Intervention de Pierre-Marie Abadie

Réunion du 3 février 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Pierre-Marie Abadie, directeur général de l'ANDRA :

Plusieurs questions ont porté sur le thème de la sûreté et de la réversibilité, deux notions que l'on a longtemps opposées en une vision consistant à dire que, plus tôt les déchets seraient enfermés, mieux cela vaudrait pour la sûreté et, à l'inverse, que plus tard ils seraient enfermés, mieux cela vaudrait pour la réversibilité. Plus on a progressé dans la réflexion sur cette question, plus cette vision a semblé simpliste.

Pour ce qui est de la sûreté après fermeture, c'est bien l'argile qui assure la fonction principale de sûreté, la qualité des scellements entre le fond et la surface étant également très importante. La sûreté en exploitation dépend, elle, de nombreux facteurs liés aux conditions industrielles d'exploitation, à la sûreté des travailleurs, ou à la ventilation. De ce point de vue, le fait de fermer plus tard ne s'oppose pas à la sûreté en exploitation. La coactivité telle que nous l'avons actuellement définie, prévoyant de mener simultanément des opérations de construction et de remplissage des alvéoles, ne nous pose pas de problème dès lors que les deux activités sont physiquement séparées ; cela dit, il est certain que si l'on devait assurer dans le même temps une troisième activité, consistant en la fermeture d'alvéoles, on ajouterait de la complexité, ce qui plaide en faveur d'une fermeture plus précoce ou plus tardive de certains quartiers. Il faut trouver un équilibre entre exploitation industrielle, sécurité des travailleurs, sûreté en exploitation, récupérabilité et réversibilité, et c'est ce que nous sommes en train de faire dans le cadre des travaux que nous avons menés en vue de l'élaboration de l'avant-projet sommaire : nous ferons de premières propositions en ce sens à l'Autorité de sûreté.

La sûreté après fermeture soulève la question du lien avec la mémoire. Le principe du stockage profond est celui d'une sécurité passive, c'est-à-dire ne nécessitant plus de surveillance. Il ne serait, en effet, pas réaliste de prétendre assurer la surveillance des déchets durant des milliers d'années. Si l'on admet conventionnellement qu'il doit être possible de garantir les institutions à l'horizon de 500 ans, au-delà, il faut basculer dans la sécurité passive, qui ne repose plus sur la surveillance – ce qui n'exclut pas formellement que celle-ci existe encore.

On peut toujours essayer de repousser cet horizon en ajoutant de nouveaux éléments de sûreté, de nouvelles couches de protection, et en faisant en sorte de renforcer la mémoire. En tout état de cause, ces éléments ne font que se superposer au principe de base qu'est la sûreté passive du stockage.

S'efforcer de déterminer le coût de la réversibilité est un exercice compliqué, car nombre de choix techniques ont été faits pour d'autres raisons que la réversibilité – je pense notamment aux raisons liées à la sûreté en exploitation, telles que la robustesse des galeries ou l'automatisation. On dit parfois que la réversibilité se traduirait par un surcoût de 5 % à 10 %, un chiffre que je ne commenterai pas. En réalité, si le surcoût strictement lié à la réversibilité est assez limité, celui qui résulterait du fait de ne pas prendre ces mesures pourrait être très élevé. De ce point de vue, il existe plusieurs exemples connus, notamment celui du site StocaMine, en Alsace : faute d'avoir pris certaines mesures très simples – par exemple, le fait de préserver un espace suffisant entre la galerie et les déchets –, le retrait des déchets, lorsqu'il se révèle nécessaire, est beaucoup plus coûteux. Un autre exemple du même type est celui de la mine d'Asse, en Allemagne. Il convient donc de relativiser la notion de coût de la réversibilité : celui-ci est profondément lié aux concepts technologiques qui ont été retenus au titre de la sûreté ou de l'exploitabilité.

La répartition du coût de Cigéo est, me semble-t-il, la suivante : 75 % pour EDF, 17 % pour le CEA et 7 % pour AREVA.

