Intervention de Stéphane le Foll

Réunion du 15 décembre 2015 à 16h15
Commission des affaires économiques

Stéphane le Foll, ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt, porte-parole du Gouvernement :

Permettez-moi de commencer par évoquer le plan de soutien à l'élevage. Notre secteur laitier, fortement exportateur, connaît d'importantes difficultés liées à l'évolution des prix sur le marché mondial, en particulier les prix des produits néo-zélandais sur le grand marché asiatique. Pour faire face, nous avons rencontré aujourd'hui les grands distributeurs afin qu'ils respectent leurs engagements et qu'ils évitent de se livrer en début d'année à une nouvelle bataille sur les prix, qui serait insupportable pour les éleveurs.

Le plan de soutien à l'élevage concerne aussi le secteur de la viande bovine, qui traverse encore des difficultés, ainsi que la fièvre catarrhale ovine qui s'est ajoutée aux difficultés du marché et, enfin, la filière porcine qui, en Bretagne, est un sujet urgent. En effet, après les négociations que nous avons conduites dans ce secteur sur la base d'un prix d'achat de 1,4 euro par kilogramme, deux opérateurs se sont retirés du marché au cadran et le prix ne dépasse désormais pas 1,08 euros par kilogramme – un niveau de prix qui ne permet pas à de nombreux éleveurs de se maintenir en exercice.

Il faut prendre des mesures conjoncturelles, comme le plan de soutien à l'élevage, mais nous devons aussi débattre de questions structurelles. Permettez-moi de préciser les ordres de grandeur des aides accordées aux secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire. Le pacte de responsabilité, tout d'abord, représente près de 4 milliards d'euros – à raison de 1,8 milliard d'euros pour l'agriculture et près de 2 milliards pour le secteur agroalimentaire – soit autant que le budget de l'agriculture, qui s'élève à 4,2 milliards d'euros. Si l'on y ajoute les aides nationales et européennes, le montant total des aides accordées à ces deux secteurs atteint 19 milliards d'euros. Or, malgré une telle somme, 40 000 dossiers ont été déposés dans les cellules d'urgence.

Tous les républicains qui défendent notre agriculture doivent s'interroger sur cet état de fait. On blâme souvent les charges, mais il faut aussi soulever la question des charges opérationnelles et celle des transferts des gains de productivité en agriculture. Dans la mesure où leurs gains de productivité ne cessent d'être répartis les uns vers l'amont et les autres vers l'aval, les agriculteurs sont contraints de demander des aides publiques. Or, celles-ci, je le répète, s'élèvent aujourd'hui à 19 milliards d'euros. Il est donc essentiel que les agriculteurs conservent le bénéfice d'une part de leurs gains de productivité.

L'État consacre 700 millions d'euros supplémentaires – et indispensables – au plan de soutien à l'élevage, à quoi s'ajoutent 63 millions d'euros accordés par l'Europe suite à la crise.

100 millions sont consacrés aux allégements de charges par le biais du fonds d'allégement des charges, le FAC, et aux mesures de restructuration de la dette via la fameuse « année blanche » reportant tout ou partie des remboursements de prêts, conformément aux arbitrages que le Premier ministre a décidés il y a trois semaines.

D'autre part, la Mutualité sociale agricole (MSA) a accompli en 2015 un remarquable travail permettant de dégager 180 millions d'euros en allégements de charges, à raison de 50 millions d'allégements des cotisations à la MSA, 80 millions liés au changement du mode de calcul des cotisations – désormais fixées en fonction des revenus de l'année n–1 et non du revenu triennal – et 45 millions, qui deviendront 65 millions en 2016, liés à l'alignement à la baisse de l'assiette minimale des cotisations du secteur agricole sur l'artisanat et les métiers. J'ajoute à cela 10 millions de crédits budgétaires consacrés à la promotion de l'exportation, 30 millions consacrés au renforcement du plan pour la compétitivité et l'adaptation des exploitations agricoles (PCAE) dont le budget passe ainsi à 86 millions et que complètent les PCAE régionaux – autrement dit, les « aides du deuxième pilier ». L'ensemble de ces aides atteint 350 millions qui, par divers effets de levier, deviennent 1 milliard ; sur trois ans, les 3 milliards d'investissements demandés sont donc atteints. Cet effort était nécessaire pour améliorer les conditions de production, protéger le bien-être animal et réduire les coûts d'utilisation des bâtiments, dont dépendent les conditions de travail et le bien-être des agriculteurs.

