Intervention de Patrick Mennucci

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPatrick Mennucci :

J'ai la difficile tâche de prendre la parole au nom du groupe Socialiste, républicain et citoyen, en lieu et place de notre collègue Dominique Raimbourg.

Ce projet de loi constitutionnelle concrétise l'engagement pris par le Président de la République devant le Congrès, le 16 novembre dernier. Le groupe Socialiste, républicain et citoyen considère que ce projet traduit la volonté du Gouvernement de mobiliser tous les ressorts de l'État pour faire face au terrorisme qui a ensanglanté notre pays.

Les deux articles du projet de loi ont, pour des raisons très différentes, suscité des débats nourris et des interrogations légitimes.

S'agissant de l'article 1er, qui inscrit le régime de l'état d'urgence dans la Constitution, sa portée juridique tient principalement à son deuxième alinéa, qui précise que « la loi fixe les mesures de police administrative que les autorités civiles peuvent prendre pour prévenir ce péril ou faire face à ces événements ».

Après avoir entendu le Premier ministre, ainsi que notre rapporteur, je souligne que notre travail devra s'articuler autour de quelques questions essentielles.

Faut-il réfléchir à une articulation des différents états de crise qui figurent dans notre Constitution ? Le Gouvernement ne propose pas à ce jour de rapprocher l'état d'urgence de l'état de siège, comme l'avaient proposé le comité Vedel en 1993 et le comité Balladur en 2007, ni de remplacer l'état de siège par l'état d'urgence, même si ceux-ci entretiennent une certaine proximité.

L'article 36, consacré à l'état de siège, et le futur article 36-1, sur l'état d'urgence, figurent tous deux au titre V, qui a trait aux rapports entre le Parlement et le Gouvernement. On pourrait imaginer qu'un titre spécifique soit consacré aux « états de crise », formule qui figure depuis 2008 dans la Constitution : il regrouperait ces deux dispositifs, ainsi peut-être que les dispositions prévues à l'article 16, relatives aux pleins pouvoirs.

Sur la procédure de déclenchement de l'état d'urgence, je souscris entièrement aux propos du rapporteur : il serait préférable que l'état d'urgence soit « décrété » ; ce terme suppose en effet une délibération en conseil des ministres, ce qui me semble un élément supplémentaire de protection des libertés.

Nous devons également nous interroger sur la durée de l'état d'urgence lors de son déclenchement initial, ainsi que sur celle d'éventuelles prorogations. Comme la loi du 3 avril 1955 récemment modifiée, le projet de loi constitutionnelle ne prévoit aucune limite globale à l'application dans le temps de l'état d'urgence, et ne fixe pas non plus un nombre maximal de prorogations. Il reviendra au Parlement, seul compétent pour proroger l'état d'urgence, de déterminer au cas par cas l'opportunité et la durée de ces prorogations.

Constitutionnaliser le régime de l'état d'urgence, c'est encadrer cet état d'exception : à ce titre, c'est un progrès pour les libertés publiques, et notre groupe ne peut que s'en féliciter. La banalisation de cette mesure est ainsi écartée.

Afin de contrôler si les conditions nécessitant l'état d'urgence sont toujours réunies, il pourra être envisagé de prévoir, comme l'a dit notre rapporteur, un avis du Conseil constitutionnel, sur le modèle des dispositions de l'article 16. Il appartiendra ensuite aux parlementaires de se saisir de cet avis pour accorder, ou pas, une prorogation supplémentaire.

Nous proposerons donc d'intégrer le Conseil constitutionnel au processus de contrôle de l'état d'urgence.

Notre rapporteur a aussi souligné que le Gouvernement pouvait choisir de recourir à une loi organique plutôt qu'à une loi ordinaire, ce qui garantirait un contrôle préalable par le Conseil constitutionnel de l'ensemble des dispositions, et nous éviterait ainsi d'attendre les décisions successives qui seraient prises au gré des questions prioritaires de constitutionnalité. Une loi organique doit, en outre, être approuvée en lecture définitive par une majorité absolue des députés.

Le nouvel article 36-1 ne reprend pas les dispositions récemment votées qui organisent un contrôle parlementaire de l'état d'urgence. Ce n'est pas indispensable, puisque l'article 24 de la Constitution confère au Parlement le pouvoir de contrôler l'action du Gouvernement, en temps ordinaire comme en temps de crise. Le travail effectué ces derniers mois par notre Commission l'a d'ailleurs prouvé.