En réponse à Mme Marie Le Vern, je dirai qu'une revue régulière est nécessaire, mais que nous comptons également sur un progrès continu. Conformément à une recommandation commune à l'ASN, à la Commission nationale d'évaluation et à l'ANDRA, l'évaluation des coûts doit être régulièrement refaite, d'autant que le parc nucléaire français a encore plusieurs années devant lui – contrairement au parc allemand, qui va fermer très rapidement –, ce qui nous permet de provisionner régulièrement, au fur et à mesure de la production des déchets. Les apprentissages que nous emmagasinons – nous en saurons encore davantage à l'issue de l'avant-projet détaillé – nous permettent d'accroître régulièrement nos possibilités de réajustement.

Enfin, nous devons distinguer l'investissement nécessitant de mobiliser du cash à court terme de celui qui sera réalisé ultérieurement. J'ai évoqué la partie de l'investissement liée à la première tranche, s'élevant à environ 4 milliards d'euros ; cette somme doit être mise en perspective de ce que représente, par exemple, le grand carénage d'EDF, dont le coût serait de l'ordre de 40 à 50 milliards d'euros.

Plusieurs questions ont porté sur l'international. Deux pays se trouvent actuellement au même stade de développement que nous, à savoir qu'ils viennent d'entrer en phase de conception et d'instruction vis-à-vis de leurs autorités de sûreté : il s'agit de la Finlande et de la Suède. Une décision de principe de l'autorité de sûreté finlandaise a avalisé les grands principes du stockage relatifs au site d'Onkalo, sur la presqu'île d'Olkiluoto. Les Suédois sont entrés dans la phase d'instruction de leur dossier. Quant à nous, nous préparons le dépôt de notre dossier à l'horizon 2018. Cela dit, les procédures ne sont pas tout à fait identiques, et les Finlandais ont pris des décisions sur un niveau d'études situé plus en amont que le nôtre. Ces trois pays se réfèrent chacun à des concepts qui leur sont propres, et essentiellement liés à la géologie et à la taille de leurs parcs. Nous sommes dans l'argile, comme la Suisse et la Belgique – qui avancent bien –, tandis que les pays nordiques sont dans le granit, qui présente l'intérêt d'une très grande imperméabilité, mais le défaut d'être une roche qui faille assez facilement – ce qui oblige les pays du Nord à recourir obligatoirement à des colis faisant environ deux mètres de long, et recouverts de sept centimètres de cuivre. Nous bénéficions d'une double chance : d'une part, nous disposons de couches géologiques d'argile, un matériau présentant de nombreux avantages en matière de stockage ; d'autre part, nous avons à traiter les déchets provenant d'environ soixante réacteurs, et non dix fois moins, comme en Suède ou en Finlande.

Nous avons une forte activité internationale, d'abord avec les pays ayant fait les mêmes choix que nous, par exemple les Suisses et les Belges pour ce qui est des aspects scientifiques, ou les Suédois pour les questions d'accompagnement des territoires et de dialogue avec les populations – pour cela, une Suédoise siège d'ores et déjà au sein de l'un de nos comités de conseil – ainsi que pour l'ingénierie et la conduite de projet, dans lesquelles la Suède a une grande expérience.

Pour répondre à M. Denis Baupin, je dirai que nous n'avons pas du tout fait le choix du low cost. En réalité, nous avons compris que certaines questions allaient être résolues dès 2018, à l'issue des études, tandis que d'autres ne trouveraient leur solution que lorsque nous les aborderons concrètement, par exemple lors des premiers creusements. Ainsi, si nous retenons actuellement une vitesse de creusement de trois mètres par jour – résultant de notre expérience en laboratoire et d'autres expériences industrielles –, il n'est pas exclu que cette vitesse atteigne cinq mètres par jour : la différence entre ces deux estimations se traduit immédiatement par une différence de coût de 1,2 milliard d'euros. De même, en matière de dimensionnement, nous pensons construire des alvéoles de stockage de 70 centimètres de diamètre sur 100 mètres de long, mais nous pensons pouvoir passer à 150 mètres de long au bout d'un certain temps, ce qui permettrait également une réduction des coûts.

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