Intervention de Harold Levrel

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Harold Levrel, économiste :

Je vais faire état d'éléments issus d'un ouvrage collectif récent sur les mesures compensatoires, et qui seront repris dans une note publiée par la Fondation pour l'écologie politique qui sera mise en ligne prochainement.

Le travail que nous effectuons depuis sept ou huit ans sur la base de comparaisons internationales nous permet de dresser un bilan des mesures compensatoires plus que mitigé dans le contexte français. Selon nous, la France manque de règles, non pas en termes de ligne directrice ou de doctrine, mais en termes de contrôles et de sanctions. Ces règles devraient concerner les procédures et les organisations collectives qui peuvent discuter de la question de la compensation à des échelles territoriales précises, de l'équivalence écologique réelle, de justice environnementale, de la pérennisation, du suivi écologique, de la définition de ce qui est compensable et ce qui ne l'est pas, comme certains écosystèmes qui sont le fruit d'une évolution de plusieurs centaines années. Il est regrettable que des petits changements de pratiques à la marge soient considérés comme des actions de restauration quand on attend d'une compensation écologique une réelle désartificialisation. Le périmètre même de la compensation est dépourvu de règles. Aujourd'hui, il peut simplement s'agir de la préservation d'écosystèmes.

L'existence d'autant d'incertitudes engendre des coûts importants pour la société, les acteurs de la protection et la biodiversité elle-même. Les investisseurs dans des projets ayant des impacts écologiques sont également exposés, car ils n'ont actuellement aucune possibilité d'anticiper réellement les risques, importants, de recours au titre des mesures compensatoires. Les incertitudes affectent également ceux qui souhaitent investir dans la restauration écologique, qu'il s'agisse des opérateurs ou des réserves d'actifs naturels. Comment investir, en effet, quand on n'a pas de visibilité sur les mesures compensatoires qu'exigera l'administration, donc sur les débouchés potentiels des actifs créés à travers la restauration écologique ? Dans un tel contexte d'incertitude, l'arbitraire prend toute sa place et des conflits naissent régulièrement.

Nous avons travaillé pendant plusieurs années sur les banques de compensation américaines. Je m'appuierai sur ce travail pour montrer que les réserves d'actifs naturels telles qu'on les envisage aujourd'hui en France nécessitent d'être un peu plus précisées.

Je suis de ceux qui considèrent que les réserves d'actifs naturels ont des vertus. Elles peuvent faciliter la planification écologique à l'échelle du territoire et créer une certaine efficacité quand elles sont bien menées, notamment pour des habitats qui ne sont pas très spécifiques. Je suis plus circonspect en ce qui concerne les espèces.

La France a annoncé la mise en place des réserves d'actifs naturels sans prévoir de cadre, en espérant que les acteurs privés et publics proposent des solutions toutes faites. Or on ne peut pas attendre d'un nouveau système qu'il soit efficacement régulé et coordonné sans l'accompagner des innovations institutionnelles et organisationnelles adaptées.

Les États-Unis ont, dans le domaine des banques de compensation, une histoire qui permet de prendre du recul. Une première génération a été mise en place dans les années 1990, qui a fonctionné sans cadre très solide. L'efficacité écologique observée en a été tout aussi faible que les bénéfices économiques. Au début des années 2000, à la suite d'un rapport de la Cour des comptes, les règles applicables ont été fortement modifiées. Les réserves d'actifs naturels sont ainsi contraintes par une aire de service, c'est-à-dire que les crédits de compensation qui leur sont alloués au titre des gains écologiques qu'elles auront démontrés ne peuvent être vendus que sur des petites zones stabilisées et définies à partir de critères écologiques, tel le bassin-versant pour les zones humides. La réserve d'actifs naturels pose aussi sur la parcelle une servitude environnementale à perpétuité qui implique un renoncement définitif, de la part du propriétaire, de tout usage ayant des impacts négatifs sur l'environnement. Cette obligation s'appliquera aux propriétaires suivants. Cela remet donc dans le domaine public des droits privés. C'est un point très important pour créer de la confiance dans ce système.

Les crédits ou les débits sont obtenus par les aménageurs qui ont généré des impacts sur la base d'outils standardisés à l'échelle administrative fédérale. Ainsi, l'équivalence entre crédits générés et impacts générés est connue. Généralement, elle repose sur des bases multicritères qui donnent des informations sur les fonctions écologiques, les espèces présentes ou la dynamique hydrologique quand il s'agit de zones humides.

Des obligations financières ont été introduites, notamment la création d'un fonds de garantie dont les intérêts sont destinés à la gestion à long terme du site, la libération de fonds assurantiels en cas de non-atteinte des objectifs écologiques, et un processus de rétrocession à des organisations non gouvernementales (ONG) environnementales une fois que la banque de compensation a vendu tous ses crédits. L'ONG bénéficiera aussi du fonds de gestion de long terme, les intérêts pouvant lui permettre de travailler sur le site. Une organisation ad hoc et indépendante valide la création de la banque et les différentes étapes de sa vie.

Actuellement, aucun des outils techniques et organisationnels que je viens de mentionner n'est clairement présent dans le projet de loi ni même simplement évoqué. C'est pourtant grâce à ces règles que les mesures compensatoires font l'objet d'investissements conséquents aux États-Unis aujourd'hui. Dans le New Jersey, qui présente une densité de population, une pollution industrielle et une pression foncière bien supérieures à celles de la France, les mesures compensatoires concernent l'acquisition de terrains, en majorité des friches industrielles, frappés de servitudes environnementales. On observe donc réellement une désartificialisation associée aux mesures compensatoires, dont le coût est élevé - 300 000 dollars par hectare en moyenne pour les zones humides dans le New Jersey. Coût important pour ceux qui génèrent des impacts, la compensation constitue également un revenu important pour les acteurs de la restauration qui contribuent à la création d'un nouveau secteur économique employant aujourd'hui 125 000 personnes aux États-Unis. Il y a là des éléments qui peuvent être valorisés pour l'application des mesures compensatoires en France.

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