Intervention de Charles de La Verpillière

Séance en hémicycle du 5 février 2016 à 15h00
Protection de la nation — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaCharles de La Verpillière :

Mais aujourd’hui, je veux exprimer à cette tribune, monsieur le Premier ministre, mon inquiétude et mes doutes.

Vous présentez à l’Assemblée nationale un projet de révision qui vise à inscrire dans la Constitution l’état d’urgence – c’est l’article 1er – et la déchéance de nationalité pour les terroristes – c’est l’article 2.

C’est vous qui le défendez, monsieur le Premier ministre, mais c’est le Président de la République qui l’a voulu. En vertu de l’article 89 de la Constitution, la révision est la seule procédure parlementaire dont l’initiative et la direction appartiennent au Président de la République. C’est lui qui décide de saisir l’Assemblée nationale et le Sénat. C’est lui qui peut, dans un second temps, décider de les réunir en Congrès pour adopter le texte définitif.

Mes chers collègues, ce projet de révision porte la marque indélébile du Président de la République. Improvisation, hésitations, revirements et, pour finir, incohérences.

Certes, l’état d’urgence ne pose pas trop de problèmes. C’est un régime légal d’exception. Son inscription dans la Constitution est donc nécessaire. Elle se justifiera d’autant plus qu’il s’agira, si les amendements de la commission des lois sont adoptés, de renforcer le contrôle parlementaire et de limiter dans le temps les prorogations.

S’agissant en revanche de la déchéance de nationalité, les intentions du Président de la République et du Gouvernement ont varié et le texte a perdu toute cohérence.

J’admets, cependant, la nécessité d’une inscription de la déchéance dans la Constitution pour les motifs de droit qui ont été excellemment développés par Jacques Myard. Je pense aussi que la déchéance de nationalité peut être un outil juridique utile dans la lutte contre les terroristes et leurs complices, notamment ceux, et ils sont nombreux, qui assurent la logistique des opérations. Je rappelle d’ailleurs que les Républicains ont proposé cette mesure à plusieurs reprises, mais que la majorité gouvernementale s’y est opposée.

Que voulez-vous donc faire exactement, monsieur le Premier ministre ? C’est ici que le bât blesse. À force de compromis avec tous les courants et sous-courants de votre majorité, le texte de l’article 2 a perdu toute cohérence.

Dans le texte initial, la déchéance devait pouvoir s’appliquer aux personnes nées françaises, ayant une double nationalité, et condamnées pour un crime constituant une atteinte grave à la vie de la Nation.

Or, devant la commission des lois, et ce matin dans votre discours, monsieur le Premier ministre, vous avez pris le contre-pied sur chacun de ces trois points fondamentaux. Il n’est plus question des Français de naissance. La condition de binationalité a disparu. Enfin, la déchéance sera encourue non plus seulement en cas de crime, mais aussi en cas de délit. Sur ce point, d’ailleurs, je suis d’accord avec vous.

De surcroît, vous nous avez annoncé que la déchéance ne serait plus décidée par le Gouvernement, mais prononcée par les tribunaux sous forme d’une peine complémentaire.

Enfin, pour ajouter à la confusion, vous nous avez fait part de votre intention de ratifier la convention du 30 août 1961 sur la réduction des cas d’apatridie. Cela signifie-t-il que la déchéance ne s’appliquera qu’aux binationaux ? Sans doute. Ou bien au contraire l’appliquerez-vous aussi aux personnes n’ayant que la nationalité française, en invoquant le troisième paragraphe de l’article 8 de cette convention internationale ?

Bref, monsieur le Premier ministre, en l’espace de deux mois et demi, les intentions exprimées par le Président de la République à Versailles le 16 novembre se sont enlisées dans les sables des accommodements de la recherche d’une synthèse et, pour finir, du renoncement.

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