Intervention de Agnès Buzyn

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des affaires sociales

Agnès Buzyn :

Le Président de la République a souhaité me proposer à la présidence du collège de la HAS, pour succéder à Jean-Luc Harousseau qui avait lui-même succédé à Laurent Degos. Suivant la volonté du législateur, la HAS est à la fois un organisme scientifique et une autorité publique indépendante. Je suis donc très honorée de m'exprimer devant vous pour présenter les raisons de ma candidature.

Ma candidature à la tête de la HAS s'inscrit dans un parcours médical, scientifique et administratif. Je suis médecin, praticien hospitalier et professeur des universités en hématologie clinique. Pendant près de vingt ans j'ai été responsable de l'unité de soins intensifs d'hématologie et de greffe de moelle à l'hôpital Necker-Enfants malades. En parallèle, j'ai toujours mené une activité de recherche fondamentale – j'ai notamment dirigé une équipe de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) pendant plusieurs années. Mon domaine de recherche, l'immunologie des tumeurs, est une spécialité médicale passionnante, mais à haut risque : très chargée humainement et très complexe scientifiquement, elle a orienté ma carrière professionnelle.

D'une part, j'ai eu très tôt la conviction qu'un médecin travaillant dans une telle spécialité, avec des patients très jeunes et un taux de mortalité important, devait s'impliquer dans des activités de recherche, clinique et fondamentale, afin de participer au progrès médical. Cette vision de la médecine, basée sur une formation pratique et scientifique, m'a donné une certaine rigueur. J'ai siégé dans de nombreux conseils scientifiques, notamment au sein de l'Établissement français des greffes (EFG), à l'Agence de la biomédecine (ABM) et à l'Établissement français du sang (EFS), et j'ai présidé le conseil scientifique d'une société savante.

D'autre part, ma pratique clinique dans cette unité de soins intensifs m'a très vite confrontée à la question de la gestion des risques en santé, notamment aux pertes de chances des patients en raison de problèmes organisationnels ou structurels. Ce constat m'a incitée à m'engager dans différents projets collectifs, à l'hôpital et en dehors : j'ai participé à des commissions à l'Agence nationale d'accréditation et d'évaluation en santé (ANAES) pour l'hôpital Necker et j'ai surtout porté le dossier visant à l'accréditation internationale des services de greffe de moelle, JACIE – Joint Accreditation Committee ISCT & EBMT.

Enfin, peut être en raison du coût des prises en charge des patients dans mon service d'hématologie – qui nous interpellent tous, cancérologues, médecins et citoyens –, je me suis également intéressée à la question de la pertinence des actes, des bonnes pratiques, et plus globalement de l'efficience en santé. Nous disposons d'un système de santé exceptionnel, unique au monde, qui permet à tous d'accéder à des soins de qualité, pour l'instant quel que soit le prix. À mon sens, ce système doit être préservé, et c'est pour ne pas le mettre en danger que les médecins doivent s'emparer de la question de l'efficience de leurs pratiques. J'ai très tôt participé à des expertises dans ce domaine au sein d'agences sanitaires, notamment dans les commissions de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS), ou à l'ANAES.

Sur le plan administratif, en 2008, j'ai eu la chance de me voir proposer la présidence du conseil d'administration de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Cette présidence m'a formée aux enjeux de la gestion d'un établissement public – il s'agissait d'un établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Elle m'a surtout apporté la culture de la gestion du risque, l'IRSN étant une agence scientifique d'expertise, dédiée à la gestion du risque nucléaire civil, industriel et médical. En 2011, au départ de Dominique Maraninchi, j'ai été appelée à présider l'INCa, dont j'étais déjà vice-présidente au sein du conseil d'administration. L'INCa est un groupement d'intérêt public (GIP) essentiellement financé par l'État, dédié à la coordination de la lutte contre les cancers. Vous connaissez le troisième plan cancer et ses objectifs tournés vers l'amélioration des parcours de santé, centrés sur le patient ; durant ces cinq années, j'ai beaucoup travaillé à la mise en oeuvre de ce plan que beaucoup de pays nous envient. La France a réussi à s'inscrire dans la dynamique de trois plans cancer successifs, qui ont notablement amélioré la prise en charge des malades.

