Intervention de Antoine Herth

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAntoine Herth, rapporteur :

Au nom du groupe Les Républicains, j'ai l'honneur de vous présenter la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l'agriculture et de la filière agroalimentaire, transmise par M. le président du Sénat.

Ce sont nos collègues du Sénat qui, dans un esprit de consensus, face au contexte de grande incertitude sur l'évolution des marchés agricoles à la fin de l'été et durant l'automne, ont pris l'initiative de ce texte, qui préfigurait les mesures d'urgence annoncées par le Gouvernement, dont certaines ont été votées dans le cadre de la loi de finances rectificative pour 2015 et du projet de loi de finances pour 2016. Hélas, malgré les mesures exceptionnelles annoncées, les difficultés du monde agricole perdurent : les marchés des produits animaux et végétaux ne connaissent aucun redressement, bien au contraire, les difficultés financières s'aggravent, les perspectives d'amélioration s'éloignent de jour en jour.

Le hasard du calendrier nous amène donc à examiner ce texte dans un contexte où les tensions redoublent et où le désespoir des agricultrices et des agriculteurs n'a jamais été aussi profond. Nous avons le devoir d'entendre ce cri de détresse. Nous devons comprendre et analyser les causes de cet effondrement durable des marchés agricoles. Et nous avons, j'en suis sûr, la volonté d'y répondre ensemble en votant à notre tour des mesures efficaces et courageuses.

La crise touche quasiment tous les secteurs de production, et d'abord le secteur de l'élevage. En effet, la production porcine française s'enfonce depuis plusieurs mois dans une crise structurelle, caractérisée par une érosion de la production nationale, alors que l'Allemagne et l'Espagne ne cessent d'accroître leurs volumes. Avec la fermeture du marché russe, la concurrence est déportée à l'intérieur de l'Union européenne, entraînant les prix dans une spirale déflationniste, si bien que l'on est à présent loin du prix de 1,40 euro par kilo souhaité par la profession et annoncé par le ministre de l'agriculture. À l'heure où nous parlons, 10 % des élevages sont au bord de la cessation d'activité. Il y a donc urgence.

Après s'être restructuré à la suite de la suppression des restitutions européennes à l'exportation et des importantes difficultés des entreprises Doux et Tilly-Sabco, le secteur de l'aviculture avait retrouvé quelques couleurs. Il vit à présent sous la menace de l'influenza aviaire, qui frappe les producteurs de foie gras de canard du sud-ouest.

La situation est bien plus préoccupante pour la viande bovine. Après une année de sécheresse et son cortège de pénuries fourragères, puis avec la résurgence de la fièvre catarrhale ovine qui a provoqué des surcoûts et des difficultés de commercialisation des animaux, les éleveurs bovins constatent à présent l'effondrement des cours. Le kilo de viande est ainsi passé de 3,70 euros cet automne, prix déjà jugé insuffisant, à 3,50 euros aujourd'hui.

La production laitière n'est pas épargnée. La sortie des quotas s'est traduite par une fuite en avant de la production européenne, excepté en France, alors qu'au même moment la Chine diminuait ses importations en raison du retournement de la conjoncture économique. Le marché européen est donc totalement engorgé. Là encore, les prix sont en forte baisse et ne permettent pas de couvrir les coûts de production.

Je ne voudrais pas limiter mon propos aux seules productions animales, même si leur situation est de loin la plus périlleuse, les productions végétales ne faisant malheureusement guère exception.

Le marché des céréales reste déprimé, alors que l'année agricole a été particulièrement difficile en raison de la sécheresse due à la canicule qui a frappé plusieurs régions françaises. Ce marché reste étroitement lié à l'élevage, puisque 45 % du blé produit en France est valorisé dans l'alimentation animale. Or, là aussi, les trésoreries sont à sec et le préfinancement de la campagne 2016 s'annonce difficile.

Le secteur sucrier est à l'aube d'une évolution comparable à celle du lait, puisqu'il sortira en 2017 du régime des quotas de production. Mais cette production semble avoir mieux anticipé cette échéance et a déjà une longue habitude des outils de contractualisation. Il devra cependant vivre avec une plus grande volatilité des prix.

Le secteur des fruits et légumes n'a jamais bénéficié d'une protection forte au travers de la politique agricole commune (PAC), et la concurrence frontale y est la règle. Le constat est malheureusement sans appel : alors que les surfaces progressent en Allemagne et dans le sud de l'Europe, elles stagnent, voire régressent en France.

