Intervention de Laurent Piermont

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Laurent Piermont, président-directeur général de CDC Biodiversité :

D'autres pays que le nôtre estiment qu'il faut compenser en fonction de la priorité écologique – je détruis quelque chose mais je compense sur une priorité ailleurs. Je crois profondément que la doctrine française « éviter-réduire-compenser », en recherchant l'équivalence écologique et la compensation locale, est fondamentalement une bonne solution qui correspond bien à l'esprit de notre territoire très varié et de nos populations. Comme l'a dit un intervenant, la biodiversité n'est pas qu'une notion scientifique, c'est aussi une notion territorialisée et socialisée. Elle n'est pas la même selon l'endroit où l'on habite.

L'équivalence écologique pose de nombreuses difficultés parce que l'on ne peut pas reconstituer à l'identique un espace naturel que l'on a détruit. Si l'on veut absolument le conserver à l'identique, il ne faut pas le détruire. C'est pourquoi j'affirme que tout n'est pas compensable. Il appartient à l'État de ne pas autoriser un aménagement qui n'est pas compensable.

Dans la séquence ERC, on se situe dans un cadre où l'État a analysé les choses et a considéré que la compensation était possible, c'est-à-dire que l'on pouvait reconstituer une trajectoire écologique, une fonctionnalité, un élément de surface, d'espèces ou d'espaces, moyennant quoi on limite au mieux les dégâts. En général, mais pas toujours, l'État donne un coefficient de surface parce que la copie est bien souvent moins bonne que l'original. En théorie, le dispositif est globalement bon. Le problème c'est que la destruction continue. Depuis 1976, plus d'un million d'hectares ont été détruits sans aucune action de restauration. Des maîtres d'ouvrage, grands et petits, publics et privés, présentent des dossiers remarquables, avec des mesures compensatoires extrêmement séduisantes qui entraînent l'adhésion des pouvoirs publics sur l'autorisation d'aménager. Or, la réalité, c'est qu'ils ne remplissent pas leurs obligations. Dès lors, les opérateurs de compensation et les réserves d'actifs naturels ne sont évidemment qu'un petit élément du dispositif.

Madame Le Vern, j'ai dit que le maître d'ouvrage avait un rôle important parce que c'est lui qui a les moyens d'études. Pour construire une autoroute longue de 100 kilomètres, de 400 000 à 500 000 journées d'études sont nécessaires. L'État ne peut pas mobiliser autant de journées d'études, et le maître d'ouvrage trouvera toujours le moyen de dire qu'il n'arrive pas à compenser.

Pour l'anecdote, un maître d'ouvrage qui devait traverser une vallée alluviale a été soumis à une mesure compensatoire. Le directeur de chantier nous a expliqué qu'il ne pouvait pas allonger son viaduc pour des raisons de portance du sol. Nous lui avons calculé le prix de la mesure compensatoire du remblai et, tout à coup, il a pu allonger le viaduc. Je ne dis pas que ce maître d'ouvrage ne s'intéressait pas la nature, mais il avait un budget contraint. Je pense profondément que pouvoir transférer à un opérateur de confiance les mesures compensatoires tout en conservant la responsabilité au maître d'ouvrage améliore considérablement la sécurité des opérations. Je vous assure que lorsqu'elle prend un engagement, comme elle le fait depuis 1816, la CDC a à coeur de le tenir, quel qu'en soit le coût.

La réserve d'actifs naturels va aussi, selon moi, dans le bon sens. Tout à l'heure, j'ai cité l'exemple d'un maître d'ouvrage qui a préféré renoncer à deux éoliennes de son parc qui auraient donné lieu à des mesures compensatoires trop chères.

Les terres qui sont artificialisées chaque année représentent environ 20 000 à 30 000 hectares. L'équivalent du département, c'est ce qui est supprimé à l'agriculture tous les dix ans, mais cela ne signifie pas nécessairement que les terres sont artificialisées.

C'est l'État qui doit fixer l'équivalence et déterminer ce que CDC Biodiversité doit faire.

Les maîtres d'ouvrage publics sont bien évidemment soumis aux mêmes obligations que les maîtres d'ouvrage privés.

Faut-il exiger une mesure compensatoire fondée sur la valeur en augmentant le coût pour que ce soit dissuasif ? On va vers une forme de financiarisation, de travail sur l'écologie fondée sur la valeur de la nature. C'est le coût de la réparation qui doit fonder le prix. Pour notre part, nous facturons tout simplement le prix de la réparation.

Vous demandez si les opérations de compensation doivent faire l'objet d'obligations de moyens ou de résultats. Nous prenons des obligations de résultats mais pas de résultats écologiques. Je ne peux pas m'engager à ce qu'une certaine population de vison d'Europe soit sur telle parcelle en 2043. Par contre, je peux m'engager à préserver des conditions favorables aux visons d'Europe jusqu'en 2070.

J'affirme que CDC a pris l'engagement de maintenir la vocation écologique de l'espace naturel Crau au-delà de trente ans. La limite de trente ans est la limite de notre engagement à investir. Ensuite, on maintient la vocation écologique. Donc, non, il n'y aura pas de HLM sur cet espace. Autorisez-moi à penser qu'un engagement de la Caisse des dépôts et d'une de ses filiales n'est pas sans importance quand on voit le nombre de réserves naturelles, de parcs naturels ou d'espaces classés qui finalement sont déclassés. Mais cela reste un détail. S'il fallait renforcer par des garanties financières ou des engagements plus forts que ceux que nous avons pris, pourquoi pas ?

Comme M. Harold Levrel, je considère que la compensation est une prestation de services vendue au maître d'ouvrage. Il n'y a pas de marché secondaire, il n'y a aucun droit transféré. Il n'y a donc pas l'ombre de l'apparence d'une financiarisation.

Pour ce qui est du droit à détruire, c'est une considération inexacte en droit, économiquement et en fait : en droit, parce que c'est l'administration qui donne le droit à détruire au vu d'un dossier ; économiquement, parce que la compensation est d'abord une pression économique exercée sur le maître d'ouvrage pour éviter et réduire davantage, même si ce n'est pas suffisant ; en fait, parce que quarante ans d'expérience professionnelle m'ont appris que les maîtres d'ouvrage veulent faire des ouvrages à un endroit précis dans un budget le plus contraint possible. Ils ne viennent pas dans une zone parce qu'il y a une compensation, mais parce qu'ils veulent y réaliser un ouvrage. Le fait que nous leur proposions une compensation a d'abord pour eux un coût. C'est un budget auquel ils vont essayer d'échapper.

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