Alors que je finis en mai mon mandat à l'INCa, on me propose aujourd'hui de rejoindre la HAS, autorité de régulation indépendante chargée d'améliorer la qualité et l'efficience de notre système de santé. Mon parcours professionnel médical, ancré dans la pratique de terrain, me semble cohérent avec les missions de la HAS, une institution qui s'appuie sur une vision scientifique de la médecine, mais qui oeuvre en faveur de la sécurité et de la qualité des soins, au bénéfice des usagers et des malades – un combat qui a toujours été au centre de mon engagement.

Jean-Luc Harousseau n'a pas souhaité, pour des raisons personnelles, aller au terme de son mandat prévu pour le 30 janvier 2017. Si je me présente aujourd'hui devant vous, c'est que je souhaite aller au-delà des douze prochains mois – c'est-à-dire de la seule fin du mandat de Jean-Luc Harousseau – pour m'inscrire dans les six ans qui suivront. Si vous m'accordez aujourd'hui votre confiance, je reviendrai devant vous en janvier 2017 pour solliciter un mandat plein de six ans. Je précise d'emblée que je reprends à mon compte la pratique de mes deux prédécesseurs de ne faire qu'un seul mandat plein, au-delà de cette période transitoire de l'année 2016, comme cela est préconisé dans le rapport du sénateur Gélard pour les autorités publiques indépendantes. Pour devenir obligatoire et pérenne, ce principe de mandat unique pourrait être inscrit explicitement dans l'ordonnance prévue à l'article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé.

La gouvernance de la HAS souffre d'un défaut de parité. Son collège de huit membres n'a jamais compté plus d'une femme ; actuellement il n'en comprend aucune. Ce problème touche aussi les commissions réglementées au sein de la HAS. Comme vous le savez, les dispositions issues de la loi du 4 août 2014 inscrivent bien la parité au sein du collège, mais elles ne seront effectives qu'à l'horizon 2020, compte tenu des aspects techniques des renouvellements à venir, prévus en 2017 et 2020. Le personnel de la HAS avait fait part de son émotion lors de la nomination de ce collège totalement masculin ; cette revendication est évidemment légitime et désormais légale. C'est pourquoi je propose que les autorités de nomination puissent exercer leurs prérogatives de façon effectivement et complètement paritaire dès le prochain renouvellement du collège. L'enjeu de la parité doit être abordé dans l'une des ordonnances de l'article 166 de la loi de modernisation de notre système de santé.

Un mot sur le positionnement de la HAS eu égard à la recomposition du paysage des agences – sujet qui, je le sais, vous tient à coeur. La feuille de route de la HAS en matière de mutualisation et d'efficience comporte à ce jour deux sujets immédiats. Le premier concerne l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico‐sociaux (ANESM) – l'instance de certification et de recommandation du champ social et médico-social –, qui rejoindra les nouveaux locaux de la HAS en février 2016. Les deux institutions partagent déjà l'agence comptable et demain elles partageront des fonctions de support. L'intégration de l'ANESM au sein de la HAS peut aboutir à condition d'adapter des dispositions législatives du code de la sécurité sociale et du code de l'action sociale et des familles. Je ne manquerai pas de revenir vers vous si nous nous engageons dans cette voie.

Suivant les propositions du rapport de Mme Sandrine Hurel, la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes a également annoncé le rattachement à la HAS du comité technique de la vaccination (CTV), actuellement rattaché au Haut Conseil de la santé publique. Il faudra traduire ce rattachement sur le plan législatif et réglementaire, et nous mettre en ordre de marche pour que l'organisation pratique survienne dès les prochains mois. Le CTV porte une belle mission, cohérente avec celles de la HAS, la vaccination étant au centre d'enjeux sociétaux importants dont la gestion exige à la fois une vision scientifique et une totale transparence des avis.

