Intervention de Arnaud Béchet

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Arnaud Béchet, chargé de recherche au Centre de recherche pour la conservation des zones humides, membre de l'association NACICCA Crau :

Je vais vous présenter une analyse critique de la première expérimentation de réserve d'actifs naturels menée en France par CDC Biodiversité dans la plaine de la Crau, sur le site de Cossure. Nombre des critiques que je vais énoncer valent pour la compensation en général, telle qu'elle est intégrée, depuis 1976, dans le triptyque « éviter-réduire-compenser », lorsqu'il y a demande de dérogation à l'interdiction de destruction d'espèces protégées.

En 2008, CDC Biodiversité a acheté 357 hectares d'un verger à proximité des Coussouls de Crau, un habitat unique en France avec des espèces que l'on ne retrouve que dans cette région. Elle a engagé un programme de restauration de ce verger en arrachant les arbres et le système d'irrigation. À partir de 2011, elle a vendu les premières unités d'actifs naturels à 43 000 euros l'unité, ce prix incluant l'achat du terrain, la restauration et la gestion sur trente ans des unités.

Certaines transactions compensaient la destruction de steppes abritant notamment des outardes canepetières. Un rapport de 2005 de la Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur (DREAL PACA) recommandait un multiplicateur de cinq pour un dans le cas d'espèces à fort enjeu patrimonial, comme c'est le cas de l'outarde canepetière : un hectare d'habitat de l'outarde canepetière détruit doit donc être compensé par cinq hectares pour tenir compte de l'incertitude liée à la restauration et la capacité de restaurer l'habitat favorable à ces espèces, et éviter une perte nette de biodiversité. Près de 500 hectares ont été détruits, mais seulement 155 unités ont été achetées en compensation. Sachant que s'artificialise aujourd'hui en France l'équivalent d'un département tous les sept ans, le bilan est assez inquiétant.

Dans le cadre de cette transaction, les multiplicateurs qui ont été appliqués sont faibles et sans cohérence entre les différents projets. Ils n'ont pas tenu compte de l'incertitude des opérations de restauration, celle-ci n'étant pas terminée puisque la restauration écologique demande du temps, ni des effets cumulés des différents aménagements les uns à côté des autres, qui se font sentir sur une plus large échelle que la seule emprise des projets.

On a observé que ces transactions résultaient en général d'un marchandage entre les aménageurs et les bureaux d'études, reflétant des rapports de force inégaux entre opérateurs de sociétés nationales ou internationales et les fonctionnaires régionaux.

L'expérimentation a été menée sans cadre directeur sur la notion d'équivalence écologique. Dans ce projet, on est très loin de l'exemplarité.

L'objectif de « pas de perte nette » n'a pas non plus été démontré. La CDC fait la promotion du gain écologique par rapport au verger qui existait auparavant, mais n'a pas pu, après huit ans d'expérimentation, démontrer d'équivalence au regard de la diversité spécifique, de la taille des populations, de la fonctionnalité écologique et des services écosystémiques avec ce qui a été irrémédiablement perdu du fait de la construction d'entrepôts logistiques à Saint-Martin-de-Crau. Ont notamment été détruits plusieurs centaines d'espèces et plusieurs milliers d'individus de ces espèces ; 30 % de ces espèces ne sont pas présentes sur Cossure, et certaines ne le seront sans doute jamais en raison de leur contrainte écologique.

Les actifs vendus par CDC Biodiversité sont aussi temporaires et sans protection. En fait, le foncier des actifs reste la propriété de CDC Biodiversité. La réserve d'actifs naturels est une terminologie trompeuse puisque ce ne sont pas des réserves. Les actifs vendus ne bénéficient d'aucune mesure réglementaire de protection. Pour le moment, les déclarations de bonnes intentions de CDC Biodiversité n'offrent aucune garantie sur le long terme.

On peut parler ici de dérives du système qui a été mis en place autour de la compensation. La plupart du temps, l'étape « éviter » est court-circuitée par la raison impérative d'intérêt public majeur, qui se résume à des promesses d'emplois ou des menaces de délocalisation. Les dossiers rejetés dans un premier temps par le Conseil national de la protection de la nature (CNPN) y reviennent avec des mesures compensatoires plus élevées : on achète, en quelque sorte, le droit à détruire. En offrant des compensations clé en main, l'institutionnalisation des réserves d'actifs naturels faciliterait ce mouvement. L'ouverture de ce type de mécanisme à de nouveaux opérateurs risque de générer une mise en concurrence avec des compensations ou des modes de restauration au moindre coût.

Le cadre est insuffisamment contraignant pour que la compensation soit véritablement additionnelle ou dissuasive pour un projet trop dommageable. Au vu de ce qui s'est passé autour de l'opération de Cossure, les multiplicateurs de compensation devraient être beaucoup plus cohérents et évalués à la hausse. Les zones restaurées devraient être sécurisées à long terme par la mise en place de protections plus strictes, notamment le transfert du foncier ou des servitudes environnementales.

En résumé, il faut reconnaître à l'expérimentation de Cossure une qualité : celle d'être une opération de restauration écologique à grande échelle, ce qui est vraiment la seule pratique susceptible d'aboutir à la reconquête de la biodiversité et à des gains de biodiversité dans des opérations de compensation écologique. Cependant, l'expérimentation n'offre pas d'avantage comparatif par rapport à d'autres modes de compensation, notamment des points de vue de l'équivalence écologique, de la lisibilité et de la transparence des transactions qui seront effectuées entre les maîtres d'ouvrage et les opérateurs de compensation. Ce mécanisme a montré qu'il n'offrait aucune protection sur le long terme. Il constitue même une occasion manquée de conserver dans le domaine public la gestion de la biodiversité ainsi que sa reconquête.

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