Intervention de Manuel Valls

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 15h00
Protection de la nation — Discussion générale

Manuel Valls, Premier ministre :

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je répondrai le plus brièvement possible, car beaucoup d’arguments avancés dans cette discussion générale seront repris au moment de l’examen de chacun des deux articles de ce texte, et des amendements.

Je tenais à être présent pour écouter chacune des interventions dans cette discussion générale. Je serai avec vous en partie lundi et mardi prochains, en compagnie de M. le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement, que je remercie, et des ministres de l’intérieur et de la justice. C’est mon rôle d’être présent, après avoir présenté cette révision constitutionnelle, après les annonces faites par le Président de la République, et de vous répondre.

Je salue les orateurs qui se sont exprimés, mais je ne pourrai pas leur répondre un par un. Je remercie ceux qui ont apporté leur soutien à ce projet de révision constitutionnelle, avec leurs interrogations, leurs propositions. Je remercie aussi ceux qui ne sont pas d’accord : c’est tout à fait leur droit, car chaque parlementaire est constituant, dans cette assemblée comme, dans quelques semaines, au Sénat.

Je voudrais insister sur un point : le monde a profondément changé. Certains d’entre vous l’ont dit, et nous devons le garder constamment à l’esprit au cours de nos discussions. En disant cela, je ne reviens pas seulement à l’intervention du Président de la République le 16 novembre dernier, trois jours après les attentats.

Je l’ai dit ce matin, et j’insiste : le monde a profondément changé. Ces attentats représentent un véritable basculement, non seulement pour notre pays, mais pour le monde entier. Bien sûr, d’autres pays ont été concernés par des attentats ; nous avons en mémoire les terribles attentats qui ont eu lieu, au milieu des années 2000, à Madrid et à Londres. Je n’oublie pas non plus qu’aujourd’hui, les musulmans sont, dans le monde, les premières victimes de ces attentats : certains d’entre vous l’ont rappelé, notamment M. Aboubacar, député de Mayotte.

Nous savons ce qui se passe en Asie, au Proche et au Moyen-Orient, ou en Afrique de l’Ouest ; nous savons les nombreuses victimes que font les différents terrorismes. Mais nous avons changé profondément ; monsieur Myard, c’est – au fond – ce que vous disiez tout à l’heure.

Daech, l’État islamique, n’est pas une organisation terroriste comme une autre. Elle n’est pas semblable à celles que nous avons connues par le passé. C’est un proto-État qui, au nom d’une idéologie, le califat, contrôle des territoires ; qui détient des moyens puissants, quoiqu’il recule en Syrie et en Irak ; qui cherche à conquérir d’autres territoires, non seulement en Libye, mais aussi en Afghanistan et au Pakistan ; qui cherche à étendre son emprise au moyen de succursales, de franchises, d’alliances.

Son idéologie, c’est de détruire ce que nous sommes. Pour l’accomplir, elle dispose de son organisation, sur les principaux territoires qu’elle contrôle, en Irak et en Syrie. Elle dispose aussi de combattants étrangers : plus d’un millier de Français ou de personnes qui résidaient en France, et plusieurs milliers d’individus en provenance d’autres pays. Toutes ces personnes vont combattre dans les rangs de Daech, de l’État islamique ; nous n’avions pas connu, à l’époque moderne, de tel mouvement.

Cette organisation nous fait la guerre : c’est pourquoi nous pouvons dire que nous sommes en guerre. Elle ne nous fait pas la guerre parce que nous participons à une coalition animée par la volonté de l’éradiquer en Irak et en Syrie ; elle nous fait la guerre pour ce que nous sommes. Malek Boutih avait raison de souligner qu’au fond, il faut envisager une nouvelle vision de la Nation, et en rappeler les principes : la laïcité, l’égalité entre les femmes et les hommes, bref, les valeurs de la République. C’est d’autant plus important que ce sont précisément ces valeurs qui sont attaquées par Daech.

Un deuxième élément me frappe, me préoccupe tout particulièrement : ces milliers de personnes qui sont radicalisées dans notre propre pays. S’il y a bien un sujet qui nous préoccupe, le ministre de l’intérieur et moi-même, au-delà de la menace terroriste qui vient de l’extérieur, c’est celui-là. J’ai évoqué tout à l’heure les rapports réalisés par plusieurs membres de l’Assemblée nationale : le rapport de MM. Ciotti et Mennucci sur la surveillance des filières et des individus djihadistes, le rapport que j’ai commandé à Malek Boutih sur la radicalisation dans notre pays, intitulé « Génération radicale », le rapport de M. Pietrasanta sur les moyens à mettre en oeuvre contre la radicalisation. Grâce à tous ces travaux, nous savons à quoi nous faisons face.

Le terrorisme a frappé au cours du dernier quinquennat, notamment en mars 2012 à Toulouse et à Montauban. Mais c’est seulement à partir de l’été 2012 que l’on voit apparaître les premières filières organisant des départs vers l’Irak et ensuite, sans doute, vers la Syrie. C’est le 19 septembre 2012 qu’a lieu le premier attentat qui ressemble à ce que nous avons connu, malheureusement, depuis. C’est en novembre et en décembre 2012 que nous avons adopté la première loi antiterroriste. Cette loi a été adoptée sur la base du travail engagé par François Fillon, en tant que Premier ministre, après les attentats de Toulouse et de Montauban ; il s’agissait aussi de tirer les leçons du mouvement dont j’ai parlé.

J’ai parlé, d’abord à la tribune du Sénat, puis à l’Assemblée nationale, d’ennemi extérieur et d’ennemi intérieur. Je ne l’ai pas fait en référence au passé, mais à une nouvelle situation. Nous devons appréhender cette menace dans un nouveau cadre de réflexion, de pensée.

À cet égard, la fameuse citation de Clemenceau – « Politique intérieure, je fais la guerre ; politique extérieure, je fais la guerre ; je fais toujours la guerre ! » – ne me paraît pas adaptée à notre temps. Notre situation n’est pas la même qu’entre 1914 et 1918. La guerre dans laquelle nous sommes plongés n’est pas classique, conventionnelle, c’est une nouvelle forme de guerre, qui correspond à l’ère de la mondialisation, et qui se déroule en partie sur internet.

Un certain nombre de cadres de réflexion – de cadres idéologiques, aurions-nous dit il y a quelques années – qui sont utilisés pour contester ce projet de révision constitutionnelle sont donc complètement dépassés. Je le dis en toute franchise : c’est aussi le cas de l’idée que certains se font de la nationalité. Non, je ne suis pas d’accord avec M. Popelin : la déchéance de nationalité n’est pas qu’une idée de droite, elle ne vient pas que de l’opposition. Les choses ont profondément changé, monsieur Popelin, de ce point de vue.

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