Intervention de Didier Migaud

Réunion du 13 janvier 2016 à 11h00
Délégation aux outre-mer

Didier Migaud, Premier, président de la Cour des comptes :

Je vous remercie pour les appréciations que vous avez portées sur le travail de la Cour, sur sa tonalité et son impartialité.

Vous avez été plusieurs à avoir mis en avant le facteur démographique. Si la Cour a souhaité y insister, c'est qu'il s'agit bien d'une spécificité de Mayotte. Le sujet est très sensible, comme le montrent les réserves de l'INSEE pour communiquer les conclusions d'études qu'il a sans menées, d'où notre recours à l'ONU pour obtenir quelques projections. C'est un facteur extrêmement important, que nous ne connaissons dans aucun autre département français.

Ce phénomène pèse lourdement sur l'ensemble des politiques publiques et l'État ne semble pas en avoir pris la pleine mesure. Il n'appartient pas à la Cour de prescrire une politique démographique : cela relève de la responsabilité des élus nationaux et des élus locaux. Nous restons dans le rôle qui est le nôtre, qui consiste à évaluer les conséquences de ce facteur démographique qui tient à tout à la fois à la croissance naturelle et à l'insuffisante maîtrise de l'immigration clandestine en dépit des efforts que l'État a consentis pour mieux endiguer ce phénomène, et qu'il faut reconnaître : depuis que la Cour a fait un certain nombre d'observations sur cette immigration clandestine, des mesures ont été prises pour renforcer les moyens administratifs, et qui ont en partie porté leurs fruits.

Si l'État a contribué à l'impréparation que vous avez tous déplorée et que nous avons identifiée, il a néanmoins pris un certain nombre de mesures. Il s'est doté d'un véritable secrétariat général pour les affaires régionales qui devrait lui permettre d'assurer son rôle d'autorité de gestion des fonds européens structurels et d'investissement. Compte tenu de l'importance de l'enjeu du développement, cette réforme est particulièrement bienvenue.

Pour ce qui est de l'absence de pilotage, nous avons pu noter que tout n'avait pas été fait pour assurer le suivi aussi bien sur le plan national que sur le plan des représentants de l'État sur le territoire de Mayotte. Les dispositions visant à organiser une nouvelle gouvernance prévues dans le cadre du plan Mayotte 2025 devraient offrir une perspective de pilotage plus resserrée. Reste encore à mettre en place ce dispositif, et il faudra que cela suive si l'on veut que les problèmes soient pris à bras-le-corps.

Pour ce qui est des communes, sans modification du volume de leurs ressources, la plupart d'entre elles seront incapables de dégager de l'autofinancement pour réaliser les équipements nécessaires, même si tout ne relève pas de leur responsabilité. La chambre régionale a fait un certain nombre de préconisations, notamment sur le gel provisoire du taux de la surrémunération pour les fonctionnaires locaux. Cette mesure devrait leur permettre, nous semble-t-il, de dégager de réelles marges de manoeuvre en l'absence d'autres gisements d'économies. Manifestement, les collectivités sont réticentes ; nous n'avons pu que renouveler notre recommandation en la matière.

Si les communes obtiennent de nouvelles ressources, le risque est que seule une part marginale bénéficiera aux dépenses d'investissement, compte tenu de la propension des collectivités à privilégier les dépenses de fonctionnement. L'affectation directe d'une fraction de ces nouvelles ressources à la section d'investissement est une solution à écarter : elle pourrait avoir pour effet pervers de réduire la nécessité pour les communes de dégager un autofinancement à partir de la section de fonctionnement. C'est une véritable difficulté, d'autant que si la perspective de bénéficier de davantage de fonds structurels européens est effectivement un élément positif, la question reste posée des contreparties à assurer, du côté de l'État, mais également des collectivités territoriales qui doivent impérativement contraindre leurs dépenses de fonctionnement.

Le problème du chômage, que vous avez également évoqué, ne se réglera pas par de l'emploi public. Les élus locaux doivent être conscients de la nécessité de mieux maîtriser l'augmentation de la masse salariale des collectivités : du fait de la surrémunération, chaque emploi public créé entraîne des dépenses supplémentaires.

Le risque de « dérapage » que j'ai évoqué ne doit pas être interprété comme étant de la part de la Cour un jugement d'opportunité sur le nécessaire effort de rattrapage. Nous voulons simplement dire qu'il peut y avoir dérapage par rapport à ce que l'État a prévu pour faire face à tel ou tel besoin : ces actions étant insuffisamment encadrées, précisées, programmées, les conséquences financières et budgétaires n'en sont pas tirées. D'où des situations subies. On peut faire le même raisonnement sur les conséquences de la départementalisation ou sur le RSA : les incidences d'une augmentation des sommes nécessaires pour le paiement du RSA sont insuffisamment prises en considération, y compris au niveau de l'État.

Le président Vachia aura peut-être l'occasion de revenir sur la question de la cristallisation au niveau de 2014, soulevée par Ibrahim Aboubacar. La loi peut s'interpréter et, bien entendu, il y a une marge de négociation entre l'État et les collectivités territoriales pour s'entendre sur la répartition de la dépense en la matière. Il est souhaitable qu'il y ait sur ce sujet des discussions sérieuses entre l'État et les collectivités territoriales.

Le président Vachia répondra plus précisément aux questions relatives à l'état civil et aux avantages fiscaux qui peuvent être reconnus sur l'île. La Direction générale des finances publiques (DGFIP) connaît quelques difficultés pour identifier les opérations. Elle avance d'ailleurs des arguments qui ne sont pas toujours très convaincants ; il faudra y revenir. Je ne comprends pas pourquoi la DGFIP ne parviendrait pas à mieux identifier les conséquences de tel ou tel dispositif fiscal. On ne peut ignorer les avantages accordés sans agrément qui peuvent se fondre dans la masse, mais il doit tout de même être possible de mener des investigations complémentaires. Quoi qu'il en soit, pour le moment, nous manquons d'éléments pour apprécier les conséquences de la mise en place d'un certain nombre de dispositifs fiscaux sur l'île de Mayotte.

Mme Errante a évoqué de vrais sujets. J'ai moi-même pu me rendre compte, en me rendant sur l'île, des problèmes d'insécurité et d'éducation, sans compter des problèmes plus basiques, comme l'accès à l'eau ou l'assainissement. Ce qui explique le manque d'attractivité de Mayotte pour les fonctionnaires d'État, qui n'y restent pas toujours aussi longtemps qu'ils l'avaient prévu en raison de ce contexte : j'ai même rencontré des fonctionnaires véritablement en souffrance. Il faut donc être très attentif à ces questions.

Pour ce qui est des mineurs isolés, c'est pour l'heure l'État qui assume cette responsabilité, alors que la compétence revient normalement au département. Dans les faits, ce sont les associations, subventionnées par l'État, qui font le plus gros du travail – je veux parler des mineurs isolés étrangers, qui sont les plus nombreux. Le département doit être en mesure d'exercer les compétences qui lui ont été transférées et s'en donner les moyens.

Je ne sais, monsieur Dosière, si la Cour est une briseuse de rêve, ce n'est pas obligatoirement sa vocation ! Reste que nous sommes obligés de raisonner à partir de la réalité et non des engagements pris et des objectifs affichés ; et lorsque nous les prenons en considération, nous mesurons le décalage entre les uns et les autres. Nos observations en tout cas nous ont conduits à la conclusion que la préparation a été insuffisante et l'ensemble du processus insuffisamment piloté, tant au niveau de l'État qu'au niveau du département et des collectivités.

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