Intervention de Jean-Frédéric Poisson

Réunion du 16 décembre 2015 à 10h00
Commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la république

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Frédéric Poisson, rapporteur :

Je souscris sans réserve aux propos du président Urvoas. Cette opération de contrôle et d'évaluation est parfaitement novatrice. Évidemment, nous essuyons les plâtres, et nous devons en quelque sorte apprendre en marchant, ce qui peut susciter quelques interrogations et hésitations. Nous n'en avons pas moins réussi à obtenir du Gouvernement des informations précises en mettant en place des indicateurs appropriés et fiables. Cela restera.

Je suis régulièrement sollicité, comme sans doute nombre d'entre vous, chers collègues, par des journalistes qui craignent d'éventuelles dérives ou s'interrogent sur des cas particuliers. Le premier intérêt de ce contrôle parlementaire est de signaler les problèmes, de lever les doutes et de donner les assurances nécessaires. Lorsque les droits fondamentaux des personnes sont en jeu, le fonctionnement de la démocratie ne saurait laisser place à quelque hésitation. Bien sûr, nul système n'est parfait, mais je veux souligner, moi qui ne suis guère soupçonnable de flagornerie à l'égard du Gouvernement, que les ministres et leurs services nous répondent avec soin.

J'insiste aussi sur la nécessité de qualifier précisément les faits qui nous sont rapportés – cela vaut tant pour le Gouvernement que pour les sources évoquées tout à l'heure. Nous devrons peut-être compléter ou modifier la loi. Pour le faire avec la plus grande justesse, nous devrons bien comprendre quels manquements, failles ou exagérations peuvent, en la circonstance, affecter l'action des pouvoirs publics. Nous cherchons ainsi à comprendre comment et pourquoi telle ou telle décision est prise – c'était l'objet de cette visite de deux heures à la préfecture du Val-de-Marne, la semaine dernière. Pourquoi intervient-on ? Pourquoi telle personne est-elle perquisitionnée plutôt que telle autre, que l'on pourrait croire plus radicalisée ? Les services sont soumis à certains impératifs et agissent avec professionnalisme, il ne s'agit pas d'user bêtement des prérogatives de l'état d'urgence. Le travail peut se poursuivre normalement, dans le respect des procédures habituelles, mais, comme nous avons pu le constater dans l'immense majorité des cas portés à notre connaissance, l'état d'urgence présente l'intérêt de permettre des opérations qui ne seraient pas possibles autrement.

Voilà qui pose la question de son éventuelle prolongation. Nos interlocuteurs ont été à peu près d'accord avec nous : passé le premier mois et demi, la courbe d'utilité va probablement décroissant, et, au terme des trois mois, tous ceux qu'on voulait perquisitionner ou assigner à résidence risquent de s'être organisés autrement, et d'être sortis des écrans radars. C'est une question opérationnelle qu'il faudra considérer. Plus généralement, l'évaluation de cette période est essentielle pour vous permettre, le cas échéant, de vous prononcer sur une éventuelle prolongation de l'état d'urgence. J'ai cru comprendre qu'il ne fallait pas exclure que le Parlement soit saisi en ce sens.

J'évoquerai, pour terminer, trois problèmes opérationnels qui ressortent de nos entretiens et des documents que nous recevons.

Le premier, c'est la question de l'information des élus – le président Urvoas en a dit un mot. Le ministre de l'intérieur avait donné aux préfets instruction de réunir les parlementaires et élus de leurs départements respectifs. Diversement suivie jusqu'à présent, la consigne est réitérée, nous a indiqué hier M. le ministre de l'intérieur – j'imagine que toutes les préfectures de France et de Navarre vont recevoir un mot doux invitant à la tenue de cette réunion. Cela concerne l'information institutionnelle, structurée, mensuelle, pour laquelle il est difficile de procéder autrement, mais il y a aussi l'information au jour le jour des élus locaux, sur laquelle nous insistons toujours.

Bien évidemment, si des dispositions sont prises dans leur commune au titre de l'état d'urgence, un tri doit être fait. Tout le monde comprend que le maire ne puisse être prévenu la veille d'une perquisition dans sa commune. Peut-être même ne peut-il pas être prévenu non plus le lendemain, puisqu'une perquisition peut en appeler d'autres. En revanche, les assignations à résidence sur le territoire dont il a la charge sont un autre cas de figure. Il serait tout à fait baroque que les maires, acteurs de la vie publique et qui détiennent de nombreux renseignements, apprennent « par la bande », par la presse ou par leurs conseillers de quartier que des personnes sont assignées à résidence dans leur commune. Un équilibre doit être trouvé, dont les modalités précises ne sont pas définies, mais nous insistons sur cette question – je l'ai encore fait hier à Matignon.

Le deuxième problème est celui de l'utilité des gardes statiques, sur lesquelles nous recueillons aussi quelques impressions. Nos sources nous invitent à préserver leur anonymat, je ne les révélerai donc pas, mais cette interrogation paraît assez largement partagée. Certes, la question n'entre pas dans le champ de la loi, mais la doctrine d'emploi des forces de l'ordre doit être interrogée. On finit par se rendre compte que, dans certains cas, les gardes statiques présentent plus d'inconvénients que d'avantages, à tel point que le ministre de l'intérieur a décidé d'octroyer une semaine de congé, par roulement, entre le 18 décembre et Noël, pour que tout le monde se repose.

Le troisième problème est celui de l'information des citoyens sur les préjudices subis. Le ministre de l'intérieur, comme le préfet du Val-de-Marne à son niveau, font preuve de transparence sur les erreurs commises dans le cadre d'interventions, principalement des perquisitions. Par exemple, deux erreurs d'adresse ont été commises. Nous avons demandé si les forces de l'ordre ou le commissionnaire divisionnaire étaient retournés s'excuser auprès des habitants, qui ont dû être surpris, et prendre des nouvelles ; visiblement, cela a été fait. En revanche, aucune procédure n'est prévue quand l'État est fautif, et il l'est en l'espèce – il le reconnaît lui-même. Un formulaire type, une adresse, un numéro de téléphone ou un quelconque moyen devraient permettre de demander une indemnisation. Lorsqu'un bailleur social est concerné, c'est plus facile : un intermédiaire organisé discute avec la puissance publique. Dans le cas de particuliers dont la résidence ne se situe pas dans un groupement quelconque, il faudrait accélérer ce genre de procédure.

Je confirme donc l'utilité de ce contrôle parlementaire de l'état d'urgence. Certes, de temps en temps, nous pouvons avoir l'impression de bousculer quelques habitudes au sein des cabinets ministériels, mais, après tout, nous ne faisons que notre travail : le rôle de contrôle du Parlement est inscrit dans la Constitution. En l'occurrence, l'utilité du suivi mis en place par la Commission n'est pas à démontrer.

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