Enfin, un mot sur la viticulture. Ce secteur phare, qui contribue pour une bonne part à l'excédent agroalimentaire français, vit à l'heure de la disparition des droits de plantation. Mais, grâce à une mobilisation politique forte, il pourra préserver un cadre réglementaire évitant une explosion des volumes produits au détriment de la qualité et des niveaux de prix.

En analysant les causes qui provoquent autant de difficultés à la ferme France, nous pouvons identifier plusieurs points.

Premièrement, la conjoncture est dégradée en raison du retournement de l'économie mondiale, qui réduit les échanges commerciaux et qui touche même le pouvoir d'achat des Français et donc notre marché domestique. Mais la conjoncture est mauvaise pour tout le monde et il faut d'abord y voir un révélateur des faiblesses structurelles françaises. La principale nouveauté est que cette conjoncture affecte totalement notre économie, depuis la disparition des protections aux frontières de l'Union européenne, et qu'elle amplifie les effets de manque d'anticipation ou des erreurs de stratégie commerciale.

Deuxièmement, il y a, non plus un marché, mais des marchés, chaque débouché nécessitant une parfaite adaptation du produit en gamme de qualité et en gamme de prix. Pour le dire de façon abrupte, les agriculteurs, les filières agricoles doivent désormais vendre avant de produire. L'identification du produit devient donc un élément clé de cette nouvelle approche du consommateur.

Troisièmement, l'organisation des filières est une des faiblesses de notre chaîne alimentaire. Malgré les lois et les règlements successifs, l'organisation des producteurs, la contractualisation avec l'aval, en particulier les industries de transformation, la négociation des prix, avec un déséquilibre manifeste entre partenaires, tous ces sujets restent en chantier.

Quatrièmement, la capacité d'adaptation et de modernisation des filières agroalimentaires est malheureusement entravée par un excès de réglementation et des surcoûts franco-français. Je pense à certaines transpositions de directives européennes ou encore au coût de la main-d'oeuvre peu qualifiée. Ainsi, il en coûtera 10 euros de plus pour faire abattre un porc charcutier en France, autant de revenus en moins pour l'éleveur.

Cinquièmement, dans un contexte de prix fluctuants et de marges tendues, le modèle actuel de financement, de couverture des risques, de transmission des exploitations agricoles, trouve ses limites. Il est largement temps d'innover sur ces sujets.

La proposition de loi que je vous présente apporte des réponses sur l'ensemble de ces points. Elle s'inscrit dans la continuité de celle du groupe Écologiste, présentée récemment par Mme Brigitte Allain, texte adopté à l'unanimité et qui se concentrait sur un des aspects du problème, à savoir l'accroissement des débouchés de proximité. La présente proposition de loi en élargit simplement le propos en apportant des réponses sur les moyens à mobiliser pour atteindre cet objectif.

Être compétitif, ce n'est pas seulement être capable de vendre moins cher que son voisin. C'est être en mesure de se positionner sur un marché en qualité et en prix. C'est prendre les bonnes décisions au bon moment pour maîtriser ses coûts de production. C'est faire des choix d'investissement et les mettre en oeuvre efficacement et rapidement. C'est être performant dans une démarche collective, car la production agricole sera toujours moins concentrée que son aval. C'est être en adéquation avec les attentes de ses clients, auxquels revient le dernier mot.

Le texte que je vous propose concerne l'ensemble des modes de production et de commercialisation présents en France. Même si chaque production a ses démarches propres, la préoccupation de la compétitivité est importante pour tous les produits bio et les appellations d'origine protégée (AOP), autant que pour les produits standard ou ceux destinés à l'export. Comme le résume souvent le ministre de l'agriculture, en matière de compétitivité, il y a le prix et le hors prix. Nous savons à présent que les prix ne se décrètent pas. Il nous faut donc nous pencher sur ce qui permettra de restaurer la compétitivité hors prix de notre agriculture.

Cette proposition de loi a pour ambition de répondre aux attentes de nos agriculteurs et de nos éleveurs, mais également, au regard de la crise que nous vivons, de compléter les mesures d'urgence engagées par le Gouvernement et qui ont encore fait l'objet d'annonces complémentaires hier.

