Intervention de Philippe Wahl

Réunion du 13 janvier 2016 à 9h30
Commission des affaires économiques

Philippe Wahl, président-directeur général du groupe la Poste :

Madame la présidente, mesdames et messieurs les députés, je suis très honoré de présenter devant votre commission ma candidature à la présidence de La Poste. Je suis aussi très honoré, et les postières et postiers avec moi, de l'intérêt que vous manifestez par votre présence au développement et à l'avenir de notre grande entreprise qui en est à son sixième siècle de service public.

Avant de nous projeter dans l'avenir, je vais faire le point sur ce qui a été réalisé depuis septembre 2013, sachant que ma présentation personnelle est déjà faite : comme vous le disiez, madame la présidente, vous me connaissez un peu et, depuis deux ans et demi, je n'ai rien fait d'autre que de conduire La Poste dans sa transformation. Seul mon âge a changé : j'ai cinquante-neuf ans au lieu d'en avoir cinquante-sept.

En 2013, ma candidature et mon projet reposaient sur un diagnostic, une vision et des plans d'action. Je vais confronter chacun de ces éléments à la réalité des faits, à l'expérience qui s'est déroulée devant vous et entre nous depuis deux ans.

Commençons par le diagnostic qui est tout parce qu'il est à la source de l'action. Nous avions constaté la baisse très sensible du volume de courrier : elle était de 3 % par an avant 2008 et elle a atteint 5 % entre 2008 et 2011. En 2013, nous avions fait l'hypothèse d'une baisse de 6 %. Pour l'entreprise publique que nous sommes, cela signifie que chaque 1er janvier, à prix du timbre constant, nous perdons entre 600 et 700 millions d'euros de chiffres d'affaires. Aucune entreprise française n'est confrontée à un tel bouleversement économique. Ce diagnostic lucide, difficile mais indispensable, a été confirmé par les faits. En 2015, le volume du courrier aura reculé non pas de 6 % comme nous le prévoyions, mais de 6,5 %.

Ajoutons qu'entre 2004 et 2014, le phénomène a affecté les postes du monde entier, la baisse des volumes atteignant 60 % au Danemark, 50 % aux Pays-Bas, 30 % en France, et 20 % en Suisse, en Autriche et en Allemagne. Ce phénomène mondial est évidemment lié à la révolution numérique et au remplacement du courrier traditionnel par des messages numériques. Ce choc s'est accompagné d'autres vents contraires pour La Poste, notamment une baisse de la fréquentation des bureaux de poste, qui a atteint presque 6 % l'année dernière. En fait, La Poste subit une désaffection qui touche tous les commerces de centre-ville et tous les lieux de commerce physique. Un autre élément conjoncturel est très important pour notre entreprise, compte tenu de la place prise par La Banque Postale dans le fonctionnement du groupe : les taux d'intérêt sont au plus bas depuis soixante ans, ce qui n'est pas sans conséquence sur la seule banque « surliquide » du paysage bancaire français, c'est-à-dire dont les dépôts excèdent les montants de crédits. Lorsque je suis devenu président du directoire de La Banque Postale, en janvier 2011, ces excédents étaient replacés sur les marchés à un taux de 3,7 % ; au cours de l'année 2015, ils étaient rémunérés entre 0,7 % et 0,9 %. L'écart de revenus est absolument considérable.

Le diagnostic, qui décrivait donc une situation économique délicate et des vents contraires extrêmement forts, a été partagé avec la représentation nationale et le corps social. Nous y avons opposé une vision : cette entreprise a un savoir-faire et des responsabilités particulières. Son savoir-faire est sa capacité à offrir une proximité humaine au plus grand nombre. C'est cela La Poste. Nous avons évidemment travaillé dans ce sens en développant les services de proximité et en diversifiant les activités. GeoPost s'est internationalisé et La Banque Postale a été au rendez-vous des défis qui lui ont été lancés, y compris par les élus et les territoires. Alors que les crédits aux collectivités territoriales et au secteur public local de La Banque Postale étaient au niveau zéro en 2011, ils ont atteint 8,6 milliards d'euros en 2015, à la suite des engagements que nous avions pris devant vous. Passée au premier rang des prêteurs aux collectivités territoriales devant le groupe Banque populaire Caisses d'épargne (BPCE), La Banque Postale prête aux établissements publics locaux, c'est-à-dire aux sociétés d'économie mixtes (SEM) et au secteur du logement social. Nous avons donc relevé les défis lancés par les territoires et la conjoncture.

