Intervention de Brigitte Allain

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h15
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBrigitte Allain, rapporteure :

Notre commission est saisie d'une proposition de loi visant à favoriser l'ancrage territorial de l'alimentation. Cette proposition de loi résulte du travail effectué avec les membres de la mission d'information sur les circuits courts et la relocalisation des filières agricoles et alimentaires et du rapport qui en a été tiré, « Et si on mangeait local... », accueilli avec enthousiasme, me semble-t-il, au mois de juillet 2015 par la Commission.

Pourquoi, alors que ce rapport contient cinquante propositions, la présente proposition de loi ne prévoit-elle que cinq articles ? Tout simplement parce que toutes n'étaient pas de nature législative et que, compte tenu des contraintes de temps liées à la seule journée consacrée aux niches parlementaires, nous n'avons pu retenir que les mesures structurantes au plan national.

En s'intéressant à la restauration collective publique et privée, la proposition de loi que nous examinons a pour ambition de concrétiser les avancées de la loi n° 2009-967 du 3 août 2009 de programmation relative à la mise en oeuvre du Grenelle de l'environnement, mais aussi le programme Ambition bio 2017 et les annonces du ministre de l'agriculture et du Président de la République, à savoir favoriser l'alimentation durable, notamment bio, et de proximité.

Ce texte s'appuie sur la multitude de communes, pays, départements, régions, et entreprises, ou organisations qui se sont mobilisés depuis des années pour soutenir la mise en place d'une alimentation de qualité et de proximité. Le succès de ces expériences montre qu'il est possible et souhaitable de les généraliser à moyen terme dans tout le pays.

Au moment où nos concitoyens déclarent ne pas faire confiance aux politiques pour agir sur l'emploi, sur la qualité de vie ou sur le lien social, il est essentiel de favoriser, par une démarche globale, le respect d'un droit inscrit dans la Déclaration universelle des droits de l'Homme de 1948. Celle-ci stipule en effet que les États et la communauté internationale doivent garantir à chacun un accès à une alimentation suffisante, de qualité et correspondant aux traditions locales. Elle prolonge les orientations de la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, qui a placé l'ancrage territorial de la production au rang des objectifs de la politique agricole et alimentaire. Elle fait de cet ancrage une solution à la crise de l'élevage, révélatrice de cette impasse agricole généralisée que vient d'évoquer le ministre de l'agriculture lors de son audition par notre commission. Les producteurs commercialisant en circuit court, ceux qui produisent sous un signe de qualité, en appellation ou en agriculture biologique, plus économes en intrants et visant des marchés moins concurrentiels, résistent mieux aux crises liées aux marchés internationaux.

La restauration collective sert annuellement plus de 3 milliards de repas et concerne 78 000 restaurants. Il est nécessaire de fixer des objectifs chiffrés, mais réalisables pour le secteur public d'accompagner aussi bien le secteur public que le secteur privé dans cette démarche.

En 2008, le Grenelle de l'environnement avait fixé à 20 % la part du bio dans la restauration collective pour 2012, et au même pourcentage celle des produits durables. L'Agence française pour le développement et la promotion de l'agriculture biologique a révélé que, en 2014, les produits biologiques ne représentaient que 2,7 % des achats alimentaires de la restauration à caractère social. Nous sommes donc loin du compte, alors que les surfaces agricoles utiles certifiées bio et en conversion ne cessent d'augmenter.

L'article 1er de la proposition de loi prévoit l'introduction, dans la restauration collective publique, dès 2020, de 40 % de produits issus de l'alimentation durable, dont 20 % issus de l'agriculture biologique. Il n'est pas possible de définir dans les marchés publics un critère de proximité géographique, mais les acheteurs peuvent viser cet objectif dans leur cahier des charges. Ces taux, relativement ambitieux, sont réalisables. L'État et les collectivités territoriales doivent être exemplaires, et donc contraints, pour engager des dynamiques de territoire. En accompagnant l'organisation logistique de l'approvisionnement local, ils rendent les produits de qualité et durables accessibles au plus grand nombre, en particulier aux personnes les plus fragiles, tels les enfants dans les cantines scolaires. Cela permet de co-construire de vrais objectifs territoriaux et, ainsi, de remédier à l'impasse actuelle qui conduit les collectivités à se plaindre de l'insuffisance de l'offre et les producteurs bio ou les producteurs locaux de l'insuffisance de débouchés.

