Intervention de Sergio Coronado

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSergio Coronado :

Le Président de la République a annoncé une réforme de la Constitution devant le Parlement réuni en Congrès, afin de constitutionnaliser l'état d'urgence et d'introduire la déchéance de nationalité pour des citoyens nés français et disposant d'une autre nationalité. Le débat, qui nous occupe depuis lors, a souvent pris une tournure polémique et vos déclarations, monsieur le Premier ministre, n'ont pas toujours permis d'apaiser les tensions avivées par les propositions présidentielles.

La déchéance de nationalité pour des citoyens nés Français disposant d'une autre nationalité a cristallisé le débat public, tant il est vrai que cette proposition « n'est pas de gauche », pour reprendre l'appréciation du Premier secrétaire du parti socialiste, M. Jean-Christophe Cambadélis, et qu'elle trouble les parlementaires de la majorité. Il s'agit en effet d'une proposition de l'extrême-droite, recyclée par une partie de la droite, qui figurait en bonne place dans le discours de Grenoble prononcé par M. Nicolas Sarkozy, alors Président de la République. Elle avait, en 2010, suscité un tollé dans les rangs de la gauche et même parmi certains membres de la majorité précédente. M. François Hollande l'avait qualifiée d'attentatoire à la tradition républicaine et de non protectrice des citoyens. Je fais mienne ces oppositions : cette mesure améliorera-t-elle en quoi que ce soit la protection et la sécurité de nos concitoyens ?

Le premier article de ce projet de loi propose de constitutionnaliser l'état d'urgence. L'instauration d'un dispositif d'exception privant les citoyens de garanties parmi les plus essentielles que procure un État de droit et que protège la Constitution est un problème. L'est également le fait de procéder à une réforme sous état d'exception, car des libertés fondamentales se trouvent aujourd'hui mises entre parenthèses. La Constitution n'a pas pour fonction première de conférer des compétences ou de donner une assise juridique au pouvoir politique, mais d'encadrer et de fixer des bornes à ceux qui l'exercent.

Vous avez évoqué dans votre intervention le renvoi à un projet de loi ordinaire des conditions d'application des prérogatives qui permettent de mener à bien des perquisitions ou des contrôles d'identité, mais à aucun moment vous n'avez proposé de mesures assurant un meilleur encadrement de ces pratiques. Monsieur Patrick Mennucci, vous souhaitez la mise en place d'un contrôle constitutionnel de l'état d'urgence, mais le groupe Socialiste, républicain et citoyen aurait pu le prévoir pour le texte voté et pour celui qui nous sera soumis dans le but de reconduire l'état d'urgence.

Il n'est nul besoin de modifier la Constitution, car la loi suffit ; le Conseil constitutionnel a reconnu dès 1985 que le silence de la Constitution n'interdisait pas au législateur ordinaire d'instaurer l'état d'urgence. Il a estimé qu'en inscrivant l'état de siège, régi jusque-là par la seule loi du 9 août 1849, à l'article 36 de la Constitution, le constituant de 1958 n'avait pas souhaité pour autant exclure la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence susceptible de concilier les exigences de la liberté et la sauvegarde de l'ordre public. La Constitution de 1958 n'a ni abrogé la loi du 3 avril 1955, ni ne l'a constitutionnalisée. On a d'ailleurs modifié cette loi à plusieurs reprises pour l'adapter aux circonstances. En décembre 2005, le juge des référés du Conseil d'État a affirmé que la consécration du régime de l'état de siège sur le plan constitutionnel ne faisait pas obstacle à ce que le législateur institue un régime de pouvoirs exceptionnels distinct du précédent car ne reposant pas, comme c'est le cas pour l'état de siège, sur un accroissement des pouvoirs de l'autorité militaire. Dans une récente décision, portant sur la loi du 20 novembre 2015, le Conseil constitutionnel n'exclut pas la possibilité pour le législateur de prévoir un régime d'état d'urgence et considère qu'il lui appartient, dans ce cadre, d'assurer la conciliation entre la prévention des atteintes à l'ordre public et le respect des droits et libertés reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Il peut apparaître étonnant que le principe de hiérarchie des normes n'ait pas imposé à la Constitution d'organiser ce régime d'exception, mais le constituant de 1958 ne l'a pas souhaité, et la jurisprudence se révèle constante en la matière.

Monsieur le Premier ministre, vous avez fait naître une question fondamentale dans le débat public, celle de l'adéquation de l'état d'urgence, un état d'exception limité aux frontières du territoire national et dans le temps, à l'existence d'une menace globale, diffuse et pérenne. Est-ce le meilleur état pour affronter la menace terroriste ? Vous n'avez pas apporté de réponse à cette interrogation.

Tout a été dit sur la déchéance de nationalité qui ne sert à rien dans la lutte contre le terrorisme – vous l'avez vous-même reconnu. En effet, en quoi l'article 2 qui consacrait la déchéance de nationalité pour des citoyens nés Français et disposant d'une autre nationalité protégeait-elle l'unité de la Nation, puisque tout le monde reconnaît son caractère exclusivement symbolique et sans portée opérationnelle ?

Quel État acceptera d'accueillir un citoyen français déchu de sa nationalité au prétexte que nous souhaitons nous en débarrasser et qu'il possède la nationalité du pays en question ? Les États étrangers n'acceptent de recevoir des naturalisés déchus de la nationalité française qu'à la condition qu'ils soient poursuivis sur place. Même déchus de leur nationalité, ces individus ne sont d'ailleurs pas expulsables, bien souvent en raison des traités qui nous obligent ; en effet, la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales (CEDH) les protège en cas de peine de mort, de traitements inhumains et dégradants.

Cette idée charrie un imaginaire pour le moins inquiétant, car ces personnes, nées en France, élevées en France, éduquées en France, ayant manqué des projets et étant souvent passées par nos prisons et possédant la nationalité française ne seraient pas de vrais Français, mais des corps étrangers au corps national. Je ne partage pas cette conception.

Le texte constitutionnel comme le projet de loi ordinaire ne font plus référence à la binationalité. Monsieur le Premier ministre, sous couvert de compromis, vous durcissez le texte, notamment en élargissant la liste des sanctions ; je me réjouis que le président du groupe Union des démocrates et indépendants, M. Jean-Christophe Lagarde, ait souhaité limiter l'article 2 du projet de loi constitutionnelle aux crimes en excluant les délits.

Certes, le texte que vous avez présenté ne fait plus référence aux binationaux, mais les peines de déchéance cibleront uniquement cette population, puisque les conventions internationales protègent les autres citoyens.

Notre opposition à cette disposition, fondamentale, est connue. Le groupe Écologiste porte des points de vue divers, mais la majorité d'entre nous s'opposent à cette mesure. Une formule, empruntée à votre successeur place Beauvau, M. Bernard Cazeneuve, résume parfaitement ma pensée : « Lorsque M. Éric Ciotti a déposé un amendement sur la déchéance de nationalité, j'ai refusé car la lutte contre le terrorisme ne se fait pas contre la Constitution ».

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