Si vous acceptez ma candidature, ma nomination interviendra presque simultanément avec la promulgation de la loi de modernisation de notre système de santé. La loi reconnaît à la HAS une place prééminente et lui confie près de quinze missions supplémentaires, d'inégale importance. Depuis sa création, outre les lois sanitaires, toutes les lois de financement de la sécurité sociale ont chaque année ajouté une voire plusieurs missions à l'institution. Comme mon prédécesseur l'a dit cet automne devant la mission du sénateur Jacques Mézard, au regard de ce périmètre sans cesse élargi des missions, il est nécessaire de définir un budget socle. Si la reprise du fonds de roulement n'est naturellement pas remise en cause, et si la HAS doit participer aux efforts de la Nation, l'agence a besoin de visibilité sur son budget pour assurer la totalité des missions qui lui sont confiées.

Les grandes missions et les enjeux auxquels la HAS sera confrontée durant les six prochaines années peuvent être classés en trois grandes catégories : l'évaluation des produits et des technologies de santé ; les recommandations de bonnes pratiques cliniques ou de santé publique, qui recouvrent tout le champ de l'aide à la décision ; la certification des établissements de santé ou des logiciels d'aide à la prescription.

La HAS évalue ainsi chaque année près de 800 médicaments, près de 150 dispositifs médicaux, et près de 50 actes ; cette évaluation se situe en amont de l'inscription de ces actes ou produits sur les listes qui ouvrent accès au remboursement. Trois évolutions probables peuvent affecter cette activité : d'abord, l'évolution très rapide des progrès médicaux. Nos processus d'évaluation actuels sont fortement questionnés par l'irruption d'innovations thérapeutiques majeures ; les traitements contre l'hépatite C ou contre le cancer, ou encore les nouvelles molécules posent la question de la soutenabilité financière de notre système de santé et de l'accès à ces traitements des malades qui en ont besoin. Ce sont des questions d'importance pour l'avenir, même si elles ne sont pas encore cruciales aujourd'hui. Il est nécessaire de s'engager dans une réforme des outils et des procédures d'évaluation, prônée par le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et par celui de Mme Dominique Polton. Ces propositions doivent trouver leur déclinaison opérationnelle dans une des ordonnances de l'article 166, permettant de modifier nos critères de jugement et d'évaluation.

Conformément aux préconisations du rapport Polton, il est également impératif de favoriser le rapprochement entre l'évaluation économique et l'évaluation médicale et scientifique. La mission économique, centrée sur l'évaluation économique des stratégies thérapeutiques, a été confiée à la HAS en 2008 ; en 2012, on lui a demandé de rendre des avis d'efficience. Le National Institute for Health and Care Excellence (NICE) anglais portait, pour sa part, cette mission dès sa création en 1999. Les premières évaluations économiques de la HAS ont été publiées il y a une vingtaine de mois ; elles apportent un vrai plus pour les pouvoirs publics et il est impératif de poursuivre et de déployer cette dynamique, pour appuyer les prises de décisions publiques dans les années qui viennent.

Enfin il convient également de rapprocher l'évaluation des produits et l'élaboration des recommandations de stratégies thérapeutiques. La HAS s'est déjà organisée avec la création de la commission des stratégies et des prises en charge, et a produit une série de recommandations comme celle en faveur de la prise en charge de l'hépatite C et des populations cibles concernées. Le futur article 143 de la loi de modernisation de notre système de santé, relatif au bon usage, va prolonger et amplifier cette action. C'est une mission à part entière, qu'il convient de considérer de façon intégrée.

Il existe également des enjeux dans le champ de la certification et de l'accréditation. La certification touche 2 700 établissements en France ; près de 700 par an sont visités. On peut noter plusieurs évolutions positives : on va vers une plus grande médicalisation du processus de certification, à travers notamment la méthode du patient traceur, placé au centre de l'évaluation. Cela contribue à élever le niveau d'exigence. La certification cherche à inscrire les établissements dans une dynamique d'amélioration continue, dans la durée, grâce à l'outil du compte qualité qui se fonde notamment sur les indicateurs dont la conception et le déploiement sont désormais une compétence de la HAS. Ces indicateurs sont capitaux et nous devons travailler à les simplifier et à en améliorer la pertinence, en lien avec les professionnels de santé et la direction générale de l'offre de soins (DGOS).