Ensuite, nous mobilisons 30 millions au titre du programme d'investissements d'avenir en faveur des abattoirs, l'un des maillons fragiles de la chaîne de l'élevage dont le coût en termes de compétitivité est élevé. Nous avons également ajouté 30 millions aux crédits consacrés aux mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC) afin de les ajuster, notamment lorsqu'elles concernent les prairies permanentes dans les départements touchés par la suppression de la prime herbagère agro-environnementale, la PHAE.

Le projet de loi de finances rectificative en cours d'examen à l'Assemblée prévoit de réformer la fiscalité de la méthanisation et, surtout, de réformer la dotation pour aléas (DPA) de sorte que les agriculteurs puissent, lorsque leurs recettes le permettent, provisionner en prévision d'années moins favorables. De même, la mesure de suramortissement des investissements productifs prévue dans la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques qu'a défendue M. Emmanuel Macron a, lors du débat sur le projet de loi de finances, été étendue aux coopératives d'utilisation de matériel agricole (CUMA) ; elle est désormais étendue à l'ensemble des coopératives agricoles. S'il n'était pas initialement prévu de le faire, c'est parce que les coopératives de grande taille auront bien du mal à répartir le bénéfice de la mesure à chacun des sociétaires en fonction de son niveau d'investissement ; toutefois, l'extension de la mesure est générale, même si elle contribuera sans doute plus utilement aux investissements des petites et moyennes coopératives.

Revenons au plan de soutien à l'élevage. Environ 40 000 dossiers ont été déposés, dont près de 30 000 ont déjà été traités par les cellules d'urgence créées en février 2015 pour anticiper les difficultés. Les dossiers des filières porcine et bovine ont été traités en priorité, ceux du secteur laitier suivent. Environ 50 000 dossiers ont été déposés au titre du fonds d'allégement des charges, y compris les dossiers de restructuration de dettes ; parmi eux, 28 000 ont été jugés éligibles, et 5 000 ont déjà été payés, 12 000 autres étant en cours de paiement. Le montant de l'aide du FAC s'élève à 3 100 euros en moyenne, mais il est plus élevé dans la filière porcine. À ce jour, 4 700 exploitations ont fait l'objet d'une restructuration bancaire, dont 312 ont bénéficié d'une année blanche complète.

De l'avis général, tous les acteurs impliqués dans ces cellules d'urgence – directions départementales des territoires (DDT), chambres d'agriculture, centres de gestion et professionnels – ont accompli un travail considérable pour traiter et classer les dossiers puis les transmettre à FranceAgriMer afin qu'ils soient payés. J'espère que ces cellules, dont chacun convient qu'elles ont été fort utiles, n'auront pas à être à nouveau convoquées dans les mois et les années qui viennent.

Dans les secteurs porcin et bovin, nous agissons actuellement en matière de contractualisation et, surtout, nous souhaitons que les cotations soient plus qualitatives – autrement dit, qu'elles reflètent non plus seulement le produit de base, mais aussi la valeur ajoutée. Notre action concernant l'origine France des viandes – nées, élevées, abattues et transformées sur le territoire – porte ses fruits : dans la grande distribution, la progression des ventes de viande fraîche, mais aussi de produits transformés est considérable, et les consommateurs reconnaissent désormais facilement le fameux logo hexagonal tricolore. J'ai demandé aux professionnels de poursuivre leurs efforts d'amélioration de la qualité des produits – je pense au porc sans salmonelle, par exemple, à l'image de ce qui se fait en Allemagne. La qualité de la signature « Viandes de France » ne peut qu'y gagner. Encore faut-il que tous les acteurs concernés en prennent conscience et qu'ils cessent de renvoyer la responsabilité aux autres sans faire eux-mêmes d'efforts ! Je poursuivrai le dialogue à ces fins.

S'agissant du développement des filières locales dont vous allez vous saisir dans un instant avec la proposition de loi de Mme Brigitte Allain, nous avons mobilisé toute la restauration collective hors domicile, qu'elle soit privée ou en régie, afin qu'elle privilégie l'approvisionnement local. L'autonomie de gestion des collectivités territoriales étant un principe constitutionnel, nous ne pouvons en la matière qu'adopter des mesures facultatives et incitatives – même s'il serait parfois plus aisé de prendre des mesures contraignantes.

Je ne reviens pas sur l'enjeu essentiel de la compétitivité et sur l'étude comparative de sept pays européens que nous avons conduite : nous progressons ; il faut persévérer.