À présent, permettez-moi de vous présenter synthétiquement les treize articles que nous allons examiner. Ils concernent trois thématiques : l'amélioration des relations du producteur au consommateur, la sécurisation des investissements et des risques financiers et l'allégement des charges et de la réglementation.

L'article 1er propose une contractualisation prenant en compte les coûts de production des agriculteurs.

L'article 1 bis vise à trouver une solution au problème de cession des contrats laitiers. En effet, comme me l'a indiqué le rapporteur du Sénat, on trouve des offres choquantes sur des sites internet de vente de gré à gré.

L'article 2 instaure une conférence agricole annuelle pour réunir tous les acteurs de chaque filière, afin de leur permettre de partager leur analyse sur l'évolution des marchés.

L'article 2 bis oblige les établissements ne respectant pas les obligations de transmission des données relatives à leurs prix et à leurs marges à indiquer qu'ils refusent de transmettre ces données.

L'article 2 ter prévoit que la liste de ces établissements, dans le cadre des travaux de l'observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, est rendue publique.

L'article 3 propose une solution originale au refus actuel de l'Union européenne de généraliser l'identification de l'origine des matières premières agricoles. Il donne ainsi le droit au consommateur d'obtenir ces informations sur simple demande, obligeant les producteurs, transformateurs et distributeurs à fournir ces informations.

L'article 4 permet aux agriculteurs de mieux gérer les risques financiers liés à la souscription d'un emprunt. Ce dispositif devrait faciliter la négociation sur les « années blanches ».

L'article 5 a pour objectif de drainer l'épargne populaire vers l'agriculture, avec la création d'un livret vert.

L'article 5 bis prévoit la remise par le Gouvernement d'un rapport au Parlement sur l'ouverture de prêts à longue durée, dits « prêts de carrière », pour les jeunes agriculteurs.

L'article 6 assouplit la déduction pour investissements et propose diverses modifications de dispositifs d'accompagnement fiscal. Je vous proposerai des amendements visant à rectifier cet article, du fait de l'application de dispositions prévues par la loi de finances rectificative pour 2015.

L'article 6 bis subordonne le bénéfice du soutien public aux jeunes agriculteurs à la souscription par ceux-ci d'une assurance aléa climatique.

L'article 6 ter instaure un crédit d'impôt pour la mise en place d'assurances couvrant l'approvisionnement et la livraison des produits de l'exploitation.

L'article 7 crée un étage supplémentaire au « suramortissement Macron », en l'étendant aux bâtiments d'élevage et en allongeant la période de bénéfices au 31 décembre 2016.

L'article 8 aligne les seuils du régime des installations classées pour la protection de l'environnement sur ceux permis par la directive européenne de 2011.

L'article 8 bis A limite l'excès de réglementation en prévoyant que, pour toute nouvelle norme créée dans le domaine agricole, une norme antérieure est abrogée.

L'article 8 bis prévoit l'expérimentation jusqu'en 2019 de l'alignement des exigences nationales sur les exigences européennes en matière d'étude d'impact.

L'article 9 réinstaure l'exonération dégressive des charges patronales pour les salariés permanents.

L'article 9 bis répartit le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) entre l'ensemble des associés d'une société de personnes.

L'article 10 étale sur six ans, au lieu de cinq, l'allégement des cotisations sociales dont bénéficient les jeunes agriculteurs.

L'article 11 crée une possibilité exceptionnelle de revenir au régime d'imposition sur la base des résultats de l'année d'imposition pour les agriculteurs ayant opté pour la moyenne triennale.

L'article 11 bis exonère totalement les exploitations agricoles de taxe foncière sur les soixante premiers hectares.

L'article 12 oblige le Gouvernement à présenter devant le Conseil supérieur d'orientation et de coordination de l'économie agricole et alimentaire un plan de simplification pour l'agriculture.

L'article 13, enfin, porte sur le gage.

Un sujet n'est pas abordé dans ce texte : le modèle de politique agricole commune que nous souhaitons construire - ou plutôt reconstruire - avec nos partenaires européens. Au-delà de la compétition interne et de l'exacerbation des distorsions de concurrence, que je déplore, il nous faudra porter un projet qui redonne toute sa place à la solidarité européenne au travers d'outils de régulation rénovés. Retrouver une ambition commune est la condition indispensable pour que l'Europe puisse s'imposer dans le concert mondial qui tend à la marginaliser.

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