Parallèlement à l'activité de certification d'établissements, les démarches d'accréditation des professionnels de santé vont se poursuivre. Des expérimentations en matière d'accréditation en équipe sont actuellement en cours. Fondées sur le volontariat, elles favorisent la démarche de qualité dans les établissements.

Des défis majeurs restent cependant à relever dans ce champ de l'accréditation et de la certification : il faut simplifier les indicateurs et les démarches, et en améliorer la cohérence. Il faudra notamment alléger les démarches d'accréditation que doivent effectuer les groupements hospitaliers de territoires (GHT), créés par la loi, mais sans altérer la visibilité des sites, conformément à la demande des usagers. La HAS devra également se rapprocher des agences régionales de santé (ARS) afin d'établir un lien plus affirmé entre nos décisions de certification et l'octroi des autorisations délivrées par les ARS. Enfin il faudra renforcer les liens entre les financements des établissements de santé et leurs résultats. Cette évolution, attendue par le grand public, passe par le processus d'incitation financière à l'amélioration de la qualité (IFAQ) et doit avoir un effet positif sur la qualité des soins dans nos établissements.

Après dix ans d'existence, la HAS est une agence pleinement reconnue pour ses compétences, y compris au niveau international. Je remercie très sincèrement Laurent Degos et Jean-Luc Harousseau de l'avoir structurée et d'avoir permis son déploiement dans l'ensemble de ses champs d'intervention. La loi de modernisation de notre système de santé lui a ajouté de nouvelles missions, qui entrent dans son champ de compétence et confirment son positionnement incontournable dans le paysage sanitaire. Cependant, du fait de son périmètre d'action large et du nombre important de publics cibles – grand public, usagers, malades, professionnels et établissements de santé, décideurs publics… –, la lisibilité de l'agence constitue un véritable enjeu. Il faut également interroger la faisabilité de ses différentes missions car la HAS les exerce dans un contexte contraint et tendu du fait des progrès médicaux toujours plus rapides. La HAS doit poursuivre ses efforts en faveur d'une plus grande transversalité de ses actions ; ce processus a été initié par mes prédécesseurs et figure dans le projet d'établissement. Les évolutions du champ sanitaire et social, la place prépondérante des parcours et les innovations médicales ou organisationnelles à venir impliquent le rapprochement d'avis entre les différentes commissions de la HAS et des convergences de méthode dans tous ses champs de compétence. Ces mutations concernent de nombreux processus de la HAS et obligent à repenser certaines procédures internes. Ainsi, en matière de fonctionnement, il faudra faciliter l'articulation des différentes commissions entre elles, mais aussi entre les commissions et le collège qui doit notamment jouer un rôle stratégique et garantir la transversalité et la cohérence des avis.

Si votre commission confirme ma nomination, je veillerai à répondre à ces enjeux stratégiques en menant une réflexion sur l'organisation et les procédures internes afin de gagner encore en transversalité, en lisibilité de l'action et en réactivité. J'associerai naturellement à cette réflexion la gouvernance, les parties prenantes, les professionnels de santé et l'environnement institutionnel de la HAS. L'une des ordonnances de l'article 166 pourrait refonder le cadre réglementaire à l'aune de ces nouveaux enjeux, qui ne sont pas les mêmes que ceux qui ont présidé à la création de la HAS en 2004. Ces évolutions devront être clarifiées avant que je ne me représente devant vous en janvier 2017, si l'occasion m'en est donnée. Si vous m'accordez votre confiance, je dirigerai cette instance avec détermination et engagement, comme je l'ai toujours fait dans les agences que j'ai eu la chance de présider antérieurement.

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