L'agro-écologie fait débat. Nous aurons en début d'année une discussion sur l'application de la loi du 13 octobre 2014 d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt. La priorité doit être de faire baisser les charges opérationnelles du secteur agricole afin que les agriculteurs captent davantage leurs propres gains de productivité. C'est pour ce faire que nous favorisons les stratégies d'autonomie fourragère et de couverture de sols et autres solutions agro-écologiques, mais surtout la création de groupements d'intérêt économique et environnemental (GIEE) qui fixent des objectifs collectifs et qui, selon les premiers retours que nous en avons, permettent de mieux gérer les problèmes et de réduire au maximum les charges opérationnelles – même si elles ne disparaîtront jamais vraiment, parce qu'il faut évidemment s'équiper en machines, en drones ou en outils numériques. Cessons toutefois de considérer que chaque exploitant est l'acheteur potentiel d'une kyrielle de services qui, in fine, lui coûtent cher et divertissent une partie de ses revenus au point que, en cas de difficulté, l'État demeure son seul recours. En effet, les banques, y compris le Crédit agricole, ne sont pas toujours bien disposées – malgré leurs efforts – à accepter des restructurations de dette. Je suis donc extrêmement attaché à la réappropriation des gains de productivité par les agriculteurs afin qu'ils renforcent leur compétitivité et leur autonomie. La distribution de ces gains coûte en fin de compte très cher à la puissance publique ; c'est anormal. En clair, les agriculteurs doivent autant que possible capter la valeur ajoutée liée à leurs gains de productivité.

L'accès au foncier a fait l'objet de débats très intenses, et pour cause : la pression foncière est considérable. Les capitaux investis sont souvent importants, ce qui en fait un enjeu majeur de compétitivité. Or la répartition du foncier conditionne la vitalité des installations. Nous avons pris des mesures visant à renforcer le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER, pour lesquelles les décrets sont déjà pris ; le décret portant sur les compensations agricoles collectives est en cours d'élaboration et de concertation avec les acteurs concernés. Il faut néanmoins contrôler l'application des schémas départementaux, renforcer le contrôle des structures, veiller à limiter les agrandissements excessifs et faciliter les installations. Ces sujets importants devront être abordés lors de l'évaluation de l'application de la loi d'avenir précitée. Nous avons fait le maximum dans les limites que nous imposent la Constitution et le droit de la propriété, mais je suis tout à fait conscient que la question foncière demeure un enjeu actuel et futur. J'en veux pour preuve la réaction des organisations non gouvernementales et de nombreux pays concernés à la présentation que nous leur avons faite du programme « 4 pour 1 000 » lors de la COP21 : l'accès au foncier pose partout problème, notamment dans les pays en développement soumis au phénomène d'accaparement des terres. Or tous les pays ne se sont pas dotés d'outils de gestion foncière comme les SAFER, dont certains souhaitent d'ailleurs s'inspirer – la Roumanie, par exemple.

J'en viens à la COP21, précisément. Cette réunion très intéressante a abouti à un accord historique et à un Agenda des solutions comprenant notamment le programme « 4 pour 1 000 ». J'en rappelle le principe : la photosynthèse qui se produit dans les arbres et autres organismes végétaux valorise davantage l'énergie solaire que tout autre procédé, y compris les panneaux solaires. Or la photosynthèse permet de fixer dans les plantes du carbone provenant de l'atmosphère – certaines légumineuses pouvant même retenir de l'azote. Une fois fixé, ce carbone est ingéré par les animaux et les humains qui consomment les végétaux en question, ou transformé en carburants, voire, demain, en plastiques – puisque l'interdiction des plastiques chimiques nous obligera à terme à exploiter les amidons pour fabriquer des plastiques biodégradables. On peut néanmoins imaginer de stocker une partie de ce carbone dans les sols, où il devient matière organique, et ainsi faire d'une pierre deux coups en réduisant la concentration en carbone dans l'atmosphère tout en fertilisant les sols – une priorité dans de nombreux pays.

Nous avons donc mis au point cette belle initiative qui est en lien avec le programme de lutte contre la dégradation des sols de l'ONU, et notre objectif est qu'elle se concrétise avant la COP22 de Marrakech avec la constitution d'un comité politique de pilotage et la définition de grands plans d'action. Je me rendrai en Afrique en début d'année pour signer avec l'Union africaine et le Nouveau partenariat pour le développement de l'Afrique (NEPAD) un projet de mise en oeuvre du programme « 4 pour 1 000 » sur le continent, car les délégations africaines ont été très sensibles à cette proposition.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion