Intervention de Dominique Raimbourg

Réunion du 27 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDominique Raimbourg, rapporteur :

Je partage évidemment totalement les propos élogieux tenus précédemment tant à l'égard de M. Jean-Jacques Urvoas que de Mme Christiane Taubira.

Si mon nom est associé tardivement au rapport que je vous présente aujourd'hui, j'ai collaboré au travail de M. Jean-Jacques Urvoas, et je ne découvre pas le dossier ce matin.

En réunissant le Congrès à Versailles, le 16 novembre dernier, le Président de la République a voulu avant tout favoriser l'unité du pays après les attentats dont nous avons été victimes – mais vous avez rappelé à juste titre, monsieur le Premier ministre, que le terrorisme frappait dans le monde entier. Sans perdre de vue cette nécessité d'unité, doit venir ensuite le temps parlementaire, qui permet d'améliorer les mesures à mettre en place. Mon travail s'inscrira dans cet esprit, de même que les quelques observations, plus ou moins importantes, que je vous livre.

À l'occasion de cette révision, nous pourrions nous interroger sur la possibilité de « toiletter » les états d'exception inscrits dans la Constitution, comme l'article 16 ou l'article 36, et sur la nécessité de les regrouper dans un titre spécifique.

Plutôt que de prévoir que l'état d'urgence est « déclaré » en conseil des ministres, il me semble préférable d'écrire qu'il est « décrété », terme qui semble favoriser une délibération collective au sein de cet organe.

Pour ce qui est de la durée de l'état d'urgence, le projet de loi constitutionnelle reprend le dispositif de la loi de 1955 qui ne prévoit pas de limitation dans le temps : le Parlement fixe lui-même ce délai. Je pense que c'est une bonne décision car l'état d'urgence doit être adapté aux circonstances précises auxquelles il répond. L'encadrement de la prolongation pose aussi question : il appartiendra au Parlement de se prononcer sans que la Constitution ne fixe par avance une date butoir.

J'entends à la fois dire que la constitutionnalisation de l'état d'urgence permettait son encadrement, mais aussi qu'elle constituerait une banalisation. J'observe que le Conseil constitutionnel a déjà validé l'existence de l'état d'urgence dans sa décision du 25 janvier 1985 relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie. La constitutionnalisation n'est donc pas un recul mais, bien au contraire, un encadrement qui permet de rappeler que la loi fixe les modalités et la durée de l'état d'urgence, et qu'elle organise sa prorogation. Il serait ensuite très difficile, à moins d'adopter une révision constitutionnelle, de revenir sur ce privilège légitime accordé au Parlement.

Nous avons prévu, je le rappelle, un contrôle par le juge administratif ; il faudra peut-être reprendre ce point, au cas où il ne figurerait pas dans le projet du Gouvernement.

Peut-être pourrions-nous nous inspirer de l'article 16 de la Constitution pour prévoir un contrôle régulier par le Conseil constitutionnel, sans doute pas de l'opportunité, mais plutôt de la proportionnalité de l'état d'urgence vis-à-vis des circonstances.

Nous pouvons également nous demander si la loi qui fixe les modalités de l'état d'urgence doit être une loi simple ou une loi organique. Dans ce second cas, elle serait en effet soumise au contrôle préalable du Conseil constitutionnel.

Vous vous êtes dit, Monsieur le Premier ministre, favorable à un contrôle parlementaire. L'action de M. Jean-Jacques Urvoas, alors président de la commission des Lois, a été exemplaire ; la collaboration avec le Gouvernement, et plus généralement avec l'autorité administrative responsable, a été tout à fait bonne. Le contrôle parlementaire a été satisfaisant, et n'a pas révélé de dérives pouvant constituer des atteintes aux libertés publiques – même si chacun est conscient que l'état d'urgence est un moment particulier.

Quant à l'article 2, je veux rappeler notre objectif : ne pas briser l'unité nationale, rester unis face au terrorisme, faire face. C'est ainsi que notre pays sera efficace. Nous devons également réfléchir avec modération aux questions qui se posent.

Sanctionner, c'est dire les choses ; c'est donc rappeler que l'action terroriste est un crime. Dès lors, la judiciarisation de la sanction est une bonne mesure : elle permet de rappeler que ces actes sont des crimes. Il est alors logique de judiciariser également l'autre sanction prévue par l'article 2, c'est-à-dire la déchéance de nationalité. Toute mesure de déchéance, quelle qu'elle soit, doit à mon sens être une peine complémentaire, imposée par le juge judiciaire.

Il serait également bon, je crois, d'utiliser les termes d'« atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation » : cette notion, qui englobe le terrorisme, comme l'a confirmé le Conseil constitutionnel dans une décision du 23 juillet 2015, fait déjà l'objet du titre Ier du livre IV du code pénal.

Nous pourrions également proposer d'aggraver la répression. Ainsi, nous pourrions calquer la période de sûreté sur ce qui est prévu au dernier alinéa de l'article 221-4 du code pénal, c'est-à-dire une durée de trente ans. Nous pourrions également penser à d'autres privations de droits, plus symboliques : déchéance d'autorité parentale, par exemple, sans préjudice du droit de visite et d'hébergement. Cela signifierait que celui qui s'est laissé aller à commettre des crimes de sang contre son pays n'est plus qualifié pour élever un enfant, à venir ou déjà né. Nous devons aussi réfléchir à ces points.

Sur l'égalité, monsieur le Premier ministre, je vous rejoins : il ne faut pas inscrire dans la Constitution de différence entre les citoyens en fonction de la façon dont ils ont acquis la nationalité française. L'article 1er de notre Constitution dispose en effet que la France « assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine ».

Sur ces bases, nous pourrions peut-être travailler tous ensemble. Notre unité, je le redis, sera notre meilleure réponse au terrorisme.

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