L'article 2 transforme l'observatoire de l'alimentation en observatoire de l'alimentation et des circuits courts et de proximité. Il aura pour nouvelle mission de suivre les données qualitatives et quantitatives relatives aux circuits courts et de proximité, en liaison avec les observatoires régionaux et interrégionaux existants, et il s'assurera du respect des objectifs définis à l'article 1er de la proposition de loi. Il est, en effet, fondamental d'acquérir plus de savoirs et de données sur les circuits courts et de proximité.

Si nous montrons que ce modèle fonctionne et crée de la valeur ajoutée, il pourra se diffuser. Il est gagnant pour les producteurs, pour l'emploi, pour la santé des consommateurs, pour le lien social — puisque les citoyens deviennent acteurs des politiques locales —, pour les collectivités territoriales, qui peuvent ainsi prendre la main sur la politique alimentaire. Il est évident qu'il doit s'appuyer sur des indicateurs de bien-être collectifs autres que le seul produit intérieur brut.

Pour le privé, l'idée est d'agir sans contrainte, mais en nous dotant d'outils d'évaluation pour progresser. L'observatoire accompagnera les restaurants collectifs en analysant les données qui manquent aujourd'hui au secteur.

L'article 4 s'adresse spécifiquement aux grandes entreprises qui devront intégrer dans leur responsabilité sociale et environnementale des exigences en matière de consommation alimentaire durable : choix de produits ou plats bio et locaux, cuisine sur place, lutte contre le gaspillage alimentaire et le suremballage.

Avec l'article 5, la faculté de mentionner les plats « faits maison » dans la restauration collective valorise les cuisiniers et les cuisines qui s'impliquent pour la qualité de l'alimentation. Il étend, tout en l'adaptant, un dispositif aujourd'hui prévu pour la restauration commerciale et plébiscité par les professionnels. Lors du déplacement de la mission d'information en Dordogne, les cuisiniers de la restauration collective, fidèles à la réputation du Périgord, ont déploré que leur volontarisme pour favoriser les produits locaux soit totalement ignoré.

Enfin, à l'article 3, les plans régionaux de l'agriculture durable sont amenés à intégrer les politiques alimentaires transversales dans leurs objectifs et dans leur gouvernance. Les plans régionaux de l'agriculture durable (PRAD) deviennent les plans régionaux de l'agriculture et de l'alimentation durables (PRAAD). Les acteurs de l'alimentation, regroupés en région dans les comités régionaux pour l'alimentation (CRALIM) sont intégrés à la gouvernance des PRAAD. L'échelon régional, renforcé dans ses compétences par la loi n° 2013-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) et la loi précitée d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt, est le mieux à même de favoriser une alimentation de proximité et de qualité. En effet, à l'échelon régional, accompagner à travers le plan de développement rural le développement de filières complètes et diversifiées est un formidable outil de cohésion sociale et environnementale.

S'appuyer sur les savoir-faire locaux, les productions traditionnelles, les richesses naturelles et économiques locales n'est pas en contradiction avec une ouverture sur le monde extérieur. Bien au contraire, c'est donner envie aux entrepreneurs de créer leur entreprise de production, de transformation et de commercialisation, et de s'appuyer sur des ambassadeurs locaux fiers de promouvoir un patrimoine collectif. Cela renforce l'attractivité des territoires, encourage le développement du tourisme gastronomique et permet de proposer à l'exportation des produits à forte valeur ajoutée, non concurrentiels, liés à l'identité d'un pays.

Je veux saluer ici le Pays basque qui, pour favoriser l'installation en agriculture, s'est engagé depuis plus de vingt ans dans une démarche offensive de valorisation des produits des petites fermes, et dont la dernière appellation -le porc Kintoa- vient d'être reconnue.

Avec cette proposition de loi, nous donnons aux élus locaux les moyens de porter, avec les acteurs économiques de l'agroalimentaire, une ambition politique forte et de créer des synergies de territoire.

Les circuits de proximité et les pratiques agricoles agro-écologiques sont pourvoyeurs d'emplois, économes en intrants et moins polluants, respectueux des sols, sous-sols, de l'eau et de l'air. Quoi de plus passionnant que de s'organiser régionalement pour définir une politique alimentaire, comme nous le faisons pour la santé, la formation, la mobilité et les transports ?

Je proposerai donc à notre Commission d'émettre un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, après un débat que je souhaite fructueux pour reconstruire des territoires de projets.

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