d'éviter tout rapport sexuel non protégé pendant le voyage ».

Ces recommandations sont à la fois très précises et très fortes. J'invite toutes les femmes enceintes, ayant un projet de grossesse ou en âge de procréer et résidant dans des zones d'épidémie ou y voyageant, ou ayant un partenaire y ayant séjourné récemment – c'est-à-dire depuis moins de vingt-huit jours – à se rapprocher de leur médecin traitant ou de leur gynécologue afin de se faire conseiller les mesures de protection les plus appropriées à leur situation personnelle.

Par ailleurs, l'agence de la biomédecine vient d'adresser aux établissements de santé des départements concernés la recommandation de différer les dons de gamètes et les assistances médicales à la procréation. Pour tout ce qui relève des donneurs vivants d'organes, l'agence de la biomédecine recommande également de différer de vingt-huit jours – après la fin de l'épidémie ou après le retour en métropole selon les cas – les prélèvements et greffes d'organes et tissus d'une part et de cellules-souches hématopoïétiques – cellules de la moelle osseuse – d'autre part. Néanmoins, si l'état du receveur ne permet pas d'attendre, une évaluation individuelle du bénéfice-risque avec, le cas échéant, des examens supplémentaires, doit être réalisée.

J'ai déjà eu l'occasion d'indiquer que l'établissement français du sang a pris toutes les mesures nécessaires en prévoyant que les transfusions sanguines concernant les femmes enceintes dans les territoires concernés soient, comme partout ailleurs, réalisées grâce à des dons provenant de zones non touchées. Il a également prévu l'ajournement de vingt-huit jours pour les donneurs revenant de zones touchées et la mise en place d'un test de dépistage du Zika pour tous les dons réalisés dans les départements français d'Amérique.

Après la prévention, notre deuxième objectif concerne le renforcement du suivi. Les agences régionales de santé de Martinique et de Guyane ont installé un comité de suivi hebdomadaire avec les professionnels de santé et les services de protection maternelle et infantile concernant les femmes enceintes. Un suivi et une prise en charge spécifiques ont été mis en place pour les femmes enceintes résidant dans les territoires concernés. Toutes les femmes enceintes ont ainsi été invitées à consulter un médecin pour être précisément informées des risques. En cas de suspicion d'infection, un bilan complet est réalisé et la recherche du virus est effectuée. En cas d'infection confirmée, comme cela s'est déjà produit pour vingt-trois femmes, une surveillance échographique mensuelle orientée vers la recherche de malformations foetales possibles est mise en place. Le test de diagnostic biologique qui permet d'attester de l'infection par le virus Zika se déroule actuellement dans le cadre hospitalier ; j'ai engagé en urgence une procédure permettant la prise en charge de ce test en médecine de ville.

Troisième objectif : l'anticipation. Tout est mis en oeuvre pour garantir que notre système de santé puisse faire face à cette épidémie. J'ai donc mobilisé l'EPRUS, que vous recevrez demain ; quatre de ses professionnels de santé sont sur place depuis le 29 janvier dernier afin d'évaluer les besoins complémentaires et les moyens à fournir aux hôpitaux et aux médecins de ces territoires. Sans attendre les résultats définitifs de la mission d'évaluation de l'EPRUS, j'ai décidé de renforcer le matériel de prise en charge en réanimation des syndromes neurologiques graves dans les hôpitaux concernés, d'autant plus que l'épidémie de grippe arrive, d'où un éventuel surcroît d'activité dans les services de réanimation. Six respirateurs supplémentaires sont livrés aujourd'hui même au centre hospitalier universitaire de Martinique, et deux autres seront livrés dans les prochains jours au centre hospitalier de Cayenne. D'autre part, l'EPRUS a d'ores et déjà prémobilisé des renforts en professionnels de santé : une équipe de vingt professionnels venant de métropole et comprenant notamment des médecins réanimateurs et des représentants des professions paramédicales se déploie depuis le 6 février au CHU de Martinique pour apporter un appui et constituer une base avancée de professionnels de santé pouvant, le cas échéant, être rapidement déployés au profit de la Guadeloupe ou de la Guyane. Il va de soi que l'évaluation se poursuit de manière continue ; si des moyens complémentaires doivent être apportés, ils le seront.

Tout est mis en oeuvre, mesdames et messieurs les députés, pour garantir la sécurité de nos compatriotes et en particulier la protection des femmes enceintes. Je suis la situation en temps réel grâce à la direction générale de la santé. Je me rendrai avant la fin du mois dans les départements français d'Amérique pour faire le point sur la mobilisation de notre système de santé et m'assurer du déploiement des mesures prévues pour faire face à l'épidémie.

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