S'agissant de l'article 2, qui porte sur la déchéance de nationalité, les différents arguments sont connus. Merci, monsieur le Premier ministre, d'avoir indiqué que vous avez entendu le Parlement, et la société tout entière, sur ce sujet. Ce débat ne fut pas exempt de confusion ; il fut parfois lourd de malentendus ; beaucoup ont éprouvé de l'inquiétude mais aussi, je l'avoue, une certaine lassitude.

Quand la politique s'emballe, il peut arriver que le droit soit emporté par la tourmente. C'est pourtant le droit qui pourra nous aider à mettre de l'ordre dans nos débats, à calmer les passions et à aller au fond des choses. C'est ce que nous proposent le Premier ministre et le rapporteur.

Comment sanctionner ceux qui se vautrent dans l'ignominie et foulent aux pieds les valeurs humanistes consubstantielles à notre pacte démocratique ? Par quels moyens la République peut-elle se défendre contre ses agresseurs ?

Nous ne cherchons pas ici les symboles : nous voulons combattre le terrorisme. À cet égard, nous avons beaucoup entendu que la déchéance de la nationalité n'avait rien à voir avec ce combat. Ce n'est pas, je crois, la réalité.

L'acte terroriste n'est rien d'autre qu'un acte criminel, et il est identifié comme tel par notre code pénal. Il est essentiel de nier toute singularité politique à la violence terroriste ; nous devons refuser toute spécificité à sa répression. Le terrorisme n'est qu'un crime.

Le projet initial du Gouvernement évoquait le terrorisme ; le Conseil d'État a ensuite suggéré la notion de « crime constituant une atteinte grave à la vie de la nation ». Pour éviter toute ambiguïté, le groupe Socialiste, républicain et citoyen propose d'en revenir à la notion plus intelligible d'« atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation », déjà présente dans notre code pénal. C'est une catégorie bien connue de notre droit positif, que la décision constitutionnelle du 23 juillet 2015 a encore complétée en indiquant explicitement qu'elle englobait le terrorisme.

Toute mesure de déchéance de nationalité constituera une peine complémentaire, liée à une condamnation pour acte de terrorisme.

Une loi sera nécessaire pour compléter la nouvelle rédaction de l'article 34 de la Constitution. Là encore, nous souhaitons nous placer dans le champ du code pénal plutôt que du code de la nationalité. Nous suggérons de prévoir la possibilité d'aggraver le châtiment pénal par l'élargissement de la privation, pour les condamnés, de droits et garanties qui sont propres aux citoyens français.

Le groupe Socialiste, républicain et citoyen propose également que la période de sûreté prévue à l'article 132–23 du code pénal soit portée à trente ans pour les crimes terroristes, interdisant ainsi toute réduction ou aménagement de peine. On pourrait aussi imaginer d'étendre aux actes de terrorisme les dispositions relatives à la peine de perpétuité incompressible. Cette perpétuité dite réelle est au sommet de notre hiérarchie répressive ; elle s'applique aujourd'hui uniquement aux personnes reconnues coupables soit de meurtre avec viol, tortures ou acte de barbarie d'un mineur de quinze ans, soit de meurtre en bande organisée ou assassinat d'une personne dépositaire de l'autorité publique à l'occasion ou en raison de ses fonctions.

L'individualisation de la peine est un principe fondamental de notre droit. La loi d'application de la Constitution permettra au juge de l'appliquer.

Nous avons beaucoup entendu que la déchéance de nationalité serait inefficace pour lutter contre le terrorisme, et donc inutile. Monsieur le Premier ministre, j'entends au contraire que vous proposez la déchéance de nationalité pour les terroristes dans le cadre des lois françaises et des conventions internationales. Cette proposition nous convient, et nous semble propre à dissiper la confusion. La déchéance est un principe, et non un symbole : dès lors, peu importe le mode d'acquisition de la nationalité. L'article 1er de la Constitution dispose de plus que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine » ; il ne saurait donc être question d'inscrire, quelques articles plus loin, une distinction entre les citoyens en fonction de la façon dont ils ont acquis la nationalité française ou de faire référence à une éventuelle double nationalité.

La nouvelle rédaction que vous proposez nous paraît donc conforme à l'esprit de la convention internationale de 1954 et de la loi du 16 mars 1998. Elle permettra au juge d'apprécier, en tenant compte de l'ensemble de ces textes, l'opportunité de prononcer cette peine supplémentaire que pourrait être la déchéance de nationalité.

Voilà, au moment où nous parlons, et même s'il est difficile de réagir dans l'instant, la position du groupe Socialiste, républicain et citoyen.

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