Intervention de Jean-Jacques Urvoas

Réunion du 13 janvier 2016 à 9h30
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Jacques Urvoas, président :

Les raisons juridiques qui compliquent l'utilisation du bracelet électronique, Monsieur Larrivé, sont notamment liées à une décision du Conseil constitutionnel de juillet 2015 qui prévoit l'obligation de consentement de l'intéressé et de sa condamnation antérieure à une peine privative de liberté. Dans ces conditions, cette mesure n'a jamais été utilisée pendant l'état d'urgence. Cela étant, le Conseil d'État étudie aujourd'hui même une question prioritaire de constitutionnalité sur ce sujet. D'autre part, monsieur le député, il ne nous appartient pas de nous prononcer sur la pertinence de telle ou telle assignation à résidence, mais nous avons examiné les raisons pour lesquelles la mesure avait été prise ici ou là. Plusieurs interlocuteurs nous ont expliqué que l'assignation n'était pas adaptée à tous les cas : certains individus, en effet, sont sous surveillance, et les assigner à résidence reviendrait à le leur révéler. On déstabiliserait ainsi la surveillance même du réseau autour duquel est susceptible de graviter l'intéressé. En clair, il a été fait un usage assez fin de cette capacité d'entrave, puisque tel nous a semblé être l'objet principal des mesures d'assignation, qui visaient surtout à nuire aux capacités de communication des personnes – lesquelles pouvant souvent privilégier un déplacement, les écoutes s'étant au fil du temps révélées peu fructueuses.

L'information que je vous ai donnée concernant le blocage des sites internet m'a été transmise hier soir : nous constatons que le dispositif utilisé n'est pas celui de la loi de 2015, mais celui de la loi de 2014. Il faudra en élucider les raisons.

Je n'ai pas fait la distinction entre juge administratif et juge judiciaire, Monsieur Fenech, mais entre police administrative et police judiciaire, ce qui, dans mon esprit, n'est pas la même chose.

Concernant les contrôles frontaliers, madame Zimmermann, le code des douanes donne aux douaniers des pouvoirs autrement plus intrusifs que ceux qui sont prévus dans le cadre de l'état d'urgence. Une fois celui-ci levé, ils pourront donc poursuivre leur travail avec la même efficacité.

J'en viens à la sortie de l'état d'urgence. Tout d'abord, les mesures n'ont pas épuisé tous leurs effets potentiels, même s'il semble que l'essentiel de ce que l'on pouvait prendre l'a été. Je ne plaide aucunement pour la levée de l'état d'urgence dès aujourd'hui ; il se prolongera jusqu'à la fin du mois de février. Il me paraissait néanmoins relever de notre responsabilité de poser la question de la manière dont nous en sortirons. À ce stade, les différentes mesures mises à la disposition des autorités administratives ont été utilisées de manière pertinente et modulée. La question se posera néanmoins le 26 février. Or, chacun sait que la « guerre » contre le terrorisme n'est pas un blitzkrieg, mais une guerre longue qu'il faudra mener avec les armes du droit commun. La législation d'exception était utile car nous faisions face à un péril imminent. Le péril est toujours là, constant, et le dire n'est pas chercher à gouverner par la peur mais seulement prendre conscience de notre responsabilité, y compris celle de réfléchir aux outils qu'il nous faudra utiliser demain. Il faudra alors tirer les leçons de l'usage qui a été fait des mesures de l'état d'urgence, mais je prends la législation de 1955 et de 2015 pour ce qu'elle est : temporaire. Elle a été efficace pendant un temps et continuera sans doute à produire des effets jusqu'en février, à mesure que les informations déjà recueillies seront traitées pour, le cas échéant, donner lieu à d'autres mesures administratives. Qu'il n'y ait pas d'ambigüité sur ce point : il serait stupide de suspendre l'état d'urgence à ce stade.

La totalité des 66 démarches que nous avons effectuées par courrier, monsieur Morel-A-L'Huissier, portait sur des cas dont nous avons parfois pris connaissance par la presse, qui en fait – et ne prétend d'ailleurs pas faire autrement – une narration nécessairement partielle puisque très souvent univoque. M. Poisson et moi-même avons dès lors cherché à rassembler des éléments plus approfondis auprès des organes de l'État, et nous avons constaté que ce qui se publie dans la presse ne donne pas un tableau complet de la situation. De ce point de vue, chacun est dans son rôle et seul le juge est apte à constater ou non les abus.

Enfin, monsieur Coronado, les mesures administratives individuelles que vous évoquez ont été prises en dehors du cadre de l'état d'urgence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion