Intervention de Jean-Pierre Vigier

Réunion du 20 janvier 2016 à 9h45
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Vigier, co-rapporteur :

Il va bien falloir faire comprendre une fois pour toutes que nous avons beaucoup de cours d'eau en France, et que l'on ne pourra pas restaurer la continuité écologique aquatique partout. Premièrement, ce n'est techniquement pas possible ; deuxièmement, nous n'en avons pas les moyens financiers. C'est cela qui explique que nous ayons pris du retard et que nous ne respectons toujours pas les règles européennes. Voilà pourquoi nous proposons ce classement « grands migrateurs » : nous devons nous fixer des priorités au niveau national, savoir quels sont les cours d'eau sur lesquels on peut restaurer la continuité écologique aquatique et fermer une fois pour toutes l'entonnoir. Si l'on part dans tous les sens, on n'aboutira à rien.

Nous souhaitons donc créer une liste de cours d'eau classés « grands migrateurs », mais le terme peut évoluer. L'objectif est de cibler certains cours d'eau où l'on peut techniquement restaurer une continuité écologique aquatique. Un état des lieux des cours d'eau sera réalisé, puis un chiffrage.

Beaucoup d'orateurs ont parlé de la gouvernance. Si chacun reconnaît que le niveau national fonctionne bien, il n'en est pas de même du niveau local. En effet, il n'existe aucune structure permettant une concertation entre tous les acteurs. Certes, certains professionnels jouent le jeu et réalisent des travaux, mais derrière, il n'y a aucune cohérence.

Par ailleurs, soyons clairs : il ne s'agit pas d'effacer systématiquement tous les ouvrages, mais de trouver un juste équilibre au lieu de voir s'affronter l'État, les propriétaires, les riverains et les pêcheurs. La continuité écologique n'est pas une fin en soi : il faut aussi prendre en compte la qualité de l'eau, la restauration de l'habitat et le retour des espèces. Pour les moulins par exemple, le juste équilibre passe par le maintien de certains seuils. Il faut créer une entité locale qui permettrait d'asseoir les gens autour de la table, ne serait-ce que pour trouver des solutions techniques et rechercher des financements.

Certains ont parlé des SCOT. Mais ce document est à la fois trop grand et pas assez grand : pas assez grand, parce qu'il n'a pas une vision sur un bassin ; trop grand, parce qu'il ne pourra pas permettre de mener des actions locales sur le territoire.

Contrairement à ce qui a été dit, l'EPAGE n'est pas une nouvelle structure. Il peut s'appuyer sur des collectivités locales, notamment les syndicats mixtes existants qui sont composés d'élus. Je pense que cette structure est adaptée pour avoir la maîtrise d'ouvrage des études et des travaux. L'ensemble des partenaires peuvent être associés dans cette structure – pêcheurs, sports d'eau vive, représentants de l'État, élus, propriétaires de barrages ou d'obstacles. Ils pourraient réfléchir ensemble sur ce qui peut être réalisé localement.

Je peux citer l'exemple du barrage de Poutès, situé dans le Haut-Allier. Sans aucune structure, nous avons réussi à mettre tout le monde autour de la table. EDF va investir 11 millions d'euros, non pour effacer le barrage mais pour en abaisser le niveau. Certes, sa rentabilité va baisser de 20 %, mais la concertation a permis de construire un projet, de trouver un juste équilibre – le barrage passe d'une hauteur de quinze mètres à trois mètres et la passe à poissons, qui ne fonctionne pas parce qu'elle est mal placée, sera repositionnée. Pour ce faire, il a fallu travailler avec les pêcheurs et toutes les personnes concernées. Je suis sûr que chacun ici pourrait citer l'exemple d'une passe à poissons qui ne fonctionne pas, parce qu'il n'y a eu aucune concertation. Le barrage de Poutès n'a donc pas été supprimé : son niveau sera simplement baissé. EDF s'y retrouve financièrement, ainsi que les pêcheurs puisque la passe à poissons est enfin bien placée, ce qui permettra de faire remonter les poissons migrateurs.

Ce qui manque aujourd'hui en France, c'est une entité locale opérationnelle qui permet de réaliser concrètement les opérations.

J'en viens au financement. Même s'il reste entre 5 et 20 % à la charge des propriétaires, pour certains ce sera encore trop. Si l'on veut pouvoir réaliser des opérations, il faut parvenir à un financement à 100 % ; et c'est pour cela qu'il faut avoir le courage de dire que la restauration de la continuité écologique aquatique ne pourra pas se faire partout. Si l'on avait procédé de cette façon il y a vingt ans, on n'en serait pas là aujourd'hui ; car sur les cours d'eau que l'on aurait ciblés, que l'on aurait priorisés, la continuité écologique aurait été restaurée. Or la restauration de la continuité écologique permet l'amélioration du milieu, de l'habitat, de la qualité de l'eau. L'enjeu est aussi économique, touristique, culturel et environnemental.

Il y a une vingtaine d'années, sur l'axe Loire-Allier, il n'y avait plus beaucoup de saumons. Face au risque de disparition, on a créé une salmoniculture en amont, et on constate un début de retour. Disons que nous sommes au milieu du gué : l'objectif est de parvenir au doublement de la population, mais on n'y arrive pas, faute d'une gouvernance locale qui nous permettrait de traiter les opérations locales concrètes. Il faut savoir qu'à une certaine époque, avant qu'il ne disparaisse du Haut-Allier, chaque pêcheur dépensait 7 000 francs par saumon pris : les restaurants et les hôtels étaient complets sur mon territoire… On voit bien le débouché économique offert par la restauration de la continuité écologique.

Aujourd'hui, les outils réglementaires existent. Ce sont les SAGE, les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) et l'EPTB. Il faut maintenant avoir le courage politique de choisir les cours d'eau sur lesquels la restauration écologique aquatique est possible. Si on ne le fait pas, on risque de tourner en rond encore longtemps et de parler encore dans quinze ou vingt ans de la restauration de la continuité écologique aquatique de nos cours d'eau. Ciblons les cours d'eau, mettons-y les moyens financiers et techniques. La vision globale, on l'a ; il ne manque que la structure locale qui permettra une concertation de tous les acteurs locaux, y compris des agriculteurs. Créons-la, et c'est ainsi que l'on améliorera la qualité de l'eau, que l'on pourra restaurer l'habitat et réintroduire certains poissons migrateurs.

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