Comme je vous le disais en 2013, cette vision est fondée sur les responsabilités de service public que nous donne le législateur et auxquels les postiers sont tellement attachés. Nous avons gardé ces missions de service public en les modernisant. En 2013, il y avait trois formats de présence postale territoriale : le bureau de poste, l'agence postale communale, le relais poste commerçant. En 2016, quatre nouveaux formats ont fait leur apparition : la maison de services au public, le facteur-guichetier dont je vous avais parlé sous forme d'expérience, les relais postaux avec l'économie sociale et solidaire, et le relais poste urbain qui vise à transformer le réseau postal en ville.

En 2013, notre groupe était menacé par une baisse de son résultat d'exploitation et par de la consommation de cash, ce qui ne peut jamais durer très longtemps dans une entreprise. Nous avons donc bâti des plans d'action tendant au relèvement économique du groupe. Nos comptes semestriels montrent que nous avons été en avance sur la trajectoire promise à nos deux actionnaires, l'État et la Caisse des dépôts et consignations (CDC), au cours des trois premiers semestres de 2014 et 2015. Au quatrième semestre, nous serons en avance également, même si je ne peux pas encore vous donner de résultats définitifs. Cela veut dire qu'à la fin de l'année 2015, La Poste a rétabli la situation : le résultat d'exploitation croît et le cash est positif.

Ce redressement n'a été possible que grâce à l'engagement des postiers, même s'ils sont souvent perturbés et angoissés par la transformation de l'entreprise. Nous les avons associés à la stratégie, nous avons engagé un dialogue social extrêmement soutenu qui s'est traduit par la signature, au début de 2015, de l'accord « Un avenir pour chaque postier », qui est le volet social de notre plan stratégique « La Poste 2020 : conquérir l'avenir ». Ce premier accord social stratégique majoritaire à l'intérieur de notre groupe représente un changement absolument majeur. Il est la preuve que nous avons associé les salariés, leurs organisations syndicales légitimes, compétentes et engagées à nos côtés.

Vous pouvez confronter ces réalisations aux propos que je vous avais tenus en 2013. Mais, il faut bien le reconnaître, les cinq années à venir seront radicalement différentes des deux années que nous venons de traverser. En effet, nos métiers vivent une accélération de la transformation économique. C'est pourquoi mon projet pour les cinq années à venir sera d'approfondir et d'accélérer la transformation, et de construire pour 2020 le premier groupe de services de proximité humaine de notre pays.

Premier point : approfondissement de la transformation. D'où vient ce besoin de transformation ? En 2015, le courrier traditionnel représente encore 43 % de notre chiffre d'affaires, ce qui est un élément de vulnérabilité stratégique considérable, alors que ce pourcentage n'est plus que de 17 % à la poste allemande, notre premier concurrent en Europe. L'épée de Damoclès économique nous menace donc plus que notre concurrent allemand. Ce constat guide nos choix : diversifier les métiers, transformer le modèle d'affaires et complètement changer non pas les valeurs mais le visage de La Poste dans les cinq ans à venir.

Nous avons déjà engagé ces mues notamment en ce qui concerne le courrier. Cette branche, enrichie par ColiPoste et par la transformation d'activités de service également ajoutées au courrier, s'appelle désormais Service-Courrier-Colis et son engagement stratégique est d'aller vers le monde des services. La Poste a déjà lancé de nombreux services tels que la veille au domicile ou le transport de courses, qui répondent au besoin de proximité et au vieillissement de la population. En partenariat avec les associations, elle deviendra un acteur important de la « silver économie ».

Quant à La Banque Postale, elle a une nouvelle frontière décrite par son nouveau patron : aller vers les professionnels et les petites entreprises à l'horizon de 2020.

