Intervention de Vincent Bretagnolle

Réunion du 12 janvier 2016 à 17h00
Commission du développement durable et de l'aménagement du territoire

Vincent Bretagnolle :

Effectivement. Ce que j'essaie de vous faire comprendre, c'est que l'on n'a pas du tout la même puissance statistique avec 6 000 abeilles taguées qu'avec dix-huit ruches. La production de miel ne constituait pas l'objet principal de notre étude – ce que l'ANSES nous avait demandé, c'était d'étudier le taux de survie des abeilles –, c'est pourquoi nous n'étions pas dotés du matériel statistique suffisant pour tirer des conclusions probantes sur ce point : nous n'avons fait que noter des observations au passage. Pour obtenir des résultats plus significatifs sur la production de miel, nous devrons procéder à une nouvelle étude portant sur un nombre de ruches beaucoup plus important.

Si nous nous sommes intéressés au thiaméthoxam en 2012, c'est parce que ce néonicotinoïde, qui n'était alors pas sous moratoire, est utilisé pour le traitement du colza et du maïs, qui sont des cultures importantes pour les abeilles. Répliquant l'étude en 2013-2014, toujours sur le thiaméthoxam, pour respecter la lettre de commande de l'ANSES, nous avons simplement souhaité répondre avec un design spatial et statistique suffisamment puissant à la question qui nous était posée.

Pour ce qui est des recherches menées par Bayer ou d'autres compagnies en vue de mettre au point de nouveaux insecticides, je ne suis pas du tout au courant. Dans la mesure où ce n'est pas mon domaine principal de recherche, il n'y a aucune raison pour que je sois contacté par ces industriels. Cela dit, si nous étions sollicités dans le cadre de la procédure d'homologation de certains produits, nous serions tout à fait disposés à mener des essais sur notre plateforme de Chizé.

Le calcul par lequel nous avons établi que le taux de non-retour des abeilles exposées passait de 5 % à 22 % est détaillé dans notre étude ; je vous ferai parvenir des documents à ce sujet. Il ne s'agit pas à proprement parler d'une modélisation mathématique, mais d'un mode de calcul statistique appelé modèle de Cox, développé dans le domaine de la médecine pour évaluer l'efficacité des médicaments, et servant en fait à calculer des pourcentages de mortalité. Nous avons affecté des covariables à ce modèle, en entrant la date ou le degré d'exposition au thiaméthoxam.

L'imidaclopride est le néonicotinoïde actuellement utilisé pour traiter les semences de blé : c'est ce que l'on appelle le blé Gaucho. Comme je vous l'ai dit, nous avons eu la surprise de retrouver ce néonicotinoïde dans du nectar de colza, probablement en raison des antécédents culturaux, mais par l'effet d'une contamination dont les mécanismes ne nous sont pas connus – même si l'on peut penser que la rémanence relativement élevée de ce produit dans les sols et l'eau joue certainement un rôle. Des études datant de plus de dix ans avaient déjà mis en évidence des taux élevés d'imidaclopride dans différents types de cultures : il avait été établi que les frottements des graines entre elles lors des semailles entraînaient un échappement de la substance chimique par voie aérienne. Suivant les recommandations qui avaient alors été faites, les firmes produisant ces insecticides avaient pris des mesures pour que cela ne se produise plus, c'est pourquoi nous avons été si surpris de trouver encore de l'imidaclopride en quantité importante dans les nectars de colza.

Le problème n'est pas anecdotique : les quantités détectées, et le fait que l'on constate la même chose dans différents pays d'Europe, en font un événement signifiant. Nous allons continuer à faire des prélèvements en 2016, en espérant que les avancées scientifiques nous permettront de résoudre ce qui est aujourd'hui un véritable mystère. En effet, on retrouve aujourd'hui de l'imidaclopride dans des parcelles de colza où l'on n'a jamais effectué de cultures Gaucho et, à l'inverse, on ne retrouve pas forcément d'imidaclopride dans le colza poussant sur des parcelles où l'on a effectué des cultures Gaucho l'année précédente.

Pour ce qui est de l'adaptation des colonies d'abeilles, je commencerai par dire qu'une colonie d'abeilles domestiques doit être considérée comme un super-organisme. La reine est le seul individu à pondre, les 30 000 autres étant des butineuses ou des nourrices s'occupant du couvain. C'est un organisme complexe, car la reine, qui pond plusieurs milliers d'oeufs par jour, peut « décider » de fabriquer des femelles ou des mâles, par un mécanisme purement génétique ; une fois les oeufs pondus, les nourrices peuvent décider d'élever les oeufs ou en faire autre chose, notamment les manger ; une fois les oeufs éclos, les larves peuvent rester nourrices toute leur vie, ou devenir butineuses à partir d'un âge variable, allant de dix à trente jours. Ces compromis adaptatifs – qui ne résultent pas du libre arbitre des insectes, mais de mécanismes de sélection naturelle – permettent à la ruche de s'adapter efficacement à son environnement et aux perturbations survenant dans celui-ci – les néonicotinoïdes font partie de ces perturbations – en modifiant sa population. Il ne faut pas oublier qu'une colonie d'abeilles est avant tout un organisme sauvage, que l'on utilise en détournant la production de réserves alimentaires que constitue le miel. Toute la question est de savoir si les capacités d'adaptation de la colonie sont suffisantes pour répondre aux effets de gradients d'exposition importants : or, il semble qu'à partir d'un certain degré d'exposition, les mécanismes d'adaptation ne suffisent plus, ce qui se traduit par un taux de mortalité élevé.

Dans les paysages agricoles d'Europe de l'Ouest, en particulier en France, il ne semble plus possible pour les abeilles de disposer de domaines exempts de pesticides. Je tempérerai ce point en disant qu'elles trouvent tout de même quelques parcelles biologiques – c'est le cas, en une proportion relativement élevée, sur notre zone d'étude : des exploitations agricoles biologiques, souvent agrégées les unes aux autres, forment des micropaysages d'un à quelques kilomètres carrés, où l'on ne trouve pas de néonicotinoïdes, et au milieu desquels nous avons disposé des ruchers. Cela dit, ces zones sont rares en proportion de la surface totale sur laquelle nous travaillons.

Nous avons dû intégrer cette contrainte dès le départ, ce que nous avons fait en travaillant avec des gradients d'exposition allant, non pas de zéro, mais de très peu de néonicotinoïdes à beaucoup. Cette méthode nous a permis de nous affranchir de la comparaison que l'on trouve classiquement dans les analyses expérimentales entre zéro néonicotinoïde d'une part, des néonicotinoïdes d'autre part. Le fait que « peu » ne soit pas « zéro » n'est pas vraiment un problème dans la mesure où ce que l'on cherche à détecter, c'est la réponse des abeilles au gradient, et non à la présence ou à l'absence de substance. Le procédé de contournement auquel nous avons eu recours est assez couramment mis en oeuvre dans le domaine de la recherche expérimentale.

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