Intervention de Emeric Bréhier

Réunion du 12 janvier 2016 à 18h00
Commission des affaires culturelles et de l'éducation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmeric Bréhier, rapporteur pour avis :

À l'évidence, le numérique a bouleversé le secteur culturel et sportif, de même qu'il a bouleversé notre économie et l'exercice des libertés individuelles et des droits fondamentaux. Comme l'a expliqué le Président Bloche, plusieurs articles du projet de loi concernent directement les compétences de notre commission : les articles 17 et 18 ont trait à l'édition scientifique et à la recherche ; les articles 22 et 23 portent sur les plateformes numériques ; l'article 42 est relatif aux compétitions de jeux vidéo.

L'article 17 a fait couler beaucoup d'encre – parfois virtuelle – au cours de la consultation citoyenne organisée autour du projet de loi. Nos concitoyens ont d'ailleurs eu beaucoup plus de temps que nous pour examiner le texte. Si cette consultation s'est, à l'évidence, révélée très utile, on peut regretter que si peu de temps ait été alloué au travail parlementaire. Ces délais contraints ne nous ont toutefois pas empêchés d'entendre de nombreux représentants de l'édition scientifique et de la recherche. Tous s'accordent à dire que l'article 17 présente une avancée majeure pour la connaissance scientifique. Évitons donc les faux procès : les éditeurs eux-mêmes sont acquis à l'idée qu'il convient de permettre aux chercheurs, nonobstant la cession de leurs droits à l'éditeur, de mettre à disposition du public leurs écrits scientifiques afin qu'ils puissent être lus par tous. Deux limites doivent cependant préserver l'activité d'édition scientifique : d'une part, la forme de l'écrit mis à disposition du public ne peut être celle qui a été retravaillée et publiée par l'éditeur ; d'autre part, sauf si l'éditeur y consent, la mise à disposition ne peut être effectuée avant un certain délai, pour lui laisser la possibilité d'en tirer un profit commercial.

C'est sur ce dernier point que le débat a achoppé, les éditeurs considérant qu'un délai de six mois pour les sciences, la technique et la médecine, et de douze mois pour les sciences humaines et sociales est trop court pour leur permettre de générer suffisamment de bénéfices sur l'écrit publié. À l'inverse, certains chercheurs souhaiteraient aller plus loin, et permettre que l'écrit soit mis à la disposition du public dès la publication de l'article dans une revue. En somme, le dispositif prévu par le projet de loi satisfait tout le monde dans son principe, mais personne dans ses modalités ; c'est, je crois, la preuve qu'un équilibre a été atteint !

Malgré ce débat très vif, le dispositif est porteur de nombreux progrès pour la recherche, notamment la recherche française. Celle-ci sera beaucoup plus visible par la communauté internationale des chercheurs, y compris ceux issus des pays en développement, et du monde économique. Il permet aussi d'envisager une mutation plus profonde du système mondial de l'édition scientifique : un libre accès immédiat aux articles scientifiques publiés dans les revues à comité de lecture. Ce dispositif prend le chemin de ce qu'on appelle la « voie verte », tout en incitant les acteurs de l'édition à trouver le moyen de passer rapidement à la « voie dorée » ou, en tout cas, à un modèle de négociation où les universités et les organismes de recherche paient une seule fois pour accéder aux fonds des éditeurs, pour publier en accès immédiat et pour exploiter ledit fonds par le biais de l'exploration de textes et de données (ou TDM, pour text and data mining) ou encore « droit de fouille ». C'est donc une évolution particulièrement importante que dessine cet article.

L'article 18 a soulevé moins de remarques lors des auditions que Luc Belot et moi-même avons menées, mais il est tout aussi utile aux organismes de recherche dont certaines activités peuvent nécessiter l'appariement de données distinctes par le biais du numéro d'identification qui figure sur nos cartes Vitale. Le dispositif actuel est en effet trop complexe du point de vue administratif pour être mis en oeuvre, puisqu'il suppose que soit pris un décret en Conseil d'État, ce qui n'est pas à la portée de tous les organismes de recherche. Dans le dispositif proposé, du reste très protecteur des données personnelles, l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) pourra réaliser ces appariements après déclaration auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), tandis que les organismes de recherche devront obtenir son autorisation pour chaque projet de recherche.

Les articles 22 et 23 du projet de loi sont porteurs d'évolutions très intéressantes au regard de l'enjeu juridique et économique que représente l'activité des grandes plateformes telles Google, Facebook ou YouTube. Ces acteurs bénéficient aujourd'hui, en Europe, d'une responsabilité allégée qui les place dans la même situation juridique que les hébergeurs des années 2000. Or ces plateformes sont aujourd'hui bien plus que de simples hébergeurs de contenus mis en ligne par des tiers. Facebook tend à devenir une plateforme vidéo, et YouTube une chaîne de télévision, lorsque Google diversifie massivement ses activités. Désormais, ce sont des acteurs à part entière de l'activité, notamment culturelle. Leur résonance est mondiale, le nombre de leurs utilisateurs connaît une croissance exponentielle, et leur usage est quasi inévitable. Leur niveau de responsabilité doit donc, à l'évidence, être rendu aussi conforme à la réalité de leur pouvoir économique que le permet le cadre européen actuel. Il est temps, me semble-t-il, de commencer à dessiner le statut qui sera le leur demain. Je vous proposerai d'ailleurs un amendement qui va un peu plus loin que le texte actuel en matière de contenus illicites.

Enfin, la consultation citoyenne a fait naître un nouvel article, relatif aux compétitions de jeux vidéo, parfois dites de sport électronique. Celles-ci se développent dans le monde entier, et leur poids économique est de plus en plus important. Malheureusement, il est très difficile de les organiser en France de façon parfaitement légale, puisqu'elles risquent d'être assimilées à des loteries, prohibées. Elles remplissent en effet les quatre critères qui définissent les loteries : l'offre publique, l'espérance d'un gain, la part, même infime, de hasard et le sacrifice financier exigé des joueurs. Ces compétitions ne sont pourtant pas, à mon sens, des jeux d'argent et se rapprochent parfois du sport lui-même, la recherche de la performance étant au coeur d'un certain nombre de ces jeux. L'article 42 du projet de loi a donc pour objet d'habiliter le Gouvernement à légiférer par ordonnance pour permettre leur organisation en toute légalité sur le territoire français. Je ne suis pas, pour ma part, opposé au principe du recours aux ordonnances – c'est souvent un moyen très utile d'avancer rapidement sur des sujets techniques. Toutefois, le Parlement me paraît en l'occurrence à même de trouver une solution satisfaisante dans le délai imparti. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement, que je suis prêt à sous-amender pour tenir compte de remarques qu'ont formulées certains collègues et qui vont dans le sens de ce que nous avons élaboré avec Luc Belot, rapporteur de la commission des lois.

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