L'internationalisation de GeoPost va se poursuivre, afin que cette filiale à 100 % dépasse DHL pour devenir le numéro un du transport de colis par voie routière. Depuis deux ans, nous avons comblé les deux tiers du retard que nous avions avec DHL : nous sommes actuellement numéro un en Espagne et en Pologne, et numéro deux au Royaume-Uni et en Allemagne. Je ne peux pas vous parler des opérations qui sont en préparation mais, avant le 1er juillet, il y aura deux nouveaux mouvements considérables d'internationalisation. C'est très important, y compris pour les emplois français, je voudrais y insister. Le colis et l'e-commerce sont des métiers de réseau. Plus votre réseau international est puissant et large, plus vous récoltez de flux d'import et d'export sur votre base. Ainsi, dans les plateformes de colis et d'express de France, entre 15 % et 20 % du chiffre d'affaires vient de l'import et de l'export. L'internationalisation est donc favorable à la croissance mais aussi à l'emploi du groupe.

Deuxième point : accélération de la transformation. Face à ce monde qui bouge, notre stratégie numérique, dévoilée en octobre dernier, montre bien que nous avons décidé de changer de dimension et de vitesse. Cette stratégie passe notamment par la mise en place de l'envoi ou du retour des colis par les boîtes aux lettres personnelles : il suffit d'affranchir en ligne et d'imprimer une étiquette – qui prévient le facteur sur son smartphone – et de déposer le colis dans sa boîte. C'est une révolution postale. La semaine dernière, lors du Consumer Electronics Show (CES) de Las Vegas, nous avons présenté le bouton Domino qui permet d'envoyer un message au facteur en tournée afin de lui demander de passer prendre un colis.

En matière de numérique, nous avons l'ambition de porter et de protéger les données et l'identité numérique de tous les Français, parce que nous sommes pérennes, neutres, et que nous bénéficions de leur confiance. Nous investissons dans le domaine. Peut-être ne l'avez-vous pas noté parce que la société est encore de petite taille, mais nous sommes devenus propriétaires de Resto-in, une plateforme internet de livraison de repas à domicile, qui est actuellement le numéro deux du secteur. Nous avons l'ambition d'en faire le numéro un, preuve que nous remontons dans la chaîne de valeurs.

Notre stratégie repose aussi sur l'innovation : La Banque Postale s'est alliée à Aegon et Malakoff Médéric ; GeoPost a lancé Chronofresh ; le Service-Courrier-Colis développe tous ces services que je viens de décrire.

Cette accélération de la transformation est impossible si l'on n'embarque pas la totalité des postières et des postiers. C'est la raison pour laquelle je faisais référence à notre accord social majoritaire « Un avenir pour chaque postier » qui comporte un effort de formation absolument inédit de notre personnel. Tous les facteurs sont équipés de smartphone, un outil de travail devenu quotidien. N'est-ce pas la meilleure façon de lutter contre la fracture numérique ? Ces 95 000 smartphones fonctionnent en réseau. Conscients de la difficulté de ces changements, nous avons engagé un plan de développement et de formation managériale considérable tout en poursuivant les négociations sociales sur les conditions de travail et l'avenir des métiers.

En résumé, il s'agit de construire la première entreprise de services de proximité humaine de notre pays à l'horizon de 2020, car nous savons faire ce qu'aucune autre entreprise de ce pays ne sait faire : proposer un échange, une relation humaine, un service de proximité tous les jours, à toute la population, soit des millions de personnes réparties sur tout le territoire. Tel est l'avenir de La Poste. La construction de cette très grande entreprise se fonde sur le service public et elle s'inscrit évidemment dans une logique de développement durable et d'économie d'énergie.

Avant la fin de l'année 2015, nous avons construit 110 maisons de services au public dans des bureaux de poste ; il y en aura 500 à la fin de 2016. En 2013, je vous parlais d'une expérience conduite dans l'Eure-et-Loir, celle du facteur-guichetier qui tient le bureau de poste maintenu le matin et qui fait la tournée l'après-midi. Il y avait un facteur-guichetier en 2013, ils étaient 265 à la fin de 2015 et ils seront plus de 1 000 à la fin de 2017. Nous répondons ainsi aux territoires qui ont besoin d'une présence humaine et pas seulement d'écrans tactiles. Tel est le projet de La Poste : construire la plus grande entreprise de services de proximité humaine, qui s'adapte au e-commerce, à la révolution numérique et qui montre que les postières et les postiers sont capables à la fois de changer leur entreprise et de participer à l'évolution de leurs clients, des territoires